CA Versailles, 13e ch., 25 juin 2019, n° 18/01000
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Brière
Conseillers :
Mme Baumann, Mme Bonnet
La SASU Planet Pyrénées qui exploite un restaurant japonais à Paris sous l'enseigne Planet sushi, a employé Monsieur Khay Alain C. en qualité de cuisinier du 1er décembre 2007 à son licenciement pour faute grave, le 22 mars 2013.
Suivant jugement du 8 juillet 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire au profit de la société Planet Pyrénées et désigné maître Patrick L. de G. aux fonctions de mandataire judiciaire et la Selarl B. C. M. & associés, prise en la personne de maître Charles-Henri C., aux fonctions d'administrateur judiciaire avec mission de surveillance.
Le plan de sauvegarde a été arrêté par jugement du 13 août 2015 pour une durée de dix ans et modifié suivant jugement du 3 novembre 2017, la Selarl B. C. M. & associés étant nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Par arrêt du 15 octobre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant sur l'appel d'un jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 24 février 2015, a :
* infirmé le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Planet Pyrénées de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau,
* annulé les mises à pied disciplinaires notifiées à M. C. les 18 octobre et 27 décembre 2012,
* dit que le licenciement de M. C. était abusif,
* condamné la société Planet Pyrénées à lui payer les sommes suivantes :
- 406,62 euros à titre de rappel de salaire et 40,66 euros d'indemnité de congés payés afférents au titre de la mise à pied notifiée le 18 octobre 2012,
- 377,99 euros à titre de rappel de salaire et 37,79 euros d'indemnité de congés payés afférents au titre de la mise à pied notifiée le 27 décembre 2012,
- 800 euros de rappel de primes exceptionnelles et 80 euros d'indemnité de congés payés afférents,
- 40 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 6 960,54 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 696,05 euros d'indemnité de congés payés afférents,
- 3 595,27 euros d'indemnité de licenciement,
* débouté les parties de leurs autres demandes,
* déclaré l'arrêt opposable au commissaire à l'exécution du plan.
M. C. a assigné la société Planet Pyrénées en ouverture de redressement judiciaire ou subsidiairement de liquidation judiciaire, demande dont le tribunal de commerce de Nanterre l'a débouté par jugement du 13 octobre 2016.
Par assignation du 22 août 2017, M. C. a de nouveau saisi le tribunal aux fins d'obtenir le règlement immédiat de l'intégralité de sa créance, celui-ci demandant notamment au tribunal de juger que sa créance à l'encontre de la société Planet Pyrénées est immédiatement exigible et n'est pas soumise au délai du plan de sauvegarde dont bénéficie cette dernière.
Suivant jugement réputé contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 7 février 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- condamné la société Planet Pyrénées à payer immédiatement à M. C. l'intégralité de la créance qu'il détient à son encontre, soit les sommes de 406, 62 euros à titre de rappel de salaire et 40,66 euros d'indemnité de congés payés afférents au titre de la mise à pied notifiée le 18 octobre 2012, 377,99 euros à titre de rappel de salaire et 37,79 euros d'indemnité de congés payés afférents au titre de la mise à pied notifiée le 27 décembre 2012, 800 euros au titre de rappel de primes exceptionnelles et 80 euros d'indemnité de congés payés afférents, 3 595,27 euros à titre d'indemnités de licenciement, le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes, soit le 15 avril 2013 ;
- condamné la société Planet Pyrénées à payer immédiatement à M. C. la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 octobre 2015 ;
- débouté la SAS Planet Pyrénées de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société Planet Pyrénées aux entiers dépens.
La société Planet Pyrénées a interjeté appel de cette décision le 13 février 2018. La déclaration d'appel a été signifiée le 15 mars 2018, par remise à personne habilitée, à la Selarl B. C. M. & associés, laquelle n'a pas constitué avocat.
Dans ses dernières conclusions au fond, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 20 janvier 2019, les premières ayant été signifiées le 15 mars 2018 à la Selarl B. C. M. & associés, ès qualités, par remise à personne habilitée, la société Planet Pyrénées demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien-fondé ;
- débouter M. C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Y faisant droit,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- constater que la créance prud'homale résultant de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris en date du 13 octobre 2015 est inexigible ;
- constater l'impossibilité légale dans laquelle elle se trouve de payer la créance de M. C. du fait de sa nature et de son fait générateur ;
En conséquence,
- dire que la créance de M. C. est soumise au plan de sauvegarde arrêté par le tribunal de commerce de Nanterre par jugement en date du 13 août 2015 ;
- condamner M. C. à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. C. aux entiers dépens du présent appel.
