Cass. 1re civ., 20 décembre 2012, n° 11-26.151
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Avocats :
Me Spinosi, SCP Fabiani et Luc-Thaler
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2011), que la société Lobster films s'est vue remettre, en vue de procéder à sa restauration, un contretype du film intitulé " L'Etroit Mousquetaire ", écrit et réalisé par Gabriel X..., dit Max Y..., décédé le 31 octobre 1925 ; que la fille et unique héritière de ce dernier, Mme X..., dite Maud Y..., s'étant opposée à la projection publique du film ainsi restauré, qui porterait atteinte à ses droits, la société a recherché sa responsabilité ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'est pas titulaire des droits patrimoniaux, tant d'auteur que de producteur, attachés au film " L'Etroit Mousquetaire " alors, selon le moyen :
1°/ que l'auteur du texte parlé est présumé, sauf preuve contraire, être le coauteur de l'oeuvre audiovisuelle ; qu'en énonçant que les dispositions de l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, invoquées par Maud Y..., selon lesquelles l'auteur du texte parlé est présumé, sauf preuve contraire, coauteur d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration, sont inopérantes en l'espèce, les intertitres d'un film muet ne pouvant être assimilés aux dialogues d'un film parlant, quand les textes d'un film muet ont cependant strictement la même fonction que les dialogues d'un film parlé de sorte qu'il n'y a aucune raison d'exclure la protection de l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel a violé l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que l'auteur du texte parlé est présumé, sauf preuve contraire, être le coauteur de l'oeuvre audiovisuelle ; qu'en énonçant que la mention " Titl. Tom Z... " est manifestement insuffisante au regard de celle qui sur ce même document attribue clairement à Max Y... l'écriture du scénario du film, à établir que Thomas Z..., loin d'avoir oeuvré sous les directives de Max Y..., serait l'auteur intellectuel du texte des cartons et partant coauteur de l'oeuvre cinématographique, quand la seule qualité d'auteur des textes parlés fait présumer celle de coauteur de l'oeuvre, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu que c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments produits aux débats, a retenu que la mention " Titl. Tom Z... " figurant sur le catalogue de l'American Film Institute était insuffisante, au regard de celle qui, sur ce même document, attribuait clairement à Max Y... l'écriture du scénario du film, à établir que Thomas Z..., loin d'avoir oeuvré sous les directives de ce dernier, serait l'auteur intellectuel du texte des cartons, de sorte que la présomption édictée par l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle ne trouvait pas à s'appliquer et que, dès lors, Mme X... ne pouvait se prévaloir de la date du décès de celui-ci, survenu en 1962, pour prétendre être toujours titulaire, en application de l'article L. 123-2 du même code, des droits d'exploitation attachés à l'oeuvre ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, qui critique un motif surabondant, est pour le surplus mal fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'est pas propriétaire de l'ensemble des supports matériels du film " L'Etroit Mousquetaire " alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut dénaturer les clauses claires et précises des actes qui lui sont soumis et modifier les stipulations qu'il renferme ; qu'en l'espèce, Max Y... précisait dans son testament " je lègue à mon ami A... mes films " 7 ans de malheur-Soyez ma femme-L'Etroit mousquetaire et Le Roi du cirque " dès que les exclusivités en seront terminées " ; qu'en décidant qu'il s'infère des termes du testament et en particulier de ceux " dès que les exclusivités seront terminées " que le legs a pour objet les droits patrimoniaux d'auteur de Max Y... sur les quatre films en cause et ne concerne aucunement les supports matériels des films, quand le testament ne distinguait pourtant aucunement entre la propriété intellectuelle et la propriété corporelle des supports de l'oeuvre, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du testament litigieux et a par-là même violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la propriété ne se perd pas par le non-usage ; qu'en énonçant qu'il n'est pas démenti que Joseph A... n'a jamais revendiqué le négatif envoyé en Europe, dont il connaissait l'existence, et que Maud Y... ne démontre pas que ce négatif était dans le patrimoine de Max Y... au jour de son décès et par l'effet du legs entré dans le patrimoine de Joseph A..., quand l'absence de revendication du négatif n'avait pourtant pas fait perdre à Max Y... sa propriété sur ce bien, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que c'est par une interprétation nécessaire, exclusive de dénaturation, que les juges du fond ont retenu qu'il s'inférait des termes du testament de Max Y..., et en particulier de la clause " dès que les exclusivités en seront terminées ", que le legs consenti par ce dernier à Joseph A... avait pour objet les droits patrimoniaux d'auteur sur les films intitulés " Sept ans de malheur ", " Soyez ma femme ", " L'Etroit Mousquetaire " et " Le Roi du cirque " et ne concernait aucunement les supports matériels de ces films, propriété du producteur ;
Et attendu, ensuite, qu'après avoir constaté que Max Y... n'avait pas la qualité de producteur du film " L'Etroit Mousquetaire ", la cour d'appel a retenu que Mme X... ne démontrait pas que le négatif de ce film était dans le patrimoine de Max Y... au jour de son décès et en a exactement déduit que celui-ci n'avait pu entrer, par l'effet du legs, dans le patrimoine de Joseph A... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire que la société Lobster Films n'a pas porté atteinte à ses droits moraux alors, selon le moyen, que l'adjonction d'une musique d'accompagnement à la copie du film muet sans approbation de l'auteur ou de ses ayants droit porte atteinte au droit au respect de l'oeuvre ; qu'en relevant, pour exclure toute dénaturation de l'oeuvre du fait de l'adjonction d'une musique d'accompagnement, que la société Lobster Films justifie avoir pris les précautions nécessaires pour que l'oeuvre soit respectée en confiant la composition à une spécialiste reconnue de l'illustration musicale des films muets, sans rechercher si la musique choisie emportait une dénaturation de l'oeuvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle ensemble l'article L. 121-5 du même code ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la représentation publique du film litigieux dans les salles de cinéma avait toujours été accompagnée, du vivant de l'auteur, d'une musique jouée en direct et qu'il n'y avait pas trace de recommandations particulières laissées par ce dernier quant aux caractéristiques de la musique susceptible d'illustrer son oeuvre, la cour d'appel a retenu, d'une part, que la société Lobster Films justifiait avoir pris les précautions nécessaires pour que l'oeuvre soit respectée en confiant la composition musicale à une spécialiste reconnue de l'illustration musicale des films muets, d'autre part, que Mme X..., qui avait elle-même entrepris de diffuser le film avec un accompagnement musical, se gardait de caractériser précisément les atteintes prétendument portées à l'intégrité de l'oeuvre du fait de l'adjonction d'une bande sonore synchronisée, de sorte que celles-ci n'étaient pas constituées ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.