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Décisions

Cass. crim., 5 avril 2006, n° 05-83.789

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Chanut

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Gatineau, Me Luc-Thaler

Toulouse, ch. corr., du 18 mai 2005

18 mai 2005

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Me X... pour Anne Y..., pris de la violation des articles 121-1, 313-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré la prévenue coupable d'escroquerie ;

"aux motifs que "la SAS Siemens Automotive a constaté que, de mai 1997 à octobre 1998, Michel Z... a bénéficié de primes indues, soit :

- en mai 1997, une indemnité logement de 2 057 francs brut, due exclusivement aux salariés allemands travaillant en France,

- en décembre 1997 et juin 1998, une prime de 13ème mois surévaluée de 2 000 à 2 800 francs,

- en juillet et août 1998, une indemnité compensatrice de congés payés de 3 304,47 francs non due puisque ces congés avaient été passés en compte épargne/temps à la demande de l'intéressé,

- en août, septembre et octobre 1998, une indemnité vie chère de l'ordre de 10 000 francs, due exclusivement aux expatriés ;

"que le procédé d'édition de bulletins de paie, tel qu'il résulte des explications concordantes de la SAS Siemens Automotive et des différents intervenants au service paie, était le suivant :

- le logiciel de paie était géré par une société tierce, la société Supra,

- les données variables de paie étaient saisies par le service paie de Siemens Automotive, dont Anne Y... était le responsable,

- les résultats étaient transmis automatiquement à la Supra et traités par un sous-traitant, Micros, qui éditait les bulletins de paie,

- ceux-ci étaient renvoyés au service paie sous colis fermé au nom d'Anne Y..., qui procédait seule, en principe, au contrôle des bulletins de paie des cadres ; toutefois, elle a pu être aidée par d'autres membres de service en raison de sa surcharge ;

- en cas d'anomalies constatées lors de ce premier contrôle, le service paie retraitait les données erronées, les renvoyait au sous-traitant qui éditait un second bulletin de paie, le second contrôle était effectué par Anne Y... qui sollicitait le cas échéant des explications de la part de ses collaborateurs (Mme A... notamment) ;

que, selon Anne Y..., les primes dont Michel Z... a bénéficié indûment pouvaient procéder d'erreurs, dont le logiciel avait déjà fait la preuve, et être imputables à d'autres intervenants, qu'il s'agisse d'autres personnes du service ou de la Sopra ;

qu'il apparaît cependant :

- que certaines des primes, les primes du 13ème mois, sont calculées automatiquement par le logiciel par référence au salaire de base, de sorte qu'une surévaluation ne peut résulter que de la modification manuelle du montant, ce qui exclut qu'il s'agisse d'une erreur,

- que l'indemnité de vie chère octroyée par Michel Z... en août, septembre et octobre 1998 ne figurait pas sur les premiers bulletins de paie édités par la société Micros, versés aux débats par la SAS Siemens Automotive, mais figurait sur les seconds, ce qui implique qu'elle résulte d'une manoeuvre positive et volontaire répétée chaque mois par la personne chargée du premier contrôle, soit Anne Y..., (celle-ci n'a pas pu fournir d'explication, elle a indiqué s'être aperçue de l'erreur lors du second contrôle en août 1998, après avoir averti la Sopra, puis ne plus avoir vérifié la régularisation),

- que, s'agissant de l'indemnité logement accordée en mai 1997, Anne Y... a reconnu ce qu'elle considère être une erreur de saisie, alors que M. B..., membre du service paie, estime cette erreur tout à fait décelable,

- que, selon les indications fournies également par M. B..., les indemnités congés payés étaient annulées automatiquement par le logiciel lorsque le solde de jours de congés était passé en compte épargne/temps, ce qui implique qu'elles ont été réintroduites volontairement dans le cas de Michel Z... ; Anne Y...

soutient avoir constaté précédemment le contraire, ce qui aurait dû, dès lors, selon son propre raisonnement, donner lieu de sa part à une demande de rectification auprès de la Sopra et justifier un contrôle renforcé de ce poste,

- que la Sopra n'intervenait que dans le cadre d'un contrôle-qualité, c'est-à-dire pour vérifier et modifier le logiciel, et non les données, en conséquence, une même erreur aurait dû se retrouver sur l'ensemble des personnes se trouvant dans la même situation que Michel Z... ;

qu'enfin, les deux prévenus allèguent des anomalies du bulletin de paie de novembre 1998 de Michel Z..., édité par les successeurs d'Anne Y..., que la Cour n'est pas en mesure d'apprécier, la mesure où interviennent des calculs liés à la fin du contrat ; à titre d'exemple, le solde de congés payés, qui aurait été augmenté indûment de trois jours par rapport à novembre 1998, est susceptible d'avoir été complété par des congés payés liés à la période écoulée jusqu'à la date de paie (31/12/98) ; il n'est donc pas établi qu'il y ait eu erreur provenant du logiciel ;

