CA Dijon, 2e ch. civ., 5 mai 2022, n° 20/01502
DIJON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Bailly
Avocats :
Me Gerbay, SCP Goguyer Lalande - Degioanni - Pontacq, Me Soulard, SCP Bouchard & Tresse
Mme X C, veuve Y, est la créatrice du concept « home sitting », qui consiste en un service de gardiennage de résidences et d'animaux domestiques, durant les absences de leurs propriétaires pour raisons de congés, les services étant rendus par des retraités, intervenants bénévoles.
Cette activité est soutenue par un site internet diffusant les offres de façon sécurisée, propriétaires et retraités disposant d'espaces personnels.
Mme Y a conclu des contrats de concession de marque et know how avec diverses agences présentes sur tout le territoire français et a notamment signé un contrat avec la société JPLGJ, SARL unipersonnelle créée par M. E F en 1988. Cette société, exerçant sous le nom commercial Home Sitting, est ainsi devenue concessionnaire pour les régions Bourgogne, Franche Comté et Territoire de Belfort.
Plusieurs avenants à ce contrat ont été régularisés par la suite, élargissant le territoire de la concession de la société JPLGJ.
A compter de l'année 2004, la société JPLGJ a pris en charge la communication, la gestion du site internet, la constitution des fichiers et la collecte des royalties dues pour l'utilisation de la marque Home Sitting à Mme Y, celle-ci se retirant du réseau et ne gérant plus d'agence.
Par courrier recommandé du 9 juillet 2014, la société JPLGJ a fait part à Mme Y de sa volonté de mettre un terme au contrat de concession de marque, dans la mesure où la dénomination Home Sitting était devenue un générique largement utilisé par la concurrence. La société JPLGJ a précisé que la résiliation du contrat prendrait effet au 31 décembre 2015, et qu'elle continuerait jusqu'à cette date à collecter les royalties des autres agences concessionnaires et à les reverser à Mme Z
Par exploit du 19 janvier 2016, Mme Y a fait assigner la société JPLGJ devant le tribunal de commerce de Dijon, afin de la voir condamner :
- à lui verser la somme de 16 046,32 euros au titre des royalties dues en 2015 ;
- à lui restituer l'intégralité du fichier "retraités" à la date du 31 décembre 2015 sans en garder copie, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- à lui interdire d'utiliser le fichier "retraités" à compter du 1er janvier 2016 sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ;
- à lui payer la somme de 200 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale commise.
In limine litis, la société JPLGJ a soulevé l'incompétence matérielle de la juridiction saisie au profit des juridiction spécialisées.
Par jugement du 9 février 2017, le tribunal de commerce de Dijon s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nancy.
Sur contredit exercé par Mme Y, la cour d'appel de Dijon, par arrêt du 5 octobre 2017, a infirmé le jugement du 9 février 2017, a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société JPLGJ au motif du non respect des dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, et a renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Dijon, pour poursuite de la procédure.
Dans le dernier état de ses demandes, Mme Y a sollicité :
- le rejet de la nouvelle exception d'incompétence et/ou fin de non recevoir soulevée par la société JPLGJ ;
- que le tribunal se déclare d'office incompétent pour connaître de la demande reconventionnelle de la société JPLGJ en nullité de la marque Home Sitting en application de l'article 714-6 du code de la propriété intellectuelle, et de renvoyer l`examen de cette demande devant le tribunal de grande instance de Nancy ;
- le rejet de l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société JPLGJ ;
- la condamnation de la société JPLGJ à lui payer une somme de 100 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale commise par la société JPLGJ, sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
La demanderesse a exposé :
