CA Grenoble, ch. com., 9 décembre 2021, n° 21/03318
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SPMG (SARL)
Défendeur :
Selarl Administrateurs Judiciaires Partenaires (ès qual.), Selarl Berthelot (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
Avocats :
Me Pantel, Me Mallet, Me Usseglio Viretta, Me Grimaud, Me Lacoste
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement en date du 2 décembre 2019, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société SPMG exerçant l'activité de travaux de bâtiments et travaux publics et a désigné la SARL BERTHELOT agissant par Me Geoffroy BERTHELOT comme mandataire judiciaire et la SELARL AJ PARTENAIRES agissant par Me LAPIERRE ou Me SAPIN comme administrateur judiciaire. L'expiration de la période d'observation a été fixée au 2 juin 2020. Le tribunal a ensuite autorisé la poursuite de la période d'observation jusqu'au 2 décembre 2020. Cette période a été renouvelée pour trois mois soit jusqu'au 2 mars 2021 puis pour une période de 6 mois, soit jusqu'au 2 septembre 2021.
Dans le cadre des opérations de sauvegarde, la Société SPMG a élaboré un projet de plan de sauvegarde par continuation.
Lequel prévoyait un remboursement selon trois options :
- Option 1 : Règlement de la créance à hauteur de 15 % pour solde de tout compte, au jour du jugement de sauvegarde sans intérêt dans le mois de l'arrêté du plan de sauvegarde,
- Option 2 : Règlement de la créance à hauteur de 30 % pour solde de tout compte sans intérêt dans les deux mois de l'arrêté du plan de sauvegarde,
- Option 3 : Apurement de la totalité de la créance admise à titre définitif en dix annuités progressives :
Première année 5 %
Deuxième année 5 %
Troisième année 5 %
Quatrième année 12 %
Cinquième année 12 %
Sixième année 12 %
Septième année 12 %
Huitième année 12 %
Neuvième année 12 %
Dixième année 13 %.
Ce projet de plan a régulièrement été circularisé aux créanciers de la Société SPMG, conformément aux dispositions applicables en pareille matière.
Dans le cadre de cette circularisation, les réponses recueillies par le Mandataire Judiciaire ont été les suivantes :
Réponse en faveur de l'option 1 : 0 créance 0,00 % du passif Réponse en faveur de l'option 2 : 19 créances 37,77 % du passif
Réponse en faveur de l'option 3 : 12 créances 47,51 % du passif Créanciers n'ayant pas répondu : 8 créances 13,79 % du passif Créanciers dont la créance est inférieure à 500 € : 12 créances 0,92 % du passif Créanciers ayant refusé les propositions : 0 créance 0,00 % du passif
TOTAL 51 créances 100,00 % du passif.
Suivant jugement du 8 juillet 2021, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a:
- arrêté en toutes ses dispositions le plan de sauvegarde présenté par la société SPMG,
- désigné Monsieur D A X comme la personne tenue de l'exécution du plan,
- dit que les dispositions de ce plan s'imposeront à tous les créanciers consultés à l'exception de ceux concernés par l'article L. 626-20 du code de commerce,
- dit que les créances définies à 1'artic1e L. 626-20 du code de commerce ne seront pas soumises aux effets du présent plan et devront être réglées sans délai ni remise,
- dit que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers qui les auront expressément acceptées de même qu'à ceux qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-5, L. 626-6 et L. 626-18 et L. 626-19 du code de commerce,
- dit que les propositions de règlement de 30 % pour solde de tout compte dans les 2 mois du jugement arrêtant le plan de sauvegarde s'appliqueront aux créanciers qui les auront expressément acceptées,
- dit que les dividendes du présent plan sont portables et non quérables,
- pris acte des divers engagements pris par la société SPMG, à savoir :
* Incessibilité des parts sociales du dirigeant,
* Monsieur D A X s'engage à ne percevoir aucune rémunération si la société SPMG n'est pas à jour des échéances du plan de sauvegarde ainsi que des charges courantes,
* Ne pas verser de dividendes sur résultats aux actionnaires,
* Approvisionner les fonds destinés au versement mensuel d'une somme permettant l'exécution du plan, par le commissaire à l'exécution du plan. Montant du versement fixé au 12ème du montant de l'échéance annuelle,
* Ne pas procéder au remboursement des comptes courants des associés avant le prononcé du jugement mettant fin au plan de sauvegarde,
- ordonné l'inaliénabilité du fonds du débiteur et de ses éventuels immeubles pour la durée du plan,
- dit que les frais de justice devront être réglés sans délai à compter de ce jour,
- maintenu la SELARL BERTHELOT en qualité de mandataire judiciaire,
- nommé la SELARL AJ PARTENAIRES en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde,
- déclaré les dépens en frais privilégiés de procédure.
