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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 31 mars 2022, n° 21/15379

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

T. com. Bobigny, du 30 juill. 2021, n° 2…

30 juillet 2021

M. Philippe T. exerçait en son nom propre, depuis 1989, sous le nom commercial de Jawy, une activité de restauration dégustation sur place de plats à emporter dans le centre commercial du Champy Hildevert situé à Noisy-le-Grand. Des difficultés sont apparues à partir de 2017 en raison du chantier du Grand Paris, lequel a bouleversé la circulation et modifié les accès au centre commercial, occasionnant une baisse de fréquentation.

Par jugement du 3 mars 2019, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. T., désignant la SELAFA MJA, prise en la personne de Me C., ès qualités de mandataire judiciaire de M. T..

Par jugement du 2 août 2019, sur requête de la SELAFA MJA en raison de l'absence de communication d'éléments sollicités (la liste des créanciers, le bail commercial, les résultats de la période d'observation démontrant la capacité de la société à poursuivre son activité en vue de la présentation d'un plan de redressement, les relevés bancaires, une attestation du comptable de l'absence de création de nouvelles dettes depuis le jugement d'ouverture), le tribunal de commerce de Bobigny a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire. Ce jugement a été infirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 juillet 2020.

La cour a considéré que les éléments versés aux débats par M. T. étaient suffisants pour justifier de perspectives sérieuses de redressement et infirmer le jugement de liquidation judiciaire, notamment la sous-location de son local pour un montant mensuel de 1 800 euros.

Par jugement du 15 septembre 2020, le tribunal a prorogé la période d'observation pour une durée de 6 mois, période de nouveau prorogée de 6 mois par un jugement du 12 janvier 2021.

Par ordonnance du 15 février 2021, le juge-commissaire a autorisé M. T. à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante en signant un bail précaire avec la société Sushitime, afin de sous-louer à cette dernière une partie de son local, pour un loyer de 1 800 euros par mois.

Par jugement du 30 juillet 2021, sur requête de la SELAFA MJA (en application de l'article L.631-15 II du code de commerce), le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire sans maintien de l'activité de M. T., et désignant la SELAFA MJA, prise en la personne de Me C., ès qualités de liquidateur judiciaire de M. T..

Par déclaration du 6 août 2021, M. T. a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 28 septembre 2021, le Premier Président de la cour d'appel de Paris a arrêté l'exécution provisoire du jugement entrepris.

*****

Dans ses conclusions d'appelant signifiées par voie électronique le 3 mars 2022, M. Philippe T. demande à la Cour de':

Le Déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Infirmer le jugement rendu le 31 juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de Bobigny en toutes ces dispositions,

Statuant à nouveau,

Juger qu'il est en mesure d'apurer son passif dans les conditions prévues par les propositions d'apurement du passif circularisées auprès de ses créanciers,

En conséquence,

Arrêter le plan de redressement présenté par :

Monsieur Philippe T.

[...] n° RCS BOBIGNY : 352384689 / N° Gestion 1989 A 2663

Activité : restaurant dégustation sur place plats à emporter ;

A titre Subsidiaire,

Renvoyer la procédure au Tribunal de Commerce de Bobigny pour que soit arrêté le plan de redressement qu'il présente,

Statuer ce que de droit sur les dépens.

*****

Dans ses conclusions d'intimée signifiées par voie électronique le 20 octobre 2021, la SELAFA MJA, prise en la personne de Me C., ès qualités de liquidateur judiciaire de M. T., demande à la cour de':

DEBOUTER M. Philippe T. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions

PRENDRE les dépens en frais privilégiés de liquidation.

*****

Par avis signifié par RPVA le 21 octobre 2021, le ministère public estime que le redressement n'est pas manifestement impossible sous réserve de justifier par l'appelant qu'il n'est pas en état de cessation des paiements au cours de la période d'observation. Il indique que la cour pourrait considérer que le plan de continuation présenté ne présente pas un caractère suffisamment sérieux et confirmer le jugement attaqué.

