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Décisions

Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 15-28.467

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Gadiou et Chevallier, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 13 oct. 2015

13 octobre 2015

Vu leur connexité, joint les pourvois n° 15-28.467 et 16-11.759 qui sont formés contre le même arrêt ;

Donne acte à l'établissement public Opéra de Munich (l'Opéra de Munich) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. C... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le scénario dont Georges Y... est l'auteur, intitulé "Dialogues des carmélites" et inspiré d'une nouvelle écrite par Gertrud H...       , retrace le destin de seize carmélites de Compiègne, condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire, puis guillotinées, et s'organise autour du personnage imaginaire de Blanche de la Force, jeune aristocrate entrée au carmel par peur du monde, qui s'en échappera lorsque ses soeurs formeront le voeu de mourir en martyres, avant de décider de les rejoindre sur l'échafaud ; que l'oeuvre a été adaptée musicalement par Francis F... dans un opéra éponyme créé en 1957 ; qu'estimant que la représentation donnée en 2010 par l'Opéra de Munich, dans une mise en scène de M. C..., dénaturait les oeuvres de Georges Y... et de Francis F..., MM. Gilles Y... et Benoît Z..., agissant au nom des titulaires du droit moral de ceux-ci, ont assigné en contrefaçon l'Opéra de Munich, en la personne du Land de Bavière, ainsi que les sociétés Bel Air média et Mezzo qui ont coproduit une captation audiovisuelle d'une représentation de l'oeuvre, commercialisée sous forme de vidéogramme ; que Mme Rosine Z... et M. François B..., ayants droit de Francis F..., sont intervenus volontairement à l'instance ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal n° 15-28.467, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 113-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que, pour dire qu'elle réalise une atteinte au droit moral dont sont investis M. Gilles Y..., Mme B..., épouse Z..., et M. François B... sur les oeuvres de Georges Y... et de Francis F..., l'arrêt retient que la mise en scène de M. C... procède à une modification profonde de la scène finale qui confère aux dialogues qui la précèdent tout leur sens, Blanche rejoignant ses soeurs pour accomplir avec elles, dans la même confiance et la même espérance, le voeu de martyr prononcé, malgré elle, et constitue l'apothéose du récit, et que, partant, loin d'être l'expression d'une interprétation des oeuvres des auteurs, elle en modifie la signification et en dénature l'esprit ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la mise en scène litigieuse ne modifiait ni les dialogues, absents dans cette partie des oeuvres préexistantes, ni la musique, allant même jusqu'à reprendre, avec les chants religieux, le son du couperet de la guillotine qui scande, dans l'opéra de Francis F..., chaque disparition, et que la fin de l'histoire, telle que mise en scène et décrite par M. C..., respectait les thèmes de l'espérance, du martyr, de la grâce et du transfert de la grâce et de la communion des saints, chers aux auteurs de l'oeuvre première, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;

Et sur la troisième branche du moyen du même pourvoi :

Vu l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que l'arrêt ordonne à la société Bel Air média et au Land de Bavière, sous astreinte, de prendre toute mesure pour que cesse immédiatement et en tous pays la publication dans le commerce ou plus généralement l'édition, y compris sur les réseaux de communication au public en ligne, du vidéogramme litigieux et fait interdiction à la société Mezzo, sous astreinte, de diffuser ou autoriser la télédiffusion de celui-ci au sein de programmes de télévision et en tous pays ;

Qu'en se prononçant ainsi, sans examiner, comme elle y était invitée, en quoi la recherche d'un juste équilibre entre la liberté de création du metteur en scène et la protection du droit moral du compositeur et de l'auteur du livret, justifiait la mesure d'interdiction qu'elle ordonnait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. Z... et Mme A... irrecevables à agir, Mme Z... recevable à intervenir, M. Gilles Y... irrecevable à agir en qualité de mandataire de la succession de Georges Y..., mais recevable à intervenir à titre personnel, l'arrêt rendu le 13 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.