- qu'il résultait de l'article 86 du code de procédure civile que la question de la compétence ne pouvait être soulevée qu'une seule fois, même s'il s'agissait d'une question d'ordre public ; que la société JPLGJ ne pouvait donc invoquer à nouveau l'incompétence du tribunal de commerce de Dijon pour les mêmes motifs que ceux fondant l'exception d'incompétence qui avait été déclarée irrecevable par la cour d'appel ; que le défaut de pouvoir du tribunal ne pouvait fonder une fin de non recevoir ; qu'en tout état de cause, elle n'agissait pas pour obtenir la protection d'un quelconque droit de marque, mais uniquement pour dénoncer l'utilisation déloyale de la dénomination Home Sitting dans le cadre d'un comportement qualifié de parasitisme ;
- que le tribunal devait en revanche se déclarer d'office incompétent sur la demande de la société JPLGJ d'annulation de la marque Home Sitting, qui relevait d'une juridiction spécialisée, et qui avait été formée postérieurement à l'exception d'incompétence ayant donné lieu à la procédure de contredit
;
- que, dans le cadre du contrat de mandat en cours depuis 2004, la société JPLGJ avait eu accès à l`ensemble des données et informations en lien avec le concept Home Sitting et avait vampirisé ses fichiers et méthodes de travail, entendant se les approprier sans avoir à verser de contrepartie financière ;
- que le fait que le concept de home sitting ne soit désormais plus protégé du fait d'une éventuelle dégénérescence n'autorisait pas la société JPLGJ à agir comme elle l'entendait, en se servant de toutes les informations qu'elle avait pu obtenir du fait de leur collaboration ; qu'elle ne pouvait se lancer dans une activité similaire qu'à la condition de ne pas se livrer à son égard à une concurrence déloyale qui tomberait sur le coup de l'article 1382 du code civil ;
- que, pourtant, la société JPLGJ avait eu un comportement parasitaire en utilisant la dénomination Homesitting/Homesitter, en portant des informations erronées sur ses documents publicitaires et en créant ainsi la confusion dans l'esprit du public ; que la société JPLGJ procédait en outre à un démarchage déloyal, ainsi qu'à un dénigrement de Mme Y, et souhaitait s'approprier sans payer le fichier retraités.
La société JPLGJ a demandé au tribunal :
In limine litis :
- de prononcer d'office l'incompétence du tribunal de commerce de Dijon sur le fondement de l'article 92 alinéa l du code de procédure civile en raison de la compétence exclusive des juridictions désignées par l'article D 211-1-6 du code de l'organisation judiciaire pour le contentieux des marques et des bases de données ;
- de déclarer les demandes de Mme Y irrecevables en raison du défaut de pouvoir du tribunal de commerce pour statuer, ce qui constitue une fin de non-recevoir au sens des articles 122 et suivants du code de procédure civile ;
Au fond :
- de dire que le fichier développé par la société JPLGJ à ses propres frais est une base de données, dont elle est propriétaire conformément à l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;
- de dire que la dénomination Home Sitting est passée dans le domaine public pour désigner un service de gardiennage de résidences ;
- à titre reconventionnel, de prononcer la nullité de la marque Home Sitting pour dégénérescence sur le fondement de l'article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle ;
- de dire et juger que la société JPLGJ n`a commis aucune manoeuvre déloyale à l'égard de Mme Y ;
- de débouter Mme Y de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.
La société JPLGJ a fait valoir :
- que le contentieux des bases de données ainsi que celui des marques relevaient des tribunaux spécialisés, de sorte que la juridiction saisie était incompétente pour en connaître ; que le défaut de pouvoir du tribunal pour statuer en droit des marques et droit de la propriété littéraire et artistique devait à tout le moins donner lieu à une fin de non-recevoir sur les demandes de Mme Y ;
- qu'elle contestait tout acte de concurrence déloyale ou de parasitisme, le contrat liant les parties ayant été résilié dans le respect de ses dispositions, et son activité s'étant poursuivie sans qu'ait été entretenu aucune confusion avec l'activité de Mme Y, la société JPLGJ ayant créé ses propres fichiers et bases de données.
Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal de commerce a :
- débouté la société JPLGJ de sa demande visant à ce que soit prononcée l'incompétence du tribunal de céans ;
- débouté la société JPLGJ de sa demande visant à ce que Mme X Y soit déclarée irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de céans ;
- renvoyé la société JPLGJ devant le tribunal judiciaire de Nancy (pôle civil, ex tribunal de grande instance), pour qu'elle y soit entendue en sa demande reconventionnelle tendant à l'annulation de la marque Home Sitting pour 'dégénérescence' ;
- dit que le greffe du tribunal de commerce communiquera le dossier de la présente affaire, ainsi que copie des présentes, audit tribunal judiciaire de Nancy ;
- débouté Mme X Y de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné Mme X Y à payer à la société JPLGJ la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme X Y à tous les dépens de l'instance dont frais de greffe indiqués en tête des présentes auxquels devront être ajoutés le coût de l'assignation et les frais de mise à exécution de la présente décision ;
- rejeté la demande au titre de l'exécution provisoire ;
- rejeté toutes autres demandes.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que l'exception d'incompétence soulevée par la société JPLGJ devait être rejetée par application de l'article 86 du code de procédure civile, l'arrêt de la cour d'appel du 5 octobre 2017 ayant déclaré le tribunal de commerce de Dijon compétent, et la décision de renvoi s'imposant au juge et aux parties ;
- que, contrairement à ce que soutenait Mme Y, le moyen tiré du défaut du pouvoir juridictionnel pouvait constituer une fin de non-recevoir ; que Mme Y avait abandonné ses demandes initiales, et ne sollicitait plus, dans ses conclusions récapitulatives, que la réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale, laquelle relevait de la compétence du tribunal de commerce, de sorte que le moyen tiré du défaut de pouvoir devait être rejeté ;
- que la demande d'annulation de la marque Home Sitting était de la compétence d'une juridiction spécialisée conformément aux disposions de l'article L 716-3 du code de la propriété intellectuelle ; que cette demande reconventionnelle avait été introduite postérieurement à l'arrêt de renvoi de la cour d'appel, qui ne s'était pas prononcée à son égard, et que, de surcroît, elle visait une compétence d'ordre public, de sorte que le tribunal pouvait se déclarer d'office incompétent, conformément aux dispositions de l'article 76 du code de procédure civile ; que la demande reconventionnelle de la société JPLGJ devait être renvoyée devant le tribunal judiciaire de Nancy, au pôle civil ayant repris la compétence de l'ex tribunal de grande instance de Nancy, compétent en application de l'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire ;
- sur le fond, qu'il était constant que la société JPLGJ, dans l'application du contrat signé entre les parties, avait collaboré avec Mme Y et avait eu accès à son fichier clients ; que la convention prévoyait une possibilité de rupture moyennant un préavis suffisant, et que ce contrat avait été résilié par JPLGJ le 9 juillet 2014 avec une échéance au 31 décembre 2015, ce qui constituait un préavis plus que raisonnable qui aurait pu permettre à Mme Y de réorganiser son activité ; que Mme Y ne reprochait pas à la société JPLGJ de se lancer seule dans le concept du home sitting, ni même d'utiliser le terme home sitting, le concept ou les méthodes de travail y afférentes, mais fondait son action sur le parasitisme et sur une confusion qu'aurait créée la société JPLGJ, laquelle avait constitué intégralement un nouveau fichier et de nouvelles méthodes de travail sans s'approprier illégalement ceux appartenant à Mme Y ;
que celle ci invoquait encore le fait que les personnes mises en avant par la société JPLGJ pour réaliser les prestations de gardiennage faisaient figurer leur expérience passée avec sa propre société, à la manière d'un curriculum vitae, alors que la rémunération de la société JPLGJ était tirée, non pas de ses gardiens, mais des clients qui choisissaient de faire garder leur maison ; que Mme Y reprochait l'utilisation de son fichier clients alors qu'aucun listing comparatif n'était versé aux débats pour étayer ces propos ; que la seule baisse de son chiffre d'affaires liée à la rupture, dans le respect des termes du contrat initialement établi, ne saurait être confondue avec un détournement de clientèle ;
- qu`ainsi, en l'absence d'éléments démontrant qu'une quantité non négligeable d'anciens clients de la demanderesse avaient contracté avec la société JPLGJ en pensant le faire avec Mme Y, cette dernière devait être déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Mme Y a relevé appel de cette décision le 18 décembre 2020, dans la limite des chefs portant rejet de l'ensemble de ses demandes, et condamnation à paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au titre des dépens.
Par ordonnance d'incident du 14 septembre 2021, le conseiller de la mise en état a débouté Mme Y de ses demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à la société JPLGJ de produire son fichier retraité à la date des 31 décembre 2015 et 1er janvier 2016, le cas échéant sous astreinte financière, subsidiairement que soit désigné tel constatant qu'il plaira à l'effet d'opérer une comparaison entre le fichier retraité produit par Mme Y en pièce n°85 et le fichier retraité de la société JPLGJ à la date des 31 décembre 2015 et 1er janvier 2016.