SUR CE,

    Sur l'état de cessation des paiements

- Sur le passif

Le tribunal a relevé, pour caractériser cet état de cessation des paiements, que M. T. ne justifiait pas des retraits effectués sur le compte bancaire, que la découverte en février 2021 de charges de copropriété non acquittées contredisait l'attestation de l'expert-comptable de janvier 2021 de non-existence de dettes, et que les justificatifs de paiements des cotisations URSSAF et TVA n'était pas produits, caractérisant un manque de rigueur.

M. T. soutient que les retraits en espèces relevés sont une conséquence de son plafond de carte bancaire de 2 300 euros tous les 30 jours et que son expert-comptable atteste que 93% des retraits en espèces depuis le mois de février 2021 ont servi à régler des factures de fournisseurs.

S'agissant des charges de copropriété, il explique que le syndicat des copropriétaires a porté à la connaissance du mandataire, le 16 février 2021, au titre du passif postérieur, une créance de 2 823,40 euros, tenant compte de ses règlements à hauteur de 650,01 euros. Il indique que cette créance comprend des frais d'huissier pour un montant de 310,97 euros, également déclarés par le syndicat des copropriétaires à titre antérieur, ainsi que la provision de charges du 2nd trimestre 2019, déclarée pour un montant de 477,94 euros, alors qu'elle a déjà été déclarée à titre antérieur, pour un montant différent, de 414,12 euros. Il considère donc que ces frais ne constituent pas un passif né pendant la période d'observation, précisant avoir payé tous les appels de charge de copropriété de la période d'observation, comme l'indique un décompte de Foncia à la date du 3 mars 2022.

Sur la créance de l'URSSAF, M. T. indique que les dettes nées pendant la période d'observation ont été réglées, comme en atteste l'expert-comptable, qui ne mentionne plus qu'un solde de 1 378 euros à régler au titre de l'année 2019 (cotisations partiellement antérieures au jugement d'ouverture du 3 avril 2019) soit 921 euros, correspondant aux cotisations des 2ème et 3ème trimestres 2019.

Sur les cotisations de sécurité sociale employeur, M. T. indique qu'une créance postérieure chirographaire, au titre des mois d'avril à août 2019, d'un montant de 1 298,14 euros est en cours de règlement. Il conteste en revanche l'intégralité de la déclaration de créance d'un montant de 57 045 euros (dont 45 000 euros de régularisation), indiquant qu'il s'agit d'erreurs de l'URSSAF relatives à une salariée licenciée depuis août 2019. Il constate qu'au 3 mars 2022, sa dette est de 21 300,04 euros, soit 1 298,14 euros en cours de règlement, 19 744,80 euros correspondant à la déclaration de créance au passif et à des majorations de 51,42 euros par taxation provisionnelle régularisée ( 5 X 51,42 = 257,10 euros). Il indique qu'une demande de remise gracieuse va être adressée à l'URSSAF au titre de ces majorations de 257,10 euros.

Sur la créance de TVA, M. T. explique que le paiement de la TVA est semestriel et considère qu'il est à jour au titre de la période d'observation (paiement de 846 euros au titre du solde de la période du 01/08/2019 au 31/07/2020). Il rappelle que la TVA pour la période du 01/08/2020 au 31/07/2021 a été prélevée sur son compte bancaire le 2 novembre 2021 pour un montant de 2 899 euros. Il considère être à jour dans le règlement de la TVA.

Sur la taxe foncière, M. T. indique avoir payé la taxe foncière des années 2019 et 2021.

Sur la créance EDF de 8 197,25 euros, il indique que les factures correspondantes ont été exclusivement transmises à la SELAFA MJA, qu'il n'en a donc pas eu connaissance et n'a pas pu les régler avant l'audience du 22 juillet 2021. Il soutient avoir réglé l'ensemble des factures dont il était redevable envers EDF entre le 5 octobre 2021 et le 28 décembre 2021 pour un total de 9 313,01 euros (il a même réglé deux fois la même facture, le 22/10/2021 et le 9/12/2021).