qu'il résulte de ces éléments factuels que les différents avantages litigieux dont a profité Michel Z... ont nécessité une manipulation particulière, et ne peuvent résulter, à l'exception du premier, d'une simple erreur de saisie ; seule Anne Y..., qui partage la vie de Michel Z..., avait intérêt à employer de telles manoeuvres, dont l'incidence financière mesurée (environ 40 000 francs sur un an et demi), était susceptible de passer inaperçue ; que ces manoeuvres ont permis la remise de fonds par la SAS Siemens Automotive au profit du compagnon d'Anne Y... et constituent le délit d'escroquerie ; qu'il existe en revanche un doute sur l'élément intentionnel du recel reproché à Michel Z... ; en effet, celui-ci, qui a soutenu ne pas s'être aperçu de la modification de ses salaires, expliquant qu'il ne les vérifiait pas car ils variaient très peu, a été en mesure de démontrer qu'il n'ouvrait pas ses courriers contenant ses relevés de banque : il a produit au juge d'instruction des lettres émanant de sa banque non décachetées et oblitérées à des dates antérieures à la date litigieuse ; il n'est, dès lors, pas certain que Michel Z... a pris connaissance de l'augmentation anormale de ses revenus et qu'il l'a conservée en ayant conscience de son origine frauduleuse ; qu'en l'état de ce doute, Michel Z... doit être renvoyé des fins de la poursuite exercée contre lui ; que la peine prononcée à l'encontre d'Anne Y... tient exactement compte de la gravité des faits, commis par une personne particulièrement chargée d'une mission de confiance par son employeur ; le sursis est à juste titre prononcé, Anne Y... n'ayant jamais été condamnée auparavant" ;

"alors que, d'une part, la condamnation d'un prévenu pour escroquerie suppose non seulement la caractérisation des éléments constitutifs de l'infraction, mais également la démonstration de ce que le prévenu est l'auteur de l'infraction ainsi caractérisée ; que, si elle a établi que la remise des fonds à Michel Z... par la SAS Siemens Automotive avait été déterminée par une manoeuvre répétée chaque mois lors du premier contrôle, la cour d'appel, qui, par des motifs contradictoires, a relevé, d'une part, que ce contrôle avait pu être effectué par la prévenue ou d'autres membres du service et, d'autre part, que la prévenue y avait procédé seule, n'a pas établi qui était l'auteur de ces manoeuvres litigieuses ;

"alors que, d'autre part, en relevant que la prévenue avait seule intérêt à employer de telles manoeuvres, la cour d'appel n'a pas plus justifié sa décision de la déclarer coupable ; que le fait que la prévenue avait seule intérêt à employer de telles manoeuvres n'implique évidemment pas qu'elle les a effectivement commises ;

qu'en n'établissant pas que les manipulations litigieuses avaient été commises par la prévenue, la cour d'appel a privé sa décision d'une motivation suffisante" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'escroquerie dont elle a déclaré la prévenue coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Gatineau pour la société Siemens Automotive, pris de la violation des articles 321-1 du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Michel Z... des fins de la poursuite exercée contre lui du chef de recel d'escroquerie ;

"aux motifs qu'il existe un doute sur l'élément intentionnel du recel reproché à Michel Z... ; qu'en effet, celui-ci, qui a soutenu ne pas s'être aperçu de la modification de ses salaires, expliquant qu'il ne les vérifiait pas car ils variaient très peu, a été en mesure de démontrer qu'il n'ouvrait pas ses courriers contenant ses relevés de banque ; qu'il a produit au juge d'instruction des lettres émanant de sa banque non décachetées et oblitérées à des dates antérieures à la période litigieuse ; qu'il n'est, dès lors, pas certain que Michel Z... a pris connaissance de l'augmentation anormale de ses revenus et qu'il l'a conservée en ayant conscience de son origine frauduleuse ;

"1 ) alors que, pour relaxer Michel Z... des faits qui lui sont reprochés, la cour d'appel s'est bornée à relever que celui-ci avait produit au cours de l'instruction des lettres émanant de sa banque non décachetées, de sorte qu'il n'est pas certain qu'il a pris connaissance de l'augmentation anormale de ses revenus et qu'il a conservé lesdites sommes en ayant conscience de leur origine frauduleuse ; que, reconnaissant ainsi implicitement la nécessité d'un supplément d'information afin d'établir l'absence de connaissance par l'intéressé des sommes en cause et de leur origine frauduleuse à la date où ces versements indus ont été effectués, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître le sens et la portée des articles susvisés, ne pas ordonner un supplément d'information ;

"2 ) alors que l'élément intentionnel du délit de recel consiste dans la connaissance de l'origine frauduleuse des objets recelés au moment où la personne poursuivie reçoit ou bénéficie desdits objets ; qu'en se prévalant de ce que Michel Z... n'avait pas ouvert divers courriers contenant ses relevés de banque, la cour d'appel a usé de motifs inopérants, lesdits courriers ayant été oblitérés à des dates antérieures à celle de la commission des faits litigieux ; que, ce faisant, elle a de nouveau privé sa décision de base légale" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de l'infraction reprochée n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, et des éléments de preuve contradictoirement débattus ainsi que de l'opportunité d'ordonner un supplément d'information, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.