Par conclusions n°3 notifiées le 20 septembre 2021, l'appelante demande à la cour :
- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme X Y de l'ensemble de ses demandes et condamné à payer une somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société JPLGJ ainsi qu'à tous les dépens de l'instance ;
Statuant à nouveau ;
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 5 octobre 2017,
Vu l'article 86 du code de procédure civile,
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
Avant dire droit,
Vu les articles 138, 139, 142, 788 et 907 du code de procédure civile,
- d'enjoindre à la société JPLGJ de produire son fichier retraité à la date des 31 décembre 2015 et 1er janvier 2016, le cas échéant sous astreinte financière ;
Subsidiairement,
- de désigner tel constatant qu'il plaira au visa de l'article 249 du code de procédure civile à l'effet d'opérer une comparaison entre le fichier retraité produit par Mme Y en pièce n°85 et le fichier retraité de la société JPLGJ à la date des 31 décembre 2015 et 1er janvier 2016 ;
En tout état de cause,
- de dire et juger que la société JPLGJ s'est rendue coupable d'actes de concurrences déloyales à l'égard de Mme X Y, qui lui a causé un préjudice ;
- de condamner la société JPLGJ à réparer l'entier préjudice subi par Mme X Y sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- de condamner la société JPLGJ à payer à Mme X Y une somme de 100 000 euros à titre dommages intérêts en réparation du préjudice subi ;
- de condamner la société JPLGJ à payer à Mme X Y une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile couvrant tant les frais irrépétibles exposés en première instance que les frais irrépétibles exposés en appel ;
- de condamner la société JPLGJ aux entiers dépens ;
- de rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société JPLGJ.
Par conclusions notifiées le 13 avril 2021, la société JPLGJ demande à la cour :
Vu les articles L. 112-3 et L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,
- de débouter Mme Y de sa demande de dommages et intérêts ;
- de confirmer le jugement déféré ;
- de condamner Mme Y à payer à la société JPLGJ en appel la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux dépens de l'instance.
La clôture de la procédure a été prononcée le 8 février 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
A titre liminaire, il convient de rappeler que le jugement déféré n'est remis en cause qu'en ce qui concerne la demande d'indemnisation formée par Mme Y sur le fondement de la concurrence déloyale.
Sur la demande avant dire droit
Faisant valoir que la société JPLGJ avait agi de manière déloyale en exploitant dans le cadre de sa nouvelle activité le fichier des retraités qu'elle tenait de ses relations contractuelles avec elle, l'appelante demande avant dire droit qu'il soit enjoint à l'intimée de produire ses fichiers retraités aux dates des 31 décembre 2015 et 1er janvier 2016, aux fins de comparaison.
Dans le corps de ses écritures, la société JPLGJ soulève une fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau de cette demande, mais cette fin de non-recevoir n'est pas reprise dans le dispositif de ses conclusions, qui seules saisissent la cour par application de l'article 954 du code de procédure civile. Au surplus, l'irrecevabilité soulevée est en tout état de cause dépourvue de pertinence, la demande de communication de pièces avant dire droit ne constituant pas une prétention au fond.
L'intimée fait ensuite valoir qu'elle ne pouvait être contrainte à produire des fichiers dont elle était propriétaire.
Indépendamment de la question de la propriété des fichiers, sur laquelle il sera statué plus avant, il sera rappelé qu'il n'appartient pas à la cour de pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve, alors au surplus que, comme il résultera des développements au fond, la production sollicitée n'est d'aucune façon nécessaire à la solution du litige.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur le fond
Mme Y critique la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts qu'elle avait formée à l'encontre de la société JPLGJ au titre de la concurrence déloyale développée par celle-ci à la suite de la résiliation du contrat de concession de marque par lequel elles avaient été liées jusqu'au 31 décembre 2015.
