Cass. crim., 6 juin 1996, n° 95-82.832
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Culie
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
Me Delvolvé, Me Choucroy, SCP Alain Monod
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur le pourvoi de Pierre X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;
II - Sur les pourvois de l'Office national des forêts et du procureur général :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation de l'Office national des forêts, pris de la violation des articles 314-1, 321-1, 408 et 460 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Ghislaine Y..., épouse divorcée de M. A..., trésorière de l'Office national des forêts et Alexandre Z..., conseiller financier de Laffitte Investissements, des poursuites pour abus de confiance et recel d'abus de confiance à la suite du rachat de 400 titres au porteur, d'un montant total de 4 000 000 de francs, souscrits au nom de l'Office national des forêts auprès de la Fédération Continentale et débouté l'Office de ses demandes;
"aux motifs que la souscription des titres avait été effectuée sous la décision de l'ordonnateur de l'Office national des forêts et sous la signature de son agent comptable, Pierre X...; que le bon de souscription prévoyait la délivrance de titres au porteur, que la délivrance d'un certificat de propriété au lieu de ces titres n'avait pas été envisagée par l'Office ni proposée par la Fédération Continentale, que la responsabilité de la matérialisation des titres ne saurait dès lors être rejetée sur les deux prévenus, qui n'avaient à cet égard aucun pouvoir de décision; que s'il était constant que les titres au porteur avaient été adressés le 26 mars 1992 à l'Office par lettre recommandée avec accusé de réception et que Ghislaine Y... avait reçu les titres, celle-ci avait toujours affirmé les avoir transmis aussitôt à Pierre X... et que les circonstances de la disparition des titres demeuraient indéterminées;
"alors, d'une part, que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de l'Office appuyées sur les motifs du jugement qui avait constaté, au vu des témoignages de Mme B... et de M. C... (de la Fédération Continentale) et de Pierre X... ainsi que des déclarations de Ghislaine Y... et d'Alexandre Z..., que c'est celui-ci qui avait demandé que les titres soient matérialisés;
"alors, d'autre part, que la Cour a entaché sa décision d'un défaut et d'une contradiction de motifs et d'un manque de base légale en relaxant Ghislaine Y... tout en affirmant qu'elle avait reçu les titres et sans que la preuve ait été rapportée qu'elle les ait remis à Pierre X...;
"alors, enfin, qu'elle n'a pas répondu aux conclusions de l'Office appuyées sur les motifs du jugement et tirées de l'assistance anormale d'Alexandre Z... aux opérations de rachats des titres";
Sur le moyen unique de cassation du procureur général, pris de la violation des articles 408 devenu 314-1, 460 devenu 321-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et violation de la loi;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Alexandre Z... des fins de la poursuite du chef de recel;
"aux motifs que Ghislaine Y... ayant été relaxée du chef d'abus de confiance, le délit de recel dudit abus de confiance, par voie de conséquence, n'est pas constitué à la charge d'Alexandre Z...;
"alors que, d'une part, l'indétermination des circonstances de la disparition des titres et l'insuffisance des charges contre Ghislaine Y..., voire l'absence d'identification de l'auteur des détournements, s'ils pouvaient justifier la relaxe de celle-ci, ne permettaient pas à eux seuls, et par voie de conséquence, la relaxe d'Alexandre Z... du chef de recel, infraction autonome dont les éléments constitutifs sont distincts;
"alors que, d'autre part, les juges qui ont eux-mêmes exposé divers éléments à la charge de ce dernier ne s'en sont pas expliqué et n'ont donc pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations";
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les arrêts ou jugements sont nuls lorsqu'ils ont omis de répondre à un chef péremptoire des conclusions des parties;
Attendu que le recel est le fait de détenir une chose en sachant qu'elle provient d'un crime ou d'un délit, encore que les circonstances de l'infraction d'origine n'aient pas été entièrement déterminées;
Attendu que le 15 mars 1992, l'Office national des forêts (ONF) a souscrit, par l'intermédiaire d'Alexandre Z..., conseiller financier de "Laffitte-Investissement", filiale de la société Européenne de Banque, 100 bons de capitalisation au porteur à 7 % de la "Fédération Continentale", d'une valeur totale de 10 millions de francs; que ces bons, reçus par Ghislaine Y..., trésorière de l'ONF et maîtresse d'Alexandre Z..., auraient été remis aussitôt par celle-ci à l'agent comptable, Pierre X..., sans toutefois qu'aucune trace de leur dépôt n'apparaisse au registre du coffre, ni dans la comptabilité de l'établissement public; qu'en mai et juillet 1992, 40 de ces titres ont été présentés au rachat en quatre opérations successives, par une personne non identifiée, en présence d'Alexandre Z... qui, chaque fois, avait fait réserver à des noms différents un bureau dans les locaux de la société Européenne de banque;
Attendu que, pour relaxer Ghislaine Y... de la prévention d'abus de confiance, et, "par voie de conséquence", Alexandre Z... de celle de recel d'abus de confiance, l'arrêt attaqué énonce notamment que, si les déclarations de Pierre X..., devenu partie civile, sont aujourd'hui évasives, celui-ci n'avait pas, dans un premier temps, contesté que les titres lui aient été remis par Ghislaine Y...; qu'il en résulte, selon les juges, que les circonstances de la disparition des bons demeurent indéterminées et que le détournement reproché à Ghislaine Y... n'est nullement établi;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'Office national des forêts sur la participation d'Alexandre Z... aux opérations de remboursement des titres, et en déduisant l'inexistence du recel de l'indétermination des circonstances de l'infraction originaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions civiles et en ses dispositions pénales concernant Alexandre Z..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, du 23 mars 1995;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.