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Décisions

CA Agen, ch. com., 6 octobre 2008, n° 07/00896

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Suforem (SA)

Défendeur :

Euroexpertise (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

M. Certner, Mme Martres

Avoué :

Me Burg

Avocats :

Me Marchi, Me Girardeau

T. com. Villeneuve-sur-Lot, du 20 avr. 2…

20 avril 2007

EXPOSE DU LITIGE

Dans des conditions de régularité de forme et de délai non discutées, la S.A. SUFOREM a interjeté appel du jugement prononcé par le Tribunal de Commerce de VILLENEUVE-SUR-LOT le 20/04/07 :

- l'ayant débouté de sa demande en nullité de l'expertise graphologique exécutée par Madame Z...,

- ayant "homologué" le rapport déposé par cette dernière,

- l'ayant débouté de ses demandes tendant à l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise technique, à la mise en oeuvre d'une mesure complémentaire d'instruction et à la production de diverses pièces aux débats,

- ayant pris acte de ce qu'elle avait consigné une somme,

- l'ayant condamné à verser à la S.A.S. EUROEXPERTISE la somme de
39.405,81 Euros outre "les intérêts de retard à compter du 31/05/05 au taux d'une fois et demi le taux légal, comme correspondant à la facture du 21/03/2005,

- ayant débouté la S.A.S. EUROEXPERTISE de sa demande en
dommages-intérêts,

- ayant dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- l'ayant condamné, outre à supporter les entiers dépens, à verser à la S.A.S. EUROEXPERTISE la somme de 1.000 Euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Les faits de la cause ont été relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la Cour se réfère expressément;

Vu les écritures déposées par l'appelante le 08/07/08 aux termes desquelles elle conclut à la réformation de la décision entreprise en demandant à la Cour :

* de prononcer la nullité de l'expertise graphologique de Madame Z... et d'en tirer les conséquences en ordonnant à cette dernière de rembourser les honoraires qu'elle a perçu de ce chef, ce par application des articles 16, 162 et 176 du Code de Procédure Civile et 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme du 04/11/1950,

* de dire et juger que l'intimée, à qui incombe la charge de la preuve, "n'établit pas la réalité de sa prétention faute de pouvoir produire le document original nécessaire à faire preuve",

* de débouter l'intimée de l'ensemble de ses prétentions,

* de condamner la S.A.S. EUROEXPERTISE, outre à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, à lui verser la somme de 1.500 Euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

* à titre subsidiaire, en application des dispositions des articles 1109, 1116, 1134 et 1110 du Code Civil et 199, 204,287 et 299 du Code de Procédure Civil, de constater qu'il existe "une contestation sérieuse sur la réclamation présentée par l'intimée portant sur la sincérité du document contractuel invoqué", et en conséquence, d'ordonner d'une part la production de l'original de la convention d'audit décrit par Monsieur A... dans son attestation

* et d'autre part une expertise du document daté de septembre 2004 produit "dans son entier" par l'intimée, vérification faite par tout autre technicien que Madame Z...,



* à défaut, d'ordonner l'audition de Messieurs A... et B... par voie d'enquête,

* de prendre acte de la consignation de la somme de 3.940,58 Euros auprès du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats, somme qui ne peut être payée faute de facturation conforme au solde de tous comptes dans l'attente de l'issue de la présente procédure;

Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :

1 ) l'expert a déposé son rapport six jours à peine après sa saisine sans respecter les exigences en matière d'expertise : absence de convocation des parties pourtant prévue à l'article 160 du Code de Procédure Civile ; défaut de prise en considération des observations ou réclamations des parties dont l'avis n'a même pas été sollicité ; violation du principe du contradictoire édicté aux articles 16 du Code de Procédure Civil et 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,

2 ) contrairement à ce que soutient l'intimée, la mesure d'instruction ordonnée et dévolue à Madame Z... est une expertise et non une simple consultation,