Dans ses conclusions au fond, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 25 octobre 2018 et signifiées le 5 novembre 2018 à la Selarl B. C. M. & associés, ès qualités, par remise à tiers présent à domicile, M. C. demande à la cour de :
- dire et juger la société Planet Pyrénées mal fondée en son appel et l'en débouter ;
- la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sous réserve de la rectification de l'erreur matérielle concernant l'indemnité compensatrice de préavis qui lui est due pour un montant de 6 960,54 euros augmenté de 696,05 euros au titre des congés payés ;
- condamner la société Planet Pyrénées à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Planet Pyrénées aux entiers dépens dont distraction au profit de maître P. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 mars 2019, les conclusions de M. C., déposées au greffe et notifiées le 25 octobre 2018, ont été jugées recevables, de même que les pièces communiquées à l'appui.
Le 2 avril 2019 M. C. a déposé une requête en rectification d'erreur matérielle du jugement du 7 février 2018. Par ordonnance du 11 avril 2019 le magistrat chargé de la mise en état a joint les deux procédures.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2019.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE
Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la société Planète Pyrénées recevable.
L'appelante fait valoir que les créances dont le fait générateur est antérieur à l'ouverture de la procédure collective du débiteur, soumises au régime de la procédure collective, ne peuvent faire l'objet d'un règlement immédiat et que conformément aux dispositions de l'article L.625-6 du code de commerce, les décisions prud'homales ne peuvent avoir pour conséquence que la constatation de la créance et la fixation de son montant au passif de la société condamnée. Elle soutient que dans la mesure où le fait générateur de la créance de M. C. est son licenciement intervenu le 22 mars 2013, antérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la créance de ce dernier est inexigible et que c'est à tort que le tribunal de commerce, en opposition avec les dispositions légales et la jurisprudence qu'elle verse aux débats, a décidé que les créances de ce dernier étaient automatiquement soumises au régime des créances alimentaires privilégiées. Elle ajoute que le titre exécutoire issu de la procédure prud'homale, en raison du principe de l'arrêt des poursuites individuelles contre le débiteur, ne permet l'accomplissement d'aucune mesure d'exécution forcée à son encontre. Elle en conclut que la cour ne pourra qu'infirmer le jugement et constater que la créance de M. C. est soumise au plan de sauvegarde modifié le 3 novembre 2017.
M. C. qui soutient en revanche que sa créance est immédiatement exigible expose que la société Planet Pyrénées entretient délibérément une confusion entre les règles applicables à la sauvegarde judiciaire et celles relatives au redressement judiciaire ou à la liquidation judiciaire dans le cadre desquelles intervient l'AGS pour faire l'avance des créances salariales. Il expose que l'appelante procède également à une confusion entre les conditions de fixation de la condamnation prud'homale au passif de la procédure collective et le traitement de cette créance définitivement admise dans le cadre du plan de sauvegarde, le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde, dans ses observations présentées au tribunal dans le cadre de la procédure qu'il avait engagée aux fins d'ouverture de la procédure collective, ayant souligné que les sommes fixées par la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 15 octobre 2015, n'étaient pas soumises au délai du plan de sauvegarde et qu'elles devaient lui être réglées sans délai. Il précise qu'à toutes fins utiles, le commissaire à l'exécution du plan a inscrit sa créance au passif de la société Planet Pyrénées. M. C. souligne qu'il existe une exception au principe d'égalité entre les créanciers à l'égard des salariés, à raison du caractère alimentaire de leur créance et des privilèges et super- privilèges dont ils bénéficient de sorte qu'ils doivent être payés immédiatement sur les fonds disponibles sans que puissent leur être imposés ni remise ni délai. Il invoque les dispositions de l'article L.626-20. I du code de commerce dont il résulte qu'échappent aux délais imposés par le plan les créances garanties par le privilège des articles 2331-4 et 2375-2 du code civil dont le montant n'a pas été avancé par l'AGS, comme en l'espèce.