Enfin, sur les avances demandées pour financer la période d'observation, M. T. confirme qu'un client et ami a réglé en avance la somme totale de 12 000 euros à valoir sur des prochains repas (attestant que sa commande n'était pas remboursable).

La SELAFA MJA rappelle que le passif s'élève à la somme de 110 835.91 euros, dont 24.934, 80 euros à titre provisionnel. Elle souligne qu'en dépit du « gel » du passif antérieur résultant de l'ouverture de la procédure collective, l'activité de M. T. a généré pendant la période d'observation des dettes nouvelles notamment une créance à l'égard d'EDF de 8 197,25 euros (M. T. a sollicité un moratoire auprès du créancier sans apporter de nouvelles informations depuis l'ordonnance du Premier président). Par ailleurs, elle indique que l'appelant n'a pas payé la taxe foncière 2020 d'un montant de 1 179 euros.

Le ministère public rappelle que le passif définitif soumis s'élève à 110 815,91 euros. Il constate que le projet de plan indique un remboursement des quatre créances inférieures à 500 euros pour un montant total de 751,93 dès l'arrêté du plan et un apurement des autres créances privilégiées et chirographaires en 8 annuités linéaires de 13 407,07 euros. Il souligne qu'au 31 juillet 2021, le résultat de l'exercice s'élevait à 17 839 euros et considère que le redressement n'est manifestement pas impossible.

- Sur l'actif

M. T. rappelle l'existence du bail précaire afin de sous-louer une partie de son local pour 1 800 euros par mois (2 160 euros TTC) ; qu'au 28 février 2022, son solde bancaire était de 11 255,79 euros ; qu'il est propriétaire, avec son épouse commune en bien, du local commercial, évalué à un prix net vendeur compris entre 150 000 euros et 160 000 euros.

Par ailleurs, il indique être propriétaire de son fonds de commerce de restauration, lequel peut être valorisé au regard de l'emplacement de l'entreprise.

La SELAFA MJA constate que M. T. est taisant quant au règlement de la créance postérieure.

Le ministère public remarque que l'appelant ne répond pas sur l'existence de dettes depuis l'ouverture de la procédure (découverte en février 2021, de charges de copropriété du centre commercial non acquittées et la non-production de justificatifs au titre des cotisations URSSAF ainsi que la déclaration de TVA) et considère que l'absence d'état de cessation des paiements au cours de la période d'observation n'est pas démontrée.

Il ressort des pièces produites, sur lesquelles le mandataire judiciaire ne réplique pas, que M. T. justifie des retraits en espèces effectués sur son compte bancaire, qu'il a procédé au règlement des charges de copropriété réclamées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, le solde restant dû au 3 mars 2022 (8 007, 71 euros) étant inférieur à la déclaration de créance effectuée le 6 juin 2019 ; que les cotisations ont été versées à l'URSSAF durant la période d'observation, le solde débiteur figurant sur le décompte du 28 février 2022 (19 923 euros) étant inférieur au montant de la déclaration de créance antérieure du 4 août 2021 (19 744 euros) ; que M. T. justifie d'une contestation sérieuse de la créance déclarée à titre postérieur ; qu'il justifie également être à jour du paiement de la TVA, de la taxe foncière et de l'EDF.

Il en résulte que la constitution d'un passif postérieur ne peut être reproché à M. T., et que son état de cessation des paiements n'est donc pas caractérisé.

* Sur le plan de redressement

M. T. rappelle que le juge-commissaire a émis un avis favorable au plan de redressement, sous réserve du règlement des charges. Il souligne que les charges postérieures ont été réglées. Il indique que son activité est bénéficiaire (3 382 euros en 2017/2018 et 17 839 euros en 2020/2021). Il rappelle être propriétaire de sa résidence principale, estimée à 170 000 euros pour laquelle il n'a aucun crédit. Il considère que les résultats bénéficiaires de l'entreprise démontrent qu'il est en mesure d'apurer son passif d'un montant total de 109 114,91 euros et demande l'infirmation du jugement entrepris.

