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Décisions

Cass. 1re civ., 25 février 2016, n° 14-18.639

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié

Versailles, du 19 févr. 2014

19 février 2014

Joint les pourvois n° Z 14-18. 639 et R 14-29. 142 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 février 2014), rendu sur renvoi après cassation (1ère Civ., 4 mai 2012, pourvoi n° 11-10. 763), que Camille X... est l'auteur d'une oeuvre sculpturale, créée en 1902, intitulée « La Vague » et représentant, sur un socle en marbre, une vague en onyx prête à déferler sur un groupe de trois baigneuses en bronze formant une ronde ; qu'un tirage de « La Vague », entièrement en bronze, numéroté 3/ 8, acquis par la société Dieleman art et bronze international auprès de Mme Z..., petite-nièce de l'artiste, a été exposé en 1999 à la galerie Marbeau par M. Y..., commissaire-priseur, en vue de sa vente aux enchères publiques, et présenté comme un « exemplaire original » ; que Mme I...-X..., autre petite-nièce de l'artiste, estimant qu'il constituait une reproduction illicite de l'oeuvre, a fait procéder à la saisie-contrefaçon du tirage incriminé, partiellement détruit par le service des domaines en cours de procédure, puis a engagé l'action au fond ; que Mmes A..., B..., C..., D..., E..., X... et H... ainsi que MM. X... et B..., en leur qualité d'ayants droit de l'auteur, sont intervenus volontairement à l'instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Z...fait grief à l'arrêt de dire que l'émission du certificat d'authenticité n° 3/ 8 se rapportant au tirage en bronze de « La Vague » et la qualification d'oeuvre originale de l'artiste attribuée à ce tirage portent atteinte au droit moral de Camille X..., et de la condamner à verser à chacun des consorts I...-X...ainsi qu'à Mme Vigouroux d'Arvieula somme d'un euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le juge ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées par les parties ; qu'en se prononçant en l'espèce, au visa des conclusions de Mme Reine-Marie Z...en date du 2 octobre 2013 quand celle-ci avait déposé le 8 octobre 2013 des conclusions