Il est constant que conformément à l'article L.622-7, le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde emporte, de plein droit, interdiction de payer notamment toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Les créances salariales qui ne sont pas fondées sur une obligation alimentaire de l'employeur ne sont pas assimilables aux créances alimentaires soustraites à l'interdiction fixée par cet article.
Cependant, dans le cadre de l'exécution d'un plan de sauvegarde, l'article L.626-20, I du code de commerce prévoit que par dérogation aux dispositions des articles L.626-18 et L.626-19, ne peuvent faire l'objet de remises ou de délais qui n'auraient pas été acceptés par les créanciers:
1° Les créances garanties par le privilège établi aux articles L.143-10 devenu L.3253-2 et L.3253-3, L.143-11 devenu L.3253-4, L.742-6 et L.751-15 devenus L.8313-8 du code du travail;
2° Les créances résultant d'un contrat de travail garanties par les privilèges prévus au 4° de l'article 2101 devenu 2331 et au 2° de l'article 2104 devenu 2375 du code civil lorsque le montant de celles-ci n'a pas été avancé par les institutions mentionnées à l'article L.143-11-4 devenu L.3253-14 du code du travail ou n'a pas fait l'objet d'une subrogation.
Aucun délai ne peut ainsi être imposé, dans le cadre d'un plan de sauvegarde, aux salariés titulaires de ces créances, à condition qu'elles soient exigibles.
Les créances, objet de la décision prononcées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris, lesquelles sont exigibles, correspondent aux rappels de salaires dus au titre des rémunérations impayées pendant les périodes de mise à pied et aux congés payés afférents, à un rappel de prime exceptionnelle, laquelle constitue une rémunération au sens de l'article L. 3253-2 du code du travail, et aux congés payés afférents, à une indemnité de préavis prévue à l'article L.1234-5 du code du travail et aux congés payés afférents, à une indemnité de licenciement prévue par la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants et à une indemnité de licenciement abusif accordée sur le fondement de l'article L.1235-5 du code du travail.
Ces créances dont le montant n'a pas été avancé par l'AGS sont garanties par les privilèges définis aux articles L.3253-2 et L.3253-3 du code du travail et 2331 4° et 2375 2° du code civil, lesquels s'appliquent même sur la période de travail qui ne précède pas immédiatement le jugement d'ouverture, étant précisé que les rémunérations dues à M. C. sont inférieures aux plafonds fixés par ces dispositions ; de même l'indemnité de licenciement, d'un montant de 3 595,27 euros, garantie par le privilège des articles 2331 et 2375 du code civil, est inférieure au plafond prévu à l'article L.3253-2 qui est fixé, conformément à l'article D.3253-1 du même code, à deux fois le plafond retenu, par mois, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, lequel est fixé mensuellement à 3 377 euros en 2019.
Par conséquent, aucun délai de paiement ne peut être opposé et imposé à M. C. dont la créance n'est pas soumise aux délais du plan de sauvegarde, étant précisé qu'en l'espèce il n'est établi ni même allégué par la société appelante que M. C. aurait accepté les délais fixés par le plan de sauvegarde qui a été arrêté par jugement du 13 août 2015.
Par conséquent, la société Planet Pyrénées devra régler à M. C., sans délai, l'intégralité des condamnations prononcées par la cour d'appel de Paris, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné en paiement la société appelante dans la mesure où M. C. dispose déjà d'un titre exécutoire la condamnant, sans qu'il n'y ait lieu dès lors de rectifier l'erreur matérielle affectant la décision dont appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Reçoit l'appel de la société Planet Pyrénées,
Infirme le jugement du 7 février 2018 sauf en ce qu'il a débouté la société Planet Pyrénées de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens,
Statuant à nouveau,
Dit que la créance de M. C. à l'encontre de la société Planet Pyrénées n'est pas soumise aux délais du plan de sauvegarde,
Dit que la société Planet Pyrénées devra payer sans délai à M. C. l'intégralité des condamnations prononcées par la cour d'appel de Paris le 15 octobre 2015,
Déboute la société Planet Pyrénées de toutes ses demandes,
Condamne la société Planet Pyrénées à verser à M. Khay Alain C. la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Planet Pyrénées aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés par maître Mélina P., pour ceux dont elle a fait l'avance, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.