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Décisions

Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-20.626

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Blondel, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Aix-en-Provence, du 1er avr. 2010

1 avril 2010

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Union des caves des Maures et de l'Esterel, dénommée Union des caves de Provence (l'UCP) a acquis entre 1995 et 1996 la société des Caves des seigneurs et la société Jean Bagnis et fils (la société Bagnis) ; que par jugement du 18 mai 2004, l'UCP a été placée en redressement judiciaire, procédure qui a été étendue le 6 août 2004 aux sociétés Bagnis et Cave des seigneurs ; que le 26 août 2004, invoquant des fautes de MM. X... et Y..., commissaires aux comptes, l'UCP, M. Z... en qualité de représentant des créanciers et M. A... en qualité d'administrateur judiciaire, les ont assignés en paiement de dommages-intérêts ; que l'instance a été poursuivie par l'UCP, M. Z... et M. A... devenu commissaire à l'exécution du plan ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'UCP et M. A... font grief à l'arrêt d'avoir dit que M. A... agissant en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'UCP n'avait pas qualité pour réclamer condamnation au profit de la débitrice pour les fautes contractuelles commises par les commissaires aux comptes, alors, selon le moyen :

1°/ que la mission dévolue au commissaire aux comptes procède de la loi, de sorte que sa responsabilité pour manquement aux règles légales qui gouvernent son office ne peut être que délictuelle, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'action émane de l'entité contrôlée ou des tiers ; qu'en considérant que l'action dont elle était saisie constituait nécessairement une action en responsabilité contractuelle qui, comme telle, ne pouvait être exercée par le commissaire à l'exécution du plan agissant dans l'intérêt collectif des créanciers et en reprochant à M. A..., agissant ès qualité, de n'avoir pas formulé de demandes distinctes de celles de l'UCP nonobstant la distinction à opérer selon elle entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, la cour d'appel viole l'article L. 225-241 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble les articles 1147 par fausse application et 1382 du code civil par refus d'application ainsi que l'article 12 du code de procédure civile ;

2°/ que les demandes formées tant au nom de M. A... agissant ès qualité, qu'au nom de l'UCP l'étaient notamment sur le fondement des règles gouvernant la responsabilité civile délictuelle ; qu'en s'estimant saisie d'une action exclusivement fondée sur les règles gouvernant la responsabilité contractuelle, pour en déduire que le commissaire à l'exécution du plan, agissant dans l'intérêt collectif des créanciers, n'était pas habile à l'exercer, la cour d'appel méconnaît les termes du litige, violant l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que les sommes recouvrées par les mandataires de justice dans le cadre des actions en responsabilité que ceux-ci sont habiles à exercer à l'encontre des tiers dont les agissements fautifs ont contribué à l'aggravation du passif entrent dans le patrimoine du débiteur pour être ensuite affectées à l'apurement du passif, dans l'intérêt collectif des créanciers ; qu'il s'ensuit que le fait que M. A..., agissant ès qualité, ait poursuivi de la condamnation des commissaires aux comptes à payer à l'UCP la somme sollicitée à titre de dommages et intérêts n'était pas de nature à exclure que l'action fût exercée dans l'intérêt collectif des créanciers, lesquels avaient évocation à se répartir le produit de l'action en responsabilité venant accroître l'actif de leur débiteur ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel viole les articles L. 621-39 et L. 621-68 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause ;

4°/ que les deux protocoles transactionnels du 13 décembre 2004, tels qu'homologués par le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 1er avril 2005, stipulaient, comme le rappelle d'ailleurs l'arrêt attaqué dans ses commémoratifs : "en cas d'issue favorable de l'action en responsabilité engagée contre les commissaires aux comptes, le produit (…) de cette action en dommages et intérêts sera partagé, entre l'UCP, d'une part, à concurrence d'un tiers de ce produit, et l'ensemble des créanciers au prorata de leurs créances admises, à concurrence de 2/3 des sommes recouvrées dans la limite de leurs créances admises" ; qu'il s'ensuit que le produit de l'action en responsabilité intentée par M. Z..., agissant ès qualité, et poursuivie par M. A..., agissant également ès qualité, avait vocation à profiter à l'ensemble des créanciers de l'UCP, dont les mandataires de justice étaient en charge de l'intérêt collectif, et non point seulement à ses deux principaux créanciers ; qu'en retenant le contraire, pour en déduire que l'action, en tant qu'elle était poursuivie par M. A... agissant ès qualité, ne l'était point dans l'intérêt collectif des créanciers, la cour d'appel statue au prix d'une dénaturation des protocoles transactionnels du 13 décembre 2004, tels qu'homologués par une décision de justice définitive, ce en violation des articles 1134 et 1351 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'une action tendant à obtenir condamnation au paiement de sommes au seul profit de la débitrice, à charge pour elle d'en reverser une partie aux créanciers, en vertu d'une transaction à laquelle n'ont pas participé l'ensemble des créanciers, ne peut s'analyser en une action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen, irrecevable en ses première et troisième branches qui s'attaquent à des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que l'UCP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à la condamnation de MM. X... et Y... au paiement d'une somme de 6 481 032 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que la responsabilité des commissaires aux comptes peut être engagée, non seulement lorsqu'ils n'ont pas su déceler des irrégularités ou anomalies qui n'auraient pas dû échapper à leur contrôle, mais également lorsque, les ayant découvert, ils se sont abstenus de les dénoncer selon les formes légales ou ont néanmoins certifié sans réserve les comptes sociaux ; qu'en l'espèce, les appelants reprochaient, entre autres, aux commissaires aux comptes Lechat et Y..., de n'avoir pas révélé selon les formes légales (rapport aux assemblées générales, refus de certification des comptes) les flux anormaux de capitaux ayant existé entre l'UCP et ses filiales, notamment la société Bagnis, flux parfaitement mis à jour dans les jugements d'extension de la procédure collective du 6 août 2004, prononcée à raison d'une confusion des patrimoines, d'où ressortaient notamment le versement par l'UCP à ses filiales de royalties économiquement injustifiés, ensemble la sous-facturation manifeste des vins fournis par l'UCP à la société Bagnis ; qu'il résulte des motifs mêmes de l'arrêt, qu'ils soient propres ou adoptés du jugement, que les commissaires aux comptes connaissaient ces flux anormaux de capitaux, qu'ils les avaient même signalés à plusieurs reprises aux dirigeants, lesquels avaient persévéré en leurs errements et que néanmoins les comptes relatifs aux exercices 2001 et 2002 avaient été certifiés sans réserve ; qu'en retenant pourtant qu'aucune faute n'était caractérisée de ce chef, quand l'attitude des dirigeants n'étaient pas de nature à exonérer les commissaires aux comptes de la responsabilité qu'ils encouraient pour ne pas avoir révélé, selon les formes légales, les anomalies détectées et notamment acceptées de certifier sans réserve des comptes qui, à raison de ces flux anormaux de capitaux, ne pouvaient par hypothèse donner une image sincère et fidèle de la situation comptable et financière de l'UCP et de ses filiales, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, viole les articles L. 225-235, L. 225-237 et L. 225-241 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause ;