3 ) il a été établi deux exemplaires du contrat comportant une mention manuscrite à la suite de l'article 3 de la convention faisant un sort particulier des honoraires relatifs au dossier "SEITA" en raison de ce que l'appelante avait entrepris des démarches qui étaient sur le point d'aboutir au dégrèvement recherché ; ces deux exemplaires ont été confiés à Monsieur A..., salarié de la société intimée, à charge pour lui de les faire parapher par le représentant légal de cette dernière et d'en renvoyer un exemplaire, qui ne sera jamais exécuté,

4 ) elle a pris la précaution de faire une photocopie du contrat comportant la mention manuscrite ajoutée ; c'est ce document qu'elle produit aux débats et qui doit être comparé avec celui communiqué par l'intimée ; sa réserve écrite marque la limite de ses engagements d'autant que rien ne démontre que le dégrèvement a été le résultat de l'intervention de l'intimée alors qu'elle avait elle aussi, de son côté, entrepris des démarches auprès de l'administration fiscale,

5 ) le document produit par l'intimé, qui ne constitue pas un original mais une photocopie, est un faux, extorqué par dol,

6 ) l'attestation de Monsieur A... comporte des inexactitudes puisque, le jour même de la signature des actes, elle lui a remis les documents démontrant les démarches qu'elle avait accomplies pour obtenir le dégrèvement ; elle relate en revanche qu'elle a adressé à l'intimée une copie du contrat sur lequel figure la mention manuscrite discutée ; il convient d'enjoindre à la S.A.S. EUROEXPERTISE, qui jusqu'à présent niait avoir reçu ce document, de le verser aux débats avec la lettre d'accompagnement qui devait y être jointe et son enveloppe ; il est faux que cette dernière lui ait retourné la convention d'origine signée,

7 ) un nouvelle expertise est indispensable en raison des anomalies présentées par le document utilisé par l'intimée : première page différente du contrat qu'elle produit : son nom n'est pas de son écriture ; alignement des caractères de tout le texte de la deuxième page différent dudit contrat ce qui laisse croire à la possibilité d'un montage permettant d'éliminer le texte manuscrit ajouté ;

Vu les écritures déposées par la S.A.S. EUROEXPERTISE le 31/07/08 aux termes desquelles elle conclut au complet rejet des prétentions adverses et à la confirmation du jugement querellé, sauf à y ajouter une condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 2.000 Euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive en raison de sa mauvaise foi patente et celle de 1.500 Euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;





Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante:

1 ) le contrat qu'elle produit porte le cachet commercial de l'appelante et la signature des deux parties alors que celui présenté par la S.A. SUFOREM ne porte que la signature du représentant légal de cette personne morale, outre la mention manuscrite litigieuse,

2 ) l'expert a rempli la mission qui lui avait été assignée ; le dépôt d'un pré-rapport n'était exigé ni par le Code de Procédure Civil, ni par la Juridiction ayant ordonné la mesure ; l'obligation de convoquer les parties à une réunion d'expertise, posée à l'article 160 du Code de Procédure Civil n'avait pas à être respectée dès lors qu'il ne s'agissait pour l'expert que de procéder à des investigations purement techniques ou matérielles ; au surplus, l'appelante n'invoque aucun grief qui lui aurait causé par l'absence de convocation et l'impossibilité de formuler des observations ; la tâche de l'expert ne consistait qu'à effectuer que des constatations matérielles dans le but exclusif de déterminer si le document qu'elle présentait était un faux ou non ; la présence de l'appelante n'y aurait rien changé ; au reste, la prétendue nullité a en toute hypothèse été couverte par le fait que l'appelante a été mise à même -ce qu'elle a fait- de présenter ses moyens de défense au fond,

3 ) en cas d'annulation, l'expertise conserve tout de même une valeur informative qui pourra être recoupée par les autres éléments du dossier justifiant sa demande en paiement ; dans son attestation, Monsieur A... fait certes état de l'envoi par l'appelante d'une convention rectifiée avec mention que les honoraires ont été ramenés à 5% mais précise qu'il s'agissait d'une simple copie,

4 )elle a adressé à l'appelante la convention non rectifiée après l'avoir
signée ; elle n'a jamais reçu l'original de la convention rectifiée mais une copie qu'elle communique à la procédure ; elle n'a jamais accepté la réduction de ses honoraires,

5 ) l'expertise a révélé que la convention non modifiée n'était pas un faux mais au contraire la copie sincère et fidèle de l'original au sens de l'article 1348 alinéa 2 du Code Civil ; elle a force probante entre commerçants,

6 ) les deux avis de dégrèvement lui ont été notifiés en sa qualité de mandataire de l'appelante ; cette dernière a pourtant refusé de lui régler ses honoraires malgré les termes de leur accord ; si l'appelante avait effectué des démarches pour obtenir le dégrèvement souhaité, il en aurait été fait mention dans la convention conclue ; or, il y est très exactement indiqué l'inverse ; si ces prétendues démarches s'étaient avérées fructueuses, les dégrèvements auraient été notifiés à l'appelante ; tel n'a pas été le cas ;



MOTIFS DE LA DECISION


Il est constant que l'expert graphologue commis, Madame Z..., a mené ses opérations techniques hors de la présence des parties et qu'à leur issue, elle ne leur a pas soumis les résultats de ses investigations, soit au cours d'une réunion, soit en leur envoyant un
pré-rapport en les invitant à faire connaître leur avis sous forme de dires ;

Il importe peu que cette "restitution" n'ait pas été prévue dans la mission qui lui était dévolue ;

S'il était possible à l'expert désigné, tant selon la jurisprudence européenne que nationale, de procéder à certaines opérations -c'est notamment le cas en matière graphologique- sans que les parties soient convoquées en raison des spécificités de la technique mise en oeuvre de laquelle il résulte que leur présence permanente ne s'impose pas, il lui appartenait d'assurer le respect du principe du contradictoire en les mettant à même de débattre contradictoirement des mérites du travail réalisé et de le critiquer sur tel ou tel aspect méthodologique ou technique ;

Grâce à ce processus, l'expert se mettait en mesure, soit le cas échéant de pallier les insuffisances de son travail, soit de répondre utilement aux objections qui lui sont faites ;

Au cas présent, l'expert a méconnu le principe de la contradiction, ce qui se suffit sans qu'il y ait lieu d'exiger de celui qui s'en plaint de faire la démonstration qu'il en est résulté, pour lui, quelque grief ;

Pour autant, la nullité ne frappe que celles des opérations effectuées en méconnaissance du principe de la contradiction de sorte qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'intégralité du travail réalisé par l'expert ; il peut parfaitement être rémédié aux carences de l'expertise de Madame Z... par la reprise des seules opérations affectées de la violation du principe du contradictoire ;

D'où il suit que seul doit être annulé le dépôt du rapport auprès de la juridiction l'ayant commandé ;

Il convient en conséquence d'inviter l'expert à adresser aux parties le travail qu'elle a rédigé, lequel doit être regardé comme son pré-rapport et de provoquer le dépôt éventuel des dires des parties auxquelles elle répondra avec précision ;

Pour ce faire, le dossier doit être renvoyé devant le Conseiller de la Mise en Etat ;

Les demandes des parties et les dépens sont réservés ;


PAR CES MOTIFS


La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Annule le seul dépôt auprès du Tribunal de Commerce de VILLENEUVE-SUR-LOT du rapport d'expertise de Madame Z..., expert graphologue,

Dit que celle-ci reprendra ses opérations sur ses dernières errements,

En conséquence, l'invite à adresser le travail qu'elle a rédigé -considéré comme son
pré-rapport- aux parties, à fixer à ces dernières un délai raisonnable pour qu'elles lui fassent éventuellement part de leurs observations et de leurs objections et à y répondre avec précision,

Fait retour du dossier au Conseiller de la Mise en Etat,

Réserve les demandes des parties et les dépens.