L'intimée réplique en premier lieu qu'il ne peut y avoir concurrence déloyale entre les parties, dès lors que Mme Y ne serait plus en activité, mais serait retraitée depuis 2004. A l'appui de son argumentation, elle invoque des mentions du RCS, qui sont cependant totalement invérifiables en l'absence de production de tout document émanant de ce service. Il n'est par ailleurs pas anodin de constater que la société JPLGJ ne conteste pas que divers concessionnaires de la marque créée par Mme Y avaient poursuivi leurs relations avec cette dernière, et qu'elle indique elle même que l'appelante continue de percevoir des royalties de la part des concessionnaires n'ayant pas résilié leur contrat. Dès lors ainsi qu'il est établi que Mme Y bénéficie toujours de revenus provenant d'activités de home sitting exploitées sous la marque dont elle est la concédante, il existe bien une situation objective de concurrence entre elle et la société JPLGJ, qui exerce, sous sa propre marque, une activité parfaitement similaire.
Au soutien de sa position, l'appelante invoque plusieurs comportements qu'elle qualifie d'actes de parasitisme.
Elle fait d'abord grief à la société JPLGJ de la similitude du nom choisi par cette dernière pour exercer sa nouvelle activité, à savoir « Homesitting Homesitter », dont elle considère que la forte ressemblance avec sa propre marque « Homesitting » est de nature à créer la confusion dans l'esprit de la clientèle.
S'il n'est pas contestable que les deux dénominations sont effectivement très proches l'une de l'autre, il n'en demeure pas moins qu'il est constant que le terme « homesitting » est désormais passé dans le langage commun pour désigner l'activité exercée par les deux parties, alors que la production de copies d'écran de moteurs de recherche internet confirme par ailleurs que ce terme est très largement employé, sous diverses déclinaisons, dans la désignation des entités intervenant dans ce domaine.
Mme Y est au demeurant d'autant moins fondée à reprocher à la société JPLGJ le choix de ce nom qu'elle ne s'est manifestement jamais souciée particulièrement de la reprise de sa propre marque dans la dénomination commerciale de divers concurrents. C'est ce qui ressort sans ambiguïté des pièces produites par l'intimée, à savoir plusieurs mails adressés par certains concessionnaires de la marque créée par Mme Y pour s'émouvoir auprès de celle-ci de la réutilisation de cette marque par d'autres acteurs du secteur, sans pourtant que ces signalements aient donné lieu à une quelconque suite de la part de l'appelante.
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que le choix de nom de la société JPLGJ constitue un acte de parasitisme.
Mme Y invoque ensuite la présence sur le site internet de l'intimée d'informations qu'elle estime mensongères s'agissant de l'expérience de la société JPLGJ, présentée comme ayant plus de vingt années d'existence, alors qu'elle serait de création récente.
Force est en premier lieu de constater que, ce faisant, l'appelante commet une confusion entre la société JPLGJ elle-même, qui est effectivement déjà ancienne comme ayant été créée en 1988, et la nouvelle dénomination sous laquelle elle exerce son activité depuis la fin de sa collaboration avec Mme Z A tout état de cause, la lecture des informations mises en cause par Mme Y fait apparaître que la seule référence faite à l'expérience acquise dans le domaine du homesitting est attribuée, non à l'enseigne commerciale, ni même à la société JPLGJ, mais exclusivement aux dirigeants de celle-ci, ce qui est le strict reflet de la réalité, peu important que l'expérience professionnelle invoquée ait été acquise dans le cadre de l'activité exercée en qualité de concessionnaire de Mme Z
C'est encore vainement que l'appelante se prévaut de l'identité des documents utilisés par la société JPLGJ dans le cadre de sa nouvelle activité avec ceux qu'elle utilisait précédemment dans le cadre du contrat de concession, alors que la comparaison entre les exemplaires respectifs de contrats d'engagement produits aux débats suffit à établir l'existence de différences notables entre ces documents, tant dans leur intitulé, que dans leur présentation formelle, que dans leur contenu littéral.
S'il est ensuite fait état d'un détournement de clientèle, Mme Y argumente cependant à cet égard sur des confusions opérées par certains retraités homesitters entre les deux entités. Or, il doit être rappelé que la clientèle, tant de Mme Y que de la société JPLGJ, ne s'entend pas des retraités bénévoles auxquels ils font appel pour assurer les prestations, mais des particuliers qui ont recours à ce service, et au sujet desquels il n'est en revanche pas rapporté le moindre élément de nature à établir la réalité d'une confusion.
Mme Y poursuit en reprochant à la société JPLGJ d'avoir procédé auprès des autres concessionnaires à un démarchage agressif en vue de les voir résilier les contrats conclus avec elle, et rejoindre son propre réseau « Homesitting homesitter ».