2°/ qu'en se bornant à relever que les participations financières entre les sociétés du groupe avaient été signalées dans les rapports des commissaires aux comptes concernant les conventions réglementées, sans préciser, comme elle y était invité, si ces rapports spéciaux mettaient en exergue les éléments de confusion des patrimoines, tels le versement de royalties injustifiées, ensemble les sous-facturations et surfacturations qui avaient ultérieurement provoqué l'extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles L. 225-235, L. 225-237 et L. 225-241 du code de commerce ;

3°/ que la cour d'appel n'explique nullement en quoi le signalement fait aux seuls dirigeants sociaux, par les commissaires aux comptes, des flux anormaux de capitaux constatés entre l'UCP et ses filiales serait de nature, nonobstant la certification sans réserve des comptes et l'absence de rapport idoine destinée à l'assemblée générale, à faire conclure à l'absence de préjudice subi du fait des manquements imputés aux commissaires aux comptes, non seulement par les dirigeants informés, mais également par l'UCP et ses adhérents ; que sous cet angle, l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard des articles L. 225-235, L. 225-237 et L. 225-241 du code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs adoptés, que MM. X... et Y... avaient attiré l'attention des dirigeants et des adhérents dans leurs rapports sur les comptes des exercices 1999 et 2000 et signalé à plusieurs reprises la difficulté provenant de l'importance des flux financiers entre l'UCP et ses filiales, les sociétés Bagnis Caves de seigneurs ; que, par motifs propres, l'arrêt, après avoir relevé que les documents versés aux débats suffisaient pour vérifier que les commissaires aux comptes ont mené leur mission dans des conditions normales, retient que l'alerte qu'ils ont déclenchée sur les comptes de 1999 a été maintenue, que le président du tribunal de grande instance de Draguignan en a été informé, et qu'après l'amélioration des comptes en 2000 et 2001, de nouvelles pertes au premier semestre 2003 ont justifié le déclenchement d'une autre procédure d'alerte ; que l'arrêt retient encore que les difficultés de l'UCP résultent d'une politique d'achat à prix élevé, d'une augmentation des stocks, l'UCP ayant fait le choix d'acheter au-delà des apports obligatoires et de ses besoins, et d'acquisitions à l'aide de prêts à court terme générant des charges de remboursement très lourdes ; qu'il retient enfin que les commissaires aux comptes ne pouvaient s'immiscer dans ces décisions, et que les dirigeants de l'UCP avaient conscience que la situation de l'entreprise exigeait des mesures draconiennes ; que par ces constatations et appréciations, dont il ressort que les commissaires aux comptes n'avaient pas commis de faute, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et troisième moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que, pour condamner in solidum l'UCP et M. A... à payer respectivement à MM. X... et Y... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la présente procédure, l'arrêt retient par motifs adoptés que l'UCP a été reconnu mal fondée à agir en responsabilité contre les commissaires aux comptes dans le cadre d'une action antérieure, concomitante au rejet de sa demande en relèvement de ces mêmes commissaires aux comptes et que cette seconde action, dont le fondement juridique est différent mais qui repose sur les mêmes faits qui n'avaient pas été considérés comme fautifs dans le cadre de l'action en relèvement, a causé à MM. X... et Y... un préjudice moral ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser une faute de l'UCP, de M. Z... et de M. A..., de nature à faire dégénérer en abus leur droit d'agir en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le sixième moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour condamner in solidum l'UCP, M. Z... et M. A..., ès qualités, à payer à M. X... la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, en sus de la somme de 5 000 euros également accordée au titre du préjudice moral, l'arrêt retient que les sommes allouées en première instance à titre de dommages-intérêts seront portées à 5 000 euros ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans qu'aucun motif ne justifie la condamnation au paiement de la somme de 2 000 euros, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCEA UCP, M. Z..., représentant des créanciers et M. A... en qualité d'administrateur au redressement judiciaire, in solidum, à payer à M. X... la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la présente procédure et en ce qu'il a condamné la SCEA UCP, M. Z..., représentant des créanciers et M. A... ès qualités, in solidum, à payer respectivement à M. Y... et à M. X... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la présente procédure, l'arrêt rendu le 1er avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.