Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-19.594
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gélineau-Larrivet
Rapporteur :
M. Boubli
Avocat général :
M. Duplat
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Donne acte à la société Axa conseil-vie et à la société Axa conseil-IARD, ..., venant aux droits des sociétés Union des assurances de Paris (UAP) Collectivités, UAP IARD et UAP-Vie, de ce qu'elles reprennent l'instance ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 juin 1998), que, le 1er juillet 1994, les compagnies UAP-Vie, UAP-IARD et UAP-Collectivités, aux droits desquelles se trouvent les sociétés Axa conseil-vie et Axa conseil-IARD, ont mis sur le marché un nouveau contrat collectif d'assurance dénommé " Réponse santé " ; que le comité d'établissement UAP Diderot, ayant estimé que ce nouveau produit emportait une baisse de rémunération des agents chargés de le commercialiser, a considéré qu'il devait être consulté sur le fondement des articles L. 432-3 et suivants du Code du travail ; que diverses organisations syndicales ont, pour leur part, soutenu que la question relevait de la négociation annuelle obligatoire ; que l'employeur ayant rejeté l'ensemble de ces prétentions, le comité et les organisations syndicales ont engagé une procédure judiciaire ;
Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir suspendu l'application de la décision relative à la commercialisation du contrat collectif d'assurance " Réponse santé " en ses dispositions emportant pour les salariés qui en sont chargés réduction du taux du commissionnement précédemment alloué à ceux-ci à raison de la commercialisation des contrats auxquels se substitue ledit contrat jusqu'à ce qu'il ait été procédé du chef de ses dispositions à l'information et à la consultation du comité d'entreprise, conformément à l'article L. 432-3, alinéa 1er, du Code du travail, alors, selon le moyen :
1° qu'il résulte de l'article L. 432-3 du Code du travail que la décision du chef d'entreprise est soumise à l'obligation d'information et de consultation préalable du comité d'entreprise lorsqu'elle porte sur les " problèmes généraux concernant les conditions de travail résultant... des modes de rémunération " ; que tel n'est pas le cas de la décision de commercialiser un nouveau produit d'assurance dont les modalités (à supposer même qu'elles concernent le niveau de la rémunération) n'ont ni pour objet ni pour effet d'affecter " les conditions de travail " des salariés qui en sont chargés ; qu'en considérant, néanmoins, en l'absence de toute modification des conditions de travail des salariés concernés, que la décision de mise en place du contrat collectif " Réponse santé " devait, du seul fait de ses implications sur le taux de commissionnement et sur le montant des rémunérations des salariés du réseau S, faire l'objet de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise, l'arrêt attaqué a violé l'article L. 432-3 du Code du travail ;
2° qu'en tout état de cause, la décision de commercialiser le contrat collectif " Réponse santé " n'entraînait ni une baisse du taux de commission ni une perte de rémunération pour les salariés concernés ; que les sociétés faisaient valoir à cet égard dans leurs conclusions d'appel que la mise sur le marché à compter du 1er juillet 1994 du contrat collectif " Réponse santé " n'entraînait pas de changement significatif du taux de commission et donc du montant de la rémunération des agents du réseau S ; que ceux-ci ont continué à pouvoir commercialiser le contrat individuel " Protection santé option A " couvrant le risque invalidité au taux de 13 % ; que le contrat " Protection santé option B " (couvrant à la fois le risque " invalidité " et le risque " frais de traitement maladie ") avait été retiré de la vente depuis 1990 ; que, de toutes façons, ce contrat était commercialisé au taux moyen de 7 % pour la couverture des deux risques précités, soit un taux correspondant à environ 3 % pour la couverture des seuls frais de traitement de la maladie ; qu'en se contentant de relever que le taux de commission des agents au titre du contrat " Réponse santé " était " égal à 6 % la première année, puis 3 % les années suivantes, tandis que les taux antérieurs pour couvrir les frais de traitement de la maladie variaient de 7 % à 13 % ", et en concluant à " la réduction du taux de commissionnement précédemment alloué ", la cour d'appel, qui n'a tenu aucun compte des conditions exactes de commercialisation du nouveau produit, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 432-3 du Code du travail ;