Par déclaration du 19 juillet 2021, la SARL SPMG a interjeté appel du jugement du 8 juillet 2021 en ce qu'il a dit que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers (...) qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-5, L626-6 et L. 626-18 et L. 626-19 du code de commerce en intimant la SELARL AJ PARTENAIRES et la SELARL BERTHELOT & ASSOCIES.
La même déclaration d'appel a été formée ultérieurement le même jour.
Les deux instances ont fait l'objet d'une jonction.
Suivant ses dernières conclusions déposées le 2 novembre 2021, la société SPMG demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement du tribunal de commerce du 8 juillet 2021 en ce qu'il a
« DIT que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers (')qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-5, L. 626-6 et L. 626-18 et L. 626-19 du code de commerce. »
- STATUANT A NOUVEAU,
* arrêter pour les créanciers n'ayant pas répondu à la consultation, les modalités de remboursement suivantes : règlement de la créance à hauteur de 10 % pour solde de tout compte au jour de l'homologation du jugement arrêtant le plan de redressement,
* confirmer le jugement du tribunal de commerce de ROMANS SUR ISERE du 8 juillet 2021 en toutes ses autres dispositions,
* débouter la SELARL ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES PARTENAIRES, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL SPMG et la SELARL, BERTHELOT & ASSOCIES MANDATAIRES JUDUCIAIRES, agissant par Maître Geoffroy BERTHELOT, en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SPMG, de l'ensemble de leurs demandes,
* condamner la SELARL, BERTHELOT & ASSOCIES, agissant par Maître Geoffroy BERTHELOT, en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SPMG, à payer à la SARL SPMG la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamner la SELARL BERTHELOT&ASSOCIES, agissant par Maître Geoffroy BERTHELOT, en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SPMG aux entiers dépens.
Elle fait valoir que le législateur présume que le défaut de réponse dans le délai emporte acceptation des propositions de règlement du passif ; que les créanciers ont été consultés et étaient parfaitement informés des conséquences de leur abstention ; que le projet de règlement des dettes adressé aux créanciers contenait en effet un paragraphe rédigé en caractère gras comme suit « Les créanciers consultés sur les différentes propositions de remboursement du passif et n'ayant pas répondu dans le délai de 30 jours prévus par l'article L. 625-5 alinéa 2 du code de commerce seront considérés comme ayant accepté l'option numéro A soit 10 % pour solde de tout compte.» ; que tous les outils offerts par le droit des procédures collectives dont les délais de paiement et les remises négociés ou imposés aux créanciers doivent être utilisés pour parvenir au redressement de la société et à la préservation de l'emploi ; que les intérêts des créanciers de la société SPMG ne sont nullement sacrifiés en ce que le courrier envoyé par le mandataire à l'ensemble des créanciers était très clair sur les options proposées et les conséquences de l'absence de réponse ; que seuls les créanciers qui n'ont pas répondu se voient imposés l'option A; que l'argumentaire de la SELARL, BERTHELOT & ASSOCIES est dénué de tout fondement légal ou jurisprudentiel.
Dans leurs conclusions déposées le 28 octobre 2021, la SELARL AJ PARTENAIRES et la SELARL BERTHELOT & ASSOCIES demandent à la cour de:
- CONFIRMER le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Romans sur Isère en toutes ses dispositions ;
- DEBOUTER la société SPMG de l'intégralité de ses demandes ;
- CONDAMNER la société SPMG à verser :
* une somme de 3.000,00 € à la SELARL ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES PARTENAIRES, agissant par Maître Y Z ou Maître B C, ès qualité, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* une somme de 3.000,00 € à la SELARL BERTHELOT & ASSOCIES, ès qualité, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER le même aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE.
Elles font valoir que la Cour de cassation a affirmé qu'en cas de propositions alternatives relatives aux délais de règlement et aux remises de dettes, l'absence de réponse d'un créancier devait être interprétée souverainement par les juges du fond ; que le législateur vise à donner des outils de nature à garantir un équilibre entre les différents objectifs poursuivis, à savoir la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif; que les dernières réformes entreprises ont permis un rééquilibrage au bénéfice des créanciers; que leurs intérêts ne sont plus sacrifiés au bénéfice d'une préservation à tout prix de l'entreprise en difficulté; que le juge n'a pas le pouvoir d'imposer des remises qui doivent être acceptées ; que l'option 1 s'appliquant à des créanciers qui auraient omis de répondre ne se justifie ni économiquement, ni financièrement et tend à imposer des remises à des créanciers qui auraient omis de répondre ; qu'en ce qui concerne les créanciers ayant répondu, aucun n'a opté pour l'option n°1; que le mandataire judiciaire qui représente la collectivité des créanciers ne saurait souscrire à ce que cette option soit imposée aux créanciers ayant omis de répondre, ladite option visant à sanctionner le défaut de réponse et étant déloyal ; que la directive européenne sur l'insolvabilité dispose en son article 23 2° que les Etats peuvent maintenir ou adopter des dispositions restreignant l'accès à la remise de dettes lorsque les demandes de remise de dettes sont abusives ou lorsqu'une dérogation est nécessaire pour garantir l'équilibre entre les droits du débiteur et les droits d'un ou de plusieurs créanciers
Elles rappellent que le tribunal de commerce a arrêté le plan de sauvegarde dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, étant relevé que les délais et remises peuvent être réduits par le tribunal.