Il est établi par divers documents produits de part et d'autre que l'intimée a en effet pris contact avec les autres concessionnaires de la marque créée par Mme Y afin de leur proposer de mettre fin aux contrats les liant à cette dernière, et de poursuivre leur activité en collaboration avec elle-même. Toutefois, une telle démarche n'est pas en elle-même critiquable, tant qu'elle ne s'accompagne pas de manoeuvres déloyales destinées à discréditer la concurrence. Tel n'est pas le cas d'une information objective donnée à certains acteurs économiques choisis concernant la création d'une nouvelle entité qu'ils sont invités à rejoindre, peu important qu'y soit joint un exemplaire du contrat à signer en cas d'accord, ou encore un modèle de lettre de résiliation des relations contractuelles antérieures. Ces éléments, qui ont pour seul objet de faciliter la mise en place d'éventuelles nouvelles relations contractuelles, ne sont en effet pas de nature à influer déloyalement sur le libre arbitre du démarché. Contrairement à ce que soutient par ailleurs l'appelante, le fait que le modèle de nouveau contrat joint au mailing comporte une clause par laquelle la société JPLGJ déclare se dégager de toute responsabilité en cas d'action de la part de Mme Y ne peut en aucun cas s'analyser en un aveu de l'emploi de manoeuvres déloyales, alors qu'au contraire toute responsabilité à cet égard est expressément contestée par cette clause.
Mme Y soutient cependant que le démarchage s'était en l'espèce accompagné de la tenue de propos dénigrants à son encontre, lesquels avaient été matérialisés au travers de deux mails adressés par l'intimée aux concessionnaires les 21 septembre et 5 octobre 2015. Le premier de ces courriels comporte l'indication suivante : 'comme vous le savez, X Y n'a jamais entrepris de démarche pour nous protéger de la concurrence, au contraire elle préfère nous menacer plutôt que de nous défendre.' Le second mentionne notamment 'ni X Y, ni d'ailleurs personne d'entre vous n'a proposé de solution pour la suite de notre activité' et 'il est fortement déplaisant de se voir critiquer en permanence alors qu'il me semble n'avoir rien lu ou entendu de votre part envers C. Y qui elle nous menace en permanence d'huissier, d'avocat...'
Ces emails révèlent sans ambiguïté l'existence d'une animosité de leur rédacteur envers Mme Y, voire même envers les concessionnaires eux-mêmes. Pour autant, ils ne font que se référer au différend opposant de longue date l'appelante à la société JPLGJ ainsi qu'à certains de ses concessionnaires s'agissant du reproche qui lui était fait par ces derniers de ne pas oeuvrer concrètement pour la protection de la marque « Homesitting », au titre de laquelle ils s'acquittaient du paiement de royalties, face à son utilisation par des concurrents de plus en plus nombreux.
En tout état de cause, ce démarchage n'a manifestement pas profité à la société JPLGJ, puisque, de son propre aveu, la plupart des concessionnaires démarchés ont choisi de poursuivre leur activité avec Mme Z
Il ne saurait donc en être tiré la caractérisation d'un acte de concurrence déloyale.
L'appelante fait enfin grief à l'intimée de s'être déloyalement approprié, pour l'exercice de sa nouvelle activité, le fichier des retraités utilisé dans le cadre de son activité antérieure de concessionnaire.
La volonté de Mme Y de pouvoir comparer les fichiers retraités utilisés par l'intimée respectivement à la date du 31 décembre 2015, soit au dernier jour de son activité sous la marque « Homesitting », et du 1er janvier 2016 et la demande de communication qu'elle avait formée avant dire droit à cet égard sont manifestement inutiles. En effet, l'intimée n'a jamais prétendu avoir utilisé à compter du 1er janvier 2016 un fichier différent de celui utilisé la veille, mais argumente au contraire sur le fait qu'une poursuite de l'utilisation du même fichier est légitime, dans la mesure où elle se considère comme en étant, depuis 2004, la seule propriétaire.