La SELAFA MJA demande la confirmation du jugement du 30 juillet 2021. Elle rappelle que malgré les comptes prévisionnels au 31 juillet 2021 affichant un résultat bénéficiaire de 17 839 euros, aucun élément plus récent ne permet d'apprécier la situation économique et financière de l'activité de M. T. et ses perspectives. Elle considère qu'il est impossible, en l'état, d'apprécier la faisabilité d'un plan de redressement par voie de continuation et indique qu'au regard du montant du passif déclaré et des éléments produits, un plan de redressement ne paraît pas envisageable.

Le ministère public considère que le projet de plan ne repose que sur la fiabilité de la perception de revenus fonciers (1 800euros/mois) alors que le tribunal a relevé des retards de loyers. Il considère qu'il n'y a pas de garanties suffisantes de poursuites de l'activité avec un retour à un état de rentabilité de nature à assurer durablement le désintéressement des créanciers.

Le projet de plan présenté par M. T. propose le remboursement en 8 annuités de la totalité du passif restant à apurer, la créance superprivilégiée de l'AGS ayant déjà été réglée et le remboursement des créances inférieures à 500 euros s'effectuant dès l'arrêté du plan. Ces 8 annuités se décomposent en échéances annuelles de 13 407, 07 euros (13 407, 06 euros pour la dernière). Ces échéances paraissent pouvoir être respectées, dans la mesure où M. T. a réalisé, lors de l'exercice s'étant clôturé le 31 juillet 2021, un résultat net comptable de 17 839 euros, qu'il est propriétaire du local dans lequel il exerce son activité, ainsi que de son fonds de commerce et n'a aucun crédit, à titre personnel ou professionnel.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement attaqué et d'adopter le plan de continuation proposé par M. T..

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement attaqué,

Statuant à nouveau,

Arrête le plan de continuation proposé par M. Philippe T. né le 7 novembre 1965 à SAIGON (VIETNAM), immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 352 384 689, ayant pour activité : restaurant dégustation sur place plats à emporter, ayant pour lieu d'exploitation [...],

Plan qui prévoit les dispositions suivantes :

Le passif d'un montant total de 107 256, 55 euros sera apuré sur une période de 8 annuités, les 7 premières d'un montant de 13 407, 07 euros et la 8ème d'un montant de 13 407, 06 euros,

Dit que le paiement de la première annuité aura lieu le 15 juin 2022,

Les créances de moins de 500 euros seront payées conformément au II de l'article L. 626-20 du code de commerce sans remise ni délai,

Pour une bonne exécution du plan, les paiements seront portables.

Donne acte aux créanciers, des délais et remises qu'ils ont consentis et qui sont mentionnés dans le plan.

Désigne M. Philippe T. comme tenu d'exécuter le plan lui donne acte des engagements qu'il a pris à cet égard':

- provisionnement mensuel du montant des échéances entre les mains du commissaire à l'exécution du plan,

- remise au commissaire à l'exécution du plan d'un situation comptable semestrielle,

- remise au commissaire à l'exécution du plan des bilans, comptes de résultat et liasses fiscales chaque année,

- inaliénabilité du fonds de commerce,

- clause de retour à meilleure fortune

Fixe la durée du plan à 8 ans, désigne pendant cette durée Me Axel C. commissaire à l'Exécution du Plan avec la mission prévue à l'article L. 626-25 du code de commerce.

Maintient Me Axel C. en qualité de mandataire judiciaire jusqu'à la fin de la procédure de vérification des créances.

Ordonne la publication du présent jugement.

Dit que la publicité du présent jugement sera effectuée sans délai nonobstant toute voie de recours.

Dit que les dépens seront employés en frais de redressement judiciaire et les liquide.