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Décisions

Cass. 1re civ., 30 septembre 2008, n° 06-20.298

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Rapporteur :

Mme Marais

Avocat général :

M. Legoux

Avocats :

Me Blanc, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Vuitton

Orléans, du 18 sept. 2006

18 septembre 2006

Joint les pourvois n° B 06-21.254 et n° N 06-20.298 qui sont identiques ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que lors d'une vente aux enchères publiques organisée, le 21 avril 2001, par la SCP Dubee-Berron-Sentucq, huissier de justice à Romorantin, assisté de M. X..., expert, la société Thomas Holding INC a été déclarée adjudicataire, au prix de 1 120 000 francs, d'une oeuvre intitulée "Oeil fleuri" de Salvador Dali, mise en vente par la société Hams Art Inv Ltd, agissant par l'intermédiaire de son représentant en France, M. Z... et présentée au catalogue de vente sous les mentions suivantes : "tempera et huile sur toile, peinte en 1944, 240X90, certificat de M. Robert A... archivé sous le numéro H 998, visible sur RDV, ce fameux décor de scène fut exécuté à New-York en 1944 pour la pièce "Tristan fou" interprétée par le grand ballet de Monte-Carlo. Ce dernier appartenait au Marquis de B..., grand mécène de Salvador Dali. Salvador crée, dessine les décors et costumes, la chorégraphie est de Léonide C.... "Tristan fou" est le premier ballet paranoïaque basé sur le mythe éternel de l'amour jusque dans la mort. L'argument de Dali utilise les thèmes musicaux de Tristan et Iseult de Wagner. Notre tableau, d'une provenance prestigieuse, aux symboles si importants chez les "Daliens", au format inhabituel, en font une oeuvre majeure!", accompagnées, notamment, d'une photographie comportant la légende : "photo où apparaissent les décors de Tristan Fou. On distingue notre peinture à droite" ; que s'étant vu refuser l'oeuvre par une galerie new-yorkaise au motif qu'elle n'était pas de la main de Salvador Dali, la société Thomas a poursuivi la nullité de la vente pour erreur sur la substance et sollicité l'octroi de dommages-intérêts ;

Sur les premiers moyens du pourvoi principal de M. X... et du pourvoi provoqué de la SCP Dubee-Berron-Sentucq tels qu'ils figurent dans les mémoires respectifs de ces derniers et sont reproduits en annexe :

Attendu que la cour d'appel, qui constatait que l'acte introductif d'instance et la déclaration d'appel de la société Thomas holding comportaient la mention"société anonyme" aux côtés de celle selon laquelle elle agissait poursuites et diligences de ses représentants légaux, a rejeté à bon droit l'exception de nullité formée à l'encontre de tels actes, l'indication de la forme de cette société permettant à elle seule de déterminer l'organe habilité à la représenter ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur les deuxièmes moyens du pourvoi principal de M. X... et du pourvoi provoqué de la SCP Dubee-Berron-Sentucq, pris en leurs quatre branches et le troisième moyen du pourvoi de M. X... réunis :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité de la vente et d'avoir condamné in solidum l'expert avec l'huissier, alors, selon les moyens :

1°/ que la qualité d'auteur d'une oeuvre d'art est attribuée à celui qui l'a intellectuellement conçue et divulguée sous son nom ; qu'en considérant, pour retenir l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles prétendument commise par la société Thomas holding INC, que l' oeuvre qu'elle avait acquise comme étant de Salvador Dali n'avait pas été matériellement exécutée par ce peintre, bien qu'une telle circonstance n'ait pas été de nature à exclure son authenticité dès lors que l'artiste l'avait créée et était personnellement intervenu lors de sa réalisation et de son exécution, la cour d'appel a violé les articles L. 113-1 et L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 1110 du code civil ;

2°/ qu'en se référant aux qualités recherchées par un collectionneur envisagé de façon abstraite et générale, sans rechercher, in concreto, s'il était déterminant pour la société Thomas holding INC que l'oeuvre ait été intégralement exécutée de la main de Salvador Dali, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil ;

3°/ que le support matériel d'une oeuvre originale d'un peintre ne saurait "per se" constituer une qualité substantielle de nature à entraîner la nullité d'une vente ; qu'en retenant, pour annuler la vente litigieuse intervenue au profit de la société Thomas holding INC, que l'oeuvre cédée n'était pas un tableau mais une partie de châssis de coulisse, sans rechercher si, pour la cessionnaire, le support de la toile constituait une qualité substantielle de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 1110 du code civil ;

4°/ que l'annulation d'une vente d' oeuvre d'art ne peut être fondée que sur une erreur excusable résultant d'une ignorance légitime, laquelle trouve sa limite dans le devoir pour un amateur d'art professionnel de s'informer lui-même ; qu'en retenant péremptoirement que l'erreur commise par la société Thomas holding INC quant à l'authenticité et la nature de l' oeuvre litigieuse était excusable, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si la cessionnaire, en sa qualité de professionnelle avertie du commerce des oeuvres d'art, n'avait pas commis une imprudence blâmable en ne s'informant pas elle-même des caractéristiques de l' oeuvre mise en vente expressément présentée comme un décor de scène, dont une photo figurait dans le catalogue des ventes, en sollicitant notamment la délivrance du certificat d'authenticité établi par M. A..., visé dans ce même catalogue, de sorte que son erreur était inexcusable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil ;

5°/ qu'un catalogue n'a pas à être exhaustif quant aux caractéristiques des oeuvres proposées et peut renvoyer aux certificats mis à disposition des acheteurs potentiels ; qu'en imputant à faute à M. X... de ne pas avoir mentionné dans le catalogue que l' oeuvre offerte n'était pas de la main de l'artiste, quand en l'absence de toute mention sur la réalisation de l'oeuvre, le catalogue pouvait renvoyer au certificat d'authenticité visé et mis à disposition du public, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève qu'en l'espèce s'il était bien fait mention de l'existence d'un décor de scène, il n'était pas indiqué que l'oeuvre mise en vente était seulement une partie de celui-ci et non une oeuvre réalisée par Dali lui-même, intégrée dans ce décor, que le certificat établi par M. A..., qui précisait qu'il s'agissait d'une création originale avec intervention de la main de l'artiste, n'y était pas reproduit et qu'il était au contraire indiqué que l'oeuvre vendue était un "tableau" ce qui, s'agissant d'une simple partie de châssis de coulisse, était inexact ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu en déduire que par leur insuffisance les mentions du catalogue avaient entraîné la conviction erronée de l'acquéreur, que l'oeuvre en cause était certainement de la main de l'artiste quand, comme élément d'un décor conçu par celui-ci, elle pouvait ne pas l'être, et a prononcé à bon droit la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ; que les griefs des moyens ne sont pas fondés ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi incident de la SCP Dubee-Berron-Sentucq pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ;

Attendu que pour condamner in solidum l'huissier et l'expert à garantir à la société Thomas holding la restitution du prix de vente et des frais annexes, l'arrêt retient qu'en raison des fautes qu'ils ont commises dans la rédaction du catalogue, ceux-ci sont tenus de réparer le préjudice résultant pour l'acquéreur de l'impossibilité d'obtenir de la venderesse, qui a disparu, le remboursement du prix de l'oeuvre ;

Qu'en relevant ainsi, d'office la disparition de la société qu'aucune partie n'avait invoquée, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité des actes de procédure de la société Thomas holding INC et en ce qu'elle a prononcé la nullité de la vente du 21 avril 2001, l'arrêt rendu le 18 septembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.