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Décisions

Cass. 1re civ., 10 juillet 1990, n° 87-16.773

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Camille Bernard

Rapporteur :

M. Lemontey

Avocat général :

Mme Flipo

Avocat :

Me Ricard

Bordeaux, du 22 juin 1987

22 juin 1987

Attendu que les époux Y... ont, par acte du 1er août 1977, fait donation-partage de leurs biens immobiliers à leurs deux fils ; qu'ils ont stipulé, pour l'un des immeubles attribué à M. Z... Frappe, un droit d'usage et d'habitation à leur profit jusqu'au décès du survivant d'eux ainsi que l'interdiction pour le donataire de l'aliéner et de l'hypothéquer ; que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de M. X..., syndic de la liquidation des biens de M. Janick Y... prononcée le 11 mai 1982, tendant, sur le fondement de l'article 900-1 du Code civil, à l'annulation de la clause d'inaliénabilité et, subsidiairement, à l'autorisation de passer outre ;.

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief à cet arrêt d'avoir considéré que la clause d'inaliénabilité était justifiée par un intérêt moral et familial alors que la cour d'appel, en ne contestant pas que le droit d'usage et d'habitation fût opposable à tout acquéreur du bien grevé, ne pouvait ainsi, sans violer l'article 900-1 du Code civil, dire que la clause était justifiée par un intérêt sérieux et légitime puisque l'acquéreur ne pouvait troubler la jouissance et la sérénité des donateurs ;

Mais attendu qu'ayant procédé à la recherche de l'intention des donateurs, la cour d'appel a retenu que ceux-ci, " soucieux de se ménager pour leurs vieux jours, dans la tranquillité matérielle et morale, un toit sous lequel s'est déroulée la plus grande partie de leur vie, ont, en choisissant leur fils comme débiteur de leur droit d'usage et d'habitation présentant un caractère intuitu personae très fort, voulu que ce dernier s'exerce, exempt de tout trouble de jouissance qu'ils sont davantage fondés à espérer d'un fils que d'un tiers " ; qu'elle a pu en déduire que la clause, limitée dans le temps, était ainsi justifiée par un intérêt sérieux et légitime ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que le syndic X... reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir violé les articles 900-1 et 1166 du Code civil en disant que ni l'action oblique, ni l'article 15 de la loi du 13 juillet 1967 ne constituaient une base suffisante pour lui permettre d'exercer à la place du débiteur une action exclusivement attachée à la personne et où les considérations d'ordre familial et moral conduisent à faire prévaloir l'intérêt du débiteur bénéficiaire de la libéralité ou des donateurs sur celui des créanciers alors, selon le moyen, que les droits et actions du débiteur sont exercés par le syndic qui est seul juge de leur opportunité et que l'intérêt manifeste d'un débiteur étant de se libérer de ses dettes, l'intérêt le plus important n'était pas celui du " bénéficiaire " de la libéralité dont le droit d'usage et d'habitation est opposable à l'acquéreur ;

Mais attendu que l'arrêt attaqué n'a pas déclaré irrecevable l'action exercée par le syndic ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a procédé à l'appréciation concrète des intérêts en cause au sens de l'article 900-1 du Code civil et a retenu que l'intérêt du débiteur, bénéficiaire de la libéralité, de payer ses dettes, n'était pas plus important que celui des donateurs ; d'où il suit que le moyen est sans fondement ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour débouter le syndic de son action, l'arrêt attaqué énonce que l'acte de donation-partage a nanti le donataire de douze autres parcelles de terre nullement inaliénables et constituant un gage appréciable pour le créancier poursuivant dont la créance, qui a entraîné la liquidation des biens de M. Z... Frappe, est seulement de 22 607,71 francs ainsi que cela résulte du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 11 mai 1982 ;

Attendu, cependant, qu'en retenant ainsi dans sa décision ces éléments, qui étaient de nature à avoir une incidence dans l'appréciation des intérêts en présence sans que les parties, qui ne les avaient pas invoqués, aient été à même d'en débattre contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X..., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de M. A... Frappe, de sa demande d'autorisation à disposer de la maison située au bourg de Saugon et attribuée à M. A... Frappe, l'arrêt rendu le 22 juin 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.