3° qu'il est constant que le taux de commission de 13 % constituait le taux alloué au titre de la commercialisation du contrat " Protection santé option A ", contrat individuel assurant uniquement la couverture du risque " invalidité " ; qu'en énonçant que le taux de commission précédemment attribué au titre des contrats couvrant les frais de traitement de la maladie atteignaient 13 % (et en déduisant de cette constatation erronée l'existence d'une diminution de la rémunération attribuée aux agents dans le cadre du contrat " Réponse santé "), l'arrêt a dénaturé les documents contractuels et violé l'article 1134 du Code civil ;
4° que les sociétés faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel qu'après la mise sur le marché du contrat collectif " Réponse santé ", les chargés de mission avaient conservé l'exclusivité de la vente du contrat individuel " Protection santé option A " tout en obtenant par ailleurs la possibilité de vendre, parallèlement aux conseillers commerciaux, le contrat collectif " Réponse santé " ; que l'introduction du nouveau produit n'avait donc pas porté atteinte à leurs conditions de rémunération ; qu'en considérant néanmoins que les chargés de mission devaient désormais subir la concurrence des conseillers commerciaux, ce qui imposait par là même de procéder à la consultation préalable du comité d'entreprise, l'arrêt, qui n'a pas tenu compte des conditions exactes d'intervention des chargés de mission postérieurement à la mise sur le marché du nouveau contrat, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 432-3 du Code du travail ;
5° que, comme l'indiquaient les sociétés UAP dans leurs conclusions d'appel, la commercialisation du contrat " Réponse santé " à partir du 1er juillet 1994 n'a eu pour effet ni de priver les agents de la possibilité de continuer à vendre le contrat individuel " Protection santé option A ", ni de mettre fin à la commercialisation du contrat individuel " Protection santé option B " qui avait cessé depuis 1990, soit quatre années auparavant ; qu'en outre, à la différence des anciens contrats collectifs (UGIPS et Delta prévoyance), ce nouveau produit faisait désormais partie du portefeuille des agents ; qu'en définitive, l'introduction du contrat collectif " Réponse santé " a permis aux agents producteurs d'ajouter la commercialisation de ces contrats aux contrats d'assurance individuels ; qu'en affirmant, d'une part, que le nouveau contrat collectif s'était substitué aux contrats individuels des agents, et, d'autre part, qu'il avait modifié la composition de leur portefeuille dans des conditions imposant là encore de recourir à la procédure de consultation du comité d'entreprise, l'arrêt, qui n'a pas indiqué sur quels éléments il se fondait pour retenir cette double affirmation, contredite par les documents fournis par l'UAP, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 432-3 du Code du travail ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 432-3 du Code du travail que le comité d'entreprise est informé et consulté sur les problèmes généraux concernant les conditions de travail résultant notamment des modes de rémunération ;
Et attendu que la cour d'appel qui, par une interprétation nécessaire de l'ensemble des documents soumis à son examen, a estimé que les modalités de commercialisation du contrat collectif affectaient globalement le mode de rémunération, et qui a constaté que les conditions de travail de ce personnel étaient concernées, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, peu important que la rémunération effective soit ou non plus avantageuse pour les salariés ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir suspendu l'application de la décision relative à la commercialisation du contrat collectif d'assurance " Réponse santé " en ses dispositions emportant pour les salariés qui en sont chargés réduction du taux du commissionnement alloué à ceux-ci à raison de la commercialisation des contrats auxquels se substitue ledit contrat jusqu'à ce qu'il ait été procédé du chef de ses dispositions à la négociation instituée par l'article L. 132-27 du Code du travail, alors, selon le moyen :
1° que relève seule de l'obligation de négociation annuelle la décision de l'employeur portant sur l'un des sujets entrant légalement dans le champ d'application d'une telle négociation ; qu'en l'espèce, dès lors que les sociétés établissaient que l'introduction du contrat collectif " Réponse santé " n'entraînait de changement ni du taux de commission ni du montant de la rémunération des salariés commerciaux de l'UAP, l'employeur n'avait pas à inclure le commissionnement de ce nouveau produit dans la négociation annuelle obligatoire portant sur les salaires effectifs ; qu'en affirmant néanmoins, au seul vu d'une comparaison entre les taux de commissions appliqués aux différents contrats, que les modalités de commercialisation du contrat " Réponse santé " affectaient les salaires effectifs des salariés qui en étaient chargés, d'où elle conclut que la décision devait comme telle être soumise à la négociation annuelle obligatoire, la cour d'appel, qui n'a tenu aucun compte des conditions exactes de commercialisation de ce nouveau produit, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 132-27 du Code du travail ;
2° qu'à supposer que le commissionnement attribué au titre de la commercialisation du contrat " Réponse santé " ait dû faire l'objet de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs, l'arrêt attaqué aurait dû caractériser la nature exacte du manquement fautif reproché à l'employeur ; qu'en se bornant à relever que la décision de commercialisation du contrat " Réponse santé " " entrait dans le champ " de la négociation sur le salaire effectif justement sollicitée par les organisations syndicales ", l'arrêt, qui n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de déterminer s'il était reproché à l'employeur d'avoir refusé d'organiser la négociation à la demande des organisations syndicales ou d'avoir simplement omis d'inclure cette décision dans la négociation annuelle, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-27 et suivants du Code du travail ;
3° que si l'article L. 132-27 impose à l'employeur d'engager la négociation annuelle obligatoire, il ne lui interdit pas de prendre librement entre-temps toute décision sur des sujets pouvant relever de cette négociation ; qu'ainsi l'arrêt attaqué ne pouvait reprocher aux sociétés UAP de ne pas avoir soumis le taux de commissionnement du contrat " Réponse santé " à la négociation annuelle obligatoire, sans rechercher si, à la date du déroulement de cette négociation (soit durant la période du 13 décembre 1993 au 10 mars 1994), les conditions de commercialisation du contrat " Réponse santé " (à supposer qu'elles aient eu une incidence sur les salaires effectifs) étaient d'ores et déjà arrêtées ; qu'en considérant la décision prise comme irrégulière, sans constater l'existence d'une concomitance entre la date de la négociation annuelle et celle de la décision de commercialiser, à compter du 1er juillet 1994, le nouveau contrat " Réponse santé ", l'arrêt n'a pas caractérisé l'existence d'un manquement fautif de l'employeur à ses obligations et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-27 et L. 132-29 du Code du travail ;
4° qu'il résulte de l'article L. 132-27 du Code du travail qu'est seul susceptible de constituer un manquement fautif de l'employeur à l'obligation d'organiser la négociation annuelle sur les salaires effectifs le refus de ce dernier de déférer à une demande émanant des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ; qu'à cet égard, les sociétés UAP indiquaient dans leurs conclusions d'appel que seul le comité d'établissement avait formulé une demande de négociation par motion du 16 juin 1994 ; qu'en affirmant néanmoins que la négociation sur les salaires effectifs " avait été justement sollicitée par les organisations syndicales ", sans indiquer sur quel document elle se fondait pour retenir que ces dernières avaient effectivement fait usage du pouvoir conféré par l'article L. 132-27 du Code du travail pour contraindre l'employeur à négocier, la cour d'appel a, là encore, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-27 et L. 132-28 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel qui a constaté que le contrat collectif avait pour effet de fixer le montant des salaires effectifs d'une catégorie du personnel, a exactement décidé que cette question relevait de la négociation obligatoire instituée par l'article L. 132-27 du Code du travail ; qu'ayant retenu que, malgré la demande des syndicats, l'employeur n'avait pas inclus cette question dans la négociation annuelle, elle a pu décider, sans être tenue de se livrer à d'autres recherches, qu'il avait manqué à son obligation ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir suspendu l'application de la décision relative à la commercialisation du contrat collectif d'assurance " Réponse santé " en ses dispositions emportant pour les salariés qui en sont chargés réduction du taux du commissionnement précédemment alloué à ceux-ci à raison de la commercialisation des contrats auxquels se substitue ledit contrat jusqu'à ce qu'il ait été procédé du chef de ses dispositions, d'une part, à l'information et à la consultation du comité d'entreprise conformément à l'article L. 432-3, alinéa 1er, du Code du travail, d'autre part, à la négociation instituée par l'article L. 132-27 du Code du travail, alors, selon le moyen :
1° qu'à aucun moment les parties adverses n'avaient demandé dans leur conclusions le prononcé d'une suspension des effets de commercialisation du contrat " Réponse santé " ; qu'en écartant la demande d'annulation sollicitée par le comité d'établissement et par les organisations syndicales et en prononçant la suspension des effets de la décision de commercialisation du contrat " Réponse santé " jusqu'au respect par l'employeur des dispositions légales en matière de consultation du comité d'entreprise et de négociation obligatoire, l'arrêt a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
2° que le juge ne peut se fonder sur un moyen relevé d'office sans le soumettre au préalable à la discussion contradictoire des parties ; qu'en estimant qu'à défaut de pouvoir sanctionner la décision de l'employeur par le prononcé de la nullité ou l'inopposabilité, il lui incombait de suspendre l'application de la décision de commercialisation du contrat " Réponse santé" dans ses effets emportant réduction du taux de commissionnement pour les salariés concernés, sans appeler à aucun moment les parties à débattre contradictoirement sur une telle mesure, l'arrêt a violé les articles 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;
3° que le non-respect de la procédure de consultation du comité d'entreprise, dont les avis sont simplement consultatifs, peut seulement engager la responsabilité de l'employeur envers cette institution représentative ; qu'il ne saurait en revanche porter atteinte à la validité de la décision rendue ou à sa force obligatoire ; qu'il ne saurait donc faire obstacle à l'application de la décision n'ayant pas fait l'objet d'une telle consultation ; qu'en ordonnant néanmoins la suspension de l'application de la décision jusqu'à consultation du comité d'entreprise, l'arrêt, qui a privé d'effet la décision prise tout en reconnaissant par ailleurs que la méconnaissance de cette formalité légale ne pouvait être sanctionnée ni par la nullité ni par l'inopposabilité, a violé ce faisant l'article L. 432-3 du Code du travail ;
4° que la négociation annuelle ne débouche pas impérativement sur la signature d'un accord entre les parties ; qu'ainsi le manquement commis par l'employeur à son obligation en la matière n'est pas de nature à remettre en cause la validité ou la force obligatoire de la décision irrégulièrement prise ; qu'il ne saurait davantage faire obstacle à l'application de ladite décision ; qu'en ordonnant néanmoins la suspension de l'application de la décision jusqu'à ce qu'il ait été procédé à la négociation instituée par l'article L. 132-27 du Code du travail, tout en reconnaissant par ailleurs que la méconnaissance de cette formalité légale ne pouvait être sanctionnée ni par la nullité ni par l'inopposabilité, l'arrêt n'a pas justifié légalement sa décision au regard de ce texte ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui était saisie de demandes tendant à faire défense aux sociétés d'assurances de mettre en oeuvre le mode de rémunération résultant du nouveau contrat collectif, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, qu'il y avait lieu, pour permettre le respect de l'obligation de consultation du comité d'entreprise et de l'obligation de négocier de suspendre la mise à exécution de la décision de l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.