Le Ministère Public conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers conformément aux articles L626-5, L626-6, L626-18 et L626-19 du code de commerce. Il souligne que le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance ; que la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ; que le plan proposait 3 options de remboursement; que les 8 créanciers n'ayant pas répondu à la consultation, en nombre minoritaire, ne peuvent considérer que l'application qui leur sera faite à défaut de réponse de l'option n°1 leur portera préjudice ; que le plan considéré dans sa globalité apparaît tout à fait adapté aux objectifs qu'il doit poursuivre.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 novembre 2021.
MOTIFS DE LA DECISION
Le jugement n'est critiqué qu'en ce qu'il a dit que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers (...) qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-5, L. 626-6 et L. 626-18 et L. 626-19 du code de commerce. La cour n'est donc saisie que de ce chef de jugement.
L'article L. 626-19 du code de commerce prévoit expressément que le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance.
L'article L. 626-5 du même code dispose qu'en cas de consultation par écrit, le défaut de réponse dans le délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire vaut acceptation.
Le plan que le mandataire judiciaire a fait circulariser auprès des créanciers prévoyait les options suivantes:
Option 1 : Règlement de la créance à hauteur de 15 % pour solde de tout compte, au jour du jugement de sauvegarde sans intérêt dans le mois de l'arrêté du plan de sauvegarde,
- Option 2 : Règlement de la créance à hauteur de 30 % pour solde de tout compte sans intérêt dans les deux mois de l'arrêté du plan de sauvegarde,
- Option 3 : Apurement de la totalité de la créance admise à titre définitif en dix annuités progressives :
Première année 5 %
Deuxième année 5 %
Troisième année 5 %
Quatrième année 12 %
Cinquième année 12 %
Sixième année 12 %
Septième année 12 %
Huitième année 12 %
Neuvième année 12 %
Dixième année 13 %.
Il était expressément mentionné que les créanciers consultés sur les différentes propositions de remboursement du passif n'ayant pas répondu dans le délai de 30 jours prévus à l'article L. 625-5 du code de commerce seront considérés comme ayant accepté l'option n°1.
Cette mention est formulée dans des termes parfaitement clairs et se trouve dénuée d'ambiguïté.
Elle ne donne pas lieu à interprétation. La référence faite par les intimées à l'arrêt rendu par la Cour de cassation (Com 15 décembre 2015 n°1420588) n'est donc pas pertinente.
Contrairement à ce que soutiennent les intimées, les intérêts des créanciers ne sont pas sacrifiés dès lors qu'ils étaient en mesure d'opter pour l'une des trois options et qu'ils étaient informés dans des termes clairs et précis des conséquences de leur défaut de réponse.
Au demeurant, seuls 8 créanciers représentant 13,79 % du passif sur 51 créanciers n'ont pas répondu.
Le plan respecte les dispositions des articles L. 626-5 et L. 626-19 du code de commerce et répond aux objectifs poursuivis, à savoir la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que les propositions de règlement à 100 % des créances s'appliqueront aux créanciers (...) qui auront négligé de répondre à la mise en demeure adressée par le représentant des créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-5, L. 626-6 et L. 626-18 et L. 626-19 du code de commerce.
Il convient de dire que les créanciers n'ayant pas répondu à la consultation se verront appliqués les modalités de remboursement suivantes : règlement de la créance à hauteur de 15 % pour solde de tout compte au jour de l'homologation de la décision arrêtant le plan de sauvegarde.
Il doit être précisé que le plan circularisé par le mandataire fait état d'un règlement à hauteur de 15 % et non de 10 %.
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de procédure.
En équité, il n'y a pas lieu d'allouer une somme à la société SPMG en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement en son chef de jugement critiqué.
Statuant à nouveau,
Dit que les créanciers n'ayant pas répondu à la consultation se verront appliqués les modalités de remboursement suivantes : règlement de la créance à hauteur de 15 % pour solde de tout compte au jour de l'homologation de la décision arrêtant le plan de sauvegarde.
Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de procédure.
Dit n'y avoir lieu à allouer une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.