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Décisions

Cass. com., 29 mai 1990, n° 88-19.260

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

Mme Pasturel

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, SCP Célice et Blancpain

Dijon, du 29 sept. 1988

29 septembre 1988

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 29 septembre 1988), qu'après la mise en redressement judiciaire de la société Manufacture métallurgique de Tournus (la société MMT), dont la société Pechiney avait été l'actionnaire majoritaire jusqu'à une certaine époque, MM. X..., Dechelette et Champlong, qui exerçaient des fonctions d'encadrement dans l'entreprise (les cadres) ont fait connaître à l'administrateur de la procédure collective qu'ils entendaient présenter un plan de continuation fondé sur la " proposition d'une solution interne permettant de sauver l'essentiel de l'entreprise et de conserver les leviers de commande sur place tout en écartant le risque de mainmise sur la société par l'extérieur " ; que la société Péchiney, créancière de la société MMT à la suite d'engagements de caution contractés par elle en faveur de cette dernière, et qui avaient été mis à exécution, a adressé au juge-commissaire une lettre datée du 4 décembre 1986 dans laquelle, déclarant avoir été informée par les cadres de leur projet de plan, elle indiquait qu'elle était " favorable à une telle opération de reprise et disposée à faciliter la mise en oeuvre de ce plan de continuation par des abandons de créance en faveur des repreneurs " ; qu'à la suite de contacts pris par les cadres avec le groupe Bernard Tapie, la proposition de plan initiale a été modifiée par l'inclusion d'une disposition prévoyant la cession de 74,5 % des actions de la société MMT à ce groupe et que ce plan ainsi remanié a été adopté par le Tribunal le 27 novembre 1987 ; que le juge-commissaire a rejeté la créance déclarée par la société Péchiney aux motifs que celle-ci en avait consenti l'abandon par sa lettre du 4 décembre 1986 et que cet abandon avait été confirmé téléphoniquement au juge-commissaire ;.

Sur le premier moyen :

Attendu que la société MMT, le commissaire à l'exécution de son plan de redressement et le représentant des créanciers font grief à l'arrêt d'avoir, par infirmation de l'ordonnance susvisée, admis la société Péchiney au passif de la procédure collective en sa qualité de caution des engagements de la débitrice, alors, selon le pourvoi, qu'un jugement a la force probante d'un acte authentique ; qu'il en résulte que les éléments de fait constatés personnellement par le juge valent jusqu'à inscription de faux ; qu'ainsi, en décidant qu'il ne saurait être tiré argument d'une communication téléphonique privée adressée au magistrat ayant en charge le dossier concerné, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 457 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le juge ne doit former sa conviction que d'après les moyens de preuve admis par loi ; que la preuve n'est réputée légalement faite que si elle est administrée suivant les formes prescrites et qu'elle ne peut résulter des investigations personnelles poursuivies par le juge, en dehors de l'audience et, si elles n'ont pas été appelées, en l'absence des parties ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel, après avoir relevé le caractère privé de la communication téléphonique litigieuse, adressée au juge-commissaire par une personne inconnue, à une date non précisée et en l'absence de témoin, lui a dénié toute valeur probante ; que le moyen est donc sans fondement ;

Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir refusé d'admettre que la société Péchiney avait abandonné sa créance, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le plan de redressement arrêté par le tribunal est opposable à tous ; qu'en l'espèce, le plan agréé par le Tribunal le 27 novembre 1987 constatait que la société Péchiney avait abandonné ses créances ; que cette décision est devenue définitive ; qu'ainsi, en considérant que la société Péchiney n'avait pas donné son accord pour l'abandon de ses créances dans le cadre du plan agréé le 27 novembre 1987 par le tribunal, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire du plan de redressement et, partant, violé l'article 64 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, que la lettre rédigée par la société Pechiney et indiquant que cette dernière était favorable à l'opération de reprise présentée par les cadres et était disposée à faciliter la mise en oeuvre de ce plan de continuation par des abandons de créance en faveur des repreneurs constituait par son caractère affirmatif un engagement contractuel ; qu'ainsi, en décidant que cette lettre constituait une simple déclaration d'intention sans valeur obligatoire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil par fausse qualification ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir retenu, sans la dénaturer, que dans sa lettre du 4 décembre 1986, la société Péchiney n'avait fait qu'exprimer l'intention, si le plan des cadres de la société MMT était arrêté par le tribunal, de négocier dans un sens favorable aux repreneurs les modalités d'abandon de ses créances, et constaté que ce plan avait été modifié dans des dispositions substantielles par l'apparition du groupe Tapie disposant d'une forte majorité, la cour d'appel en a justement déduit, les conditions implicites mais dénuées d'ambiguïté posées par la correspondance précitée n'étant pas remplies, que la société Péchiney se trouvait déliée de ses propositions de négociation ;

Attendu, en second lieu, que, selon l'article 62, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985, les personnes qui exécuteront le plan ne peuvent, sous réserve de certaines dispositions de cette loi étrangères au cas d'espèce, se voir imposer des charges autres que les engagements souscrits par elles au cours de sa préparation ; que dès lors, la cour d'appel, en énonçant que l'entière mise en place du plan de redressement reposait sur l'évidence naturelle d'un abandon de créance de la société Péchiney tandis que la lettre de cette dernière n'était qu'une déclaration d'intention dont elle s'était trouvée dégagée, ce qui devait conduire à considérer qu'elle était toujours titulaire de sa créance, a fait l'exacte application du texte ci-dessus, sans méconnaître les dispositions de l'article 64 de la loi du 25 janvier 1985 ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.