Il sera rappelé que ce fichier répertorie l'identité et les coordonnées de l'ensemble des retraités auxquels les sociétés concessionnaires peuvent recourir pour assurer les prestations de gardiennage qui leur sont confiées par leur clientèle. Il est par nature évolutif au fil des années, pour prendre en compte l'arrivée de nouveaux retraités, et la cessation d'activités de certains inscrits, et nécessite donc nécessairement un travail régulier de mise à jour.
Le « contrat de concession de marque et know how » conclu entre les parties stipule en son article 2.3 que « le fichier de « retraités résidents » est organisé et centralisé par la concédante. Celle-ci indiquera au concessionnaire ceux qui ont manifesté le désir de se déplacer vers telle ou telle région. Les candidatures de retraités devront impérativement être dirigées vers la concédante. Ce fichier est PROPRIETE DE LA CONCEDANTE (en majuscules dans le texte d'origine) ».
Il en résulte sans ambiguïté que ce fichier est centralisé et unique, et qu'il est géré par la concédante, c'est-à- dire Mme Y, laquelle en a la propriété exclusive, étant observé que cette propriété revêtait à l'évidence un caractère essentiel pour les parties, ainsi qu'en atteste son libellé en caractères majuscules.
Aucun avenant ultérieur n'est venu modifier ces dispositions, de sorte que Mme Y était toujours propriétaire de ce fichier à la date de la cessation de ses relations avec la société JPLGJ. Il ne pouvait en tout état de cause en être autrement, l'appelante ne pouvant se départir de la propriété du fichier au profit de la société JPLGJ ou de tout autre personne, comme devant continuer d'en faire bénéficier l'ensemble de ses autres concessionnaires aux termes des contrats respectivement conclus avec chacun d'eux.
S'il est certes constant qu'à partir de l'année 2004, c'est matériellement la société JPLGJ qui a pris en charge la gestion et la mise à jour du fichier des retraités résidents, comme d'ailleurs la perception auprès des différents concessionnaires des royalties en vue de leur reversement à Mme Y, c'est manifestement en vertu d'un contrat de mandat non écrit qui lui a été confié à ces fins par l'appelante, mais qui n'a en aucun cas emporté transfert de propriété du fichier au profit du mandataire.
Dès lors, l'appropriation pure et simple de ce fichier par l'intimée dans le cadre de l'exploitation de sa nouvelle marque constitue une manoeuvre déloyale, alors qu'il lui aurait appartenu de mettre à profit la période de préavis pour se constituer un fichier spécifique, notamment en sollicitant le cas échéant le concours des retraités inscrits sur la liste « Homesitting », puisque rien n'interdisait à ceux-ci de s'inscrire auprès de sociétés différentes. Or, tel n'a aucunement été le cas, ainsi qu'il est amplement démontré par les nombreuses attestations de retraités résidents inscrits sur le fichier « Homesitting » que produit Mme Y, et dont il résulte que les intéressés n'ont aucunement été avisés par la société JPLGJ du changement intervenu au 1er janvier 2016, à telle enseigne que nombre d'entre eux ont, de parfaite bonne foi, opéré une confusion entre les deux entités, croyant régler leur cotisation auprès de la première, tandis que leur paiement était encaissé par la deuxième, ou pensant s'engager pour une mission auprès de l'une, alors qu'ils avaient été contactés par l'autre.
Mme Y ne caractérise pas l'existence d'un préjudice matériel résultant des agissements de la société JPLGJ, étant relevé que la perte de royalties dont elle fait état n'est que la conséquence financière de la résiliation des contrats de concession ayant lié la société JPLGJ et d'éventuels autres concessionnaires à Mme Y, ces résiliations n'étant pas fautives en elles-mêmes.
Il reste que le comportement déloyal de l'intimée a nécessairement causé à l'appelante un préjudice moral, que les circonstances de l'espèce permettent de chiffrer à 15 000 euros.
La société JPLGJ sera en conséquence condamnée à verser cette somme à Mme Y à titre de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
Il devra également être infirmé s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
La société JPLGJ sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à Mme Y la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Et dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement rendu le 15 octobre 2020 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme X D, veuve Y, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux frais de défense irrépétibles et aux dépens ;
Statuant à nouveau de ces chefs, et ajoutant :
Condamne la société JPLGJ à payer à Mme X D, veuve Y, la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la société JPLGJ à payer à Mme X D, veuve Y, la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société JPLGJ aux entiers dépens de première instance et d'appel.