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Décisions

Cass. 1re civ., 18 octobre 1994, n° 91-22.330

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grégoire

Rapporteur :

Mme Gié

Avocat général :

M. Lesec

Avocat :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Aix-en-Provence, du 23 sept. 1991

23 septembre 1991

Attendu que Pierre Y... est décédé en 1984, laissant à sa survivance son épouse avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens, leur fille Françoise, épouse X..., et deux enfants issus d'une précédente union, Jean-Pierre et Geneviève Y... ; que, soutenant que Mme veuve Y... avait acheté au cours du mariage une villa, sise à Levens avec des deniers fournis par leur père, Jean-Pierre et Geneviève Y... ont formé, le 16 octobre 1984, une action en nullité de donation déguisée ; qu'en cause d'appel, ils ont prétendu qu'en dissimulant cette libéralité, Mme Y... s'était rendue coupable de recel ; que cette dernière a demandé le partage de la succession de son conjoint prédécédé, à laquelle elle a réclamé des aliments ; que l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 septembre 1991), a dit que la donation déguisée de deniers par Pierre Y... à son épouse pour l'acquisition de la villa, était nulle, que Mme Y... ayant recelé la libéralité depuis le 16 octobre 1984, date de l'assignation, devait être privée de toute part dans les sommes diverties, et qu'elle était débitrice, envers la succession, de la somme de 1 551 552 francs avec intérêts au taux légal à compter de cette date ; qu'il a, par ailleurs, débouté Mme Y... de sa demande de pension alimentaire à l'encontre de la succession ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y... et Mme X..., font grief à l'arrêt, qui a rejeté la demande en révocation de l'ordonnance de clôture et déclaré irrecevable les conclusions déposées par elles, postérieurement à cette ordonnance, d'avoir violé le principe de la contradiction en n'écartant pas des débats, même d'office, les conclusions déposées par leurs adversaires quelques jours avant l'ordonnance de clôture ;

Mais attendu que Mmes Y... et X..., qui ont conclu pour la première fois après le dépôt du rapport d'expertise le 29 mai 1991, soit six jours avant la date prévue pour la clôture de l'instruction, en formant des demandes incidentes nouvelles, qui ont été reçues, ne sauraient faire grief à la cour d'appel de ne pas avoir d'office écarté des débats les conclusions du 31 mai de leurs adversaires en réponse à leurs propres écritures, qui étaient elles aussi tardives ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que Mme Y... reproche encore à l'arrêt, d'avoir fait courir, à compter de l'assignation, les intérêts de la somme qu'elle devait restituer à la succession, alors, selon le moyen, que lorsqu'un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l'autre à cette fin, la créance n'est productive d'intérêts, qu'à compter du jour où elle est déterminée ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1099-1 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a estimé qu'en résistant à la demande de ses adversaires, et en contestant faussement l'origine des fonds ayant servi à l'acquisition, Mme Y... avait dissimulé la donation et s'était rendue coupable de recel, en a justement déduit que les intérêts de la somme détournée dont elle était débitrice à l'égard de la succession, courraient à compter de l'appropriation injustifiée ;

Que le moyen n'est donc pas fondé ;

Mais sur le même moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1099-1 du Code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte, que lorsqu'un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l'autre à cette fin, la donation n'est que de deniers et non du bien auquel ils sont employés ; qu'en ce cas, les droits du donateur ou de ses héritiers n'ont pour objet qu'une somme d'argent, suivant la valeur actuelle du bien d'après son état au jour de l'acquisition ;

Attendu que pour fixer à 1 551 552 francs, la somme dont Mme Y... est redevable envers la succession, en conséquence de l'annulation de la donation de deniers dont elle a bénéficié pour l'acquisition de l'immeuble, l'arrêt déduit de la valeur actuelle de ce bien, les dépenses d'amélioration financées par la donataire et réactualisées à la date de son arrêt ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la somme à restituer doit représenter la valeur actuelle qu'aurait eu l'immeuble sans les améliorations que le donataire lui a apportées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu les articles 207-1 et 208 du Code civil ;

Attendu que pour débouter Mme Y... de sa demande d'aliments à l'encontre de la succession, l'arrêt retient, que celle-ci ne justifie pas qu'elle soit dans le besoin, alors qu'elle est propriétaire d'un appartement à Nice et de la villa de Levens et que, par leur valeur importante et par les revenus locatifs qu'elle peut en tirer, elle peut utilement compléter sa pension de retraite, même si celle-ci est insuffisante pour couvrir les frais de la maison de retraite où elle doit vivre ;

Attendu, cependant, que c'est à la date où ils statuaient que les juges du fond devaient apprécier les besoins de la créancière d'aliments et les forces de la succession ;

Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans s'expliquer sur l'influence que pouvait avoir, quant à l'appréciation des besoins de Mme Y..., la condamnation qu'elle prononçait contre elle au profit de la succession de son conjoint, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a dit que Mme Y... était débitrice d'une somme de 1 551 552 francs envers la succession et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'aliments à l'encontre de celle-ci, l'arrêt rendu le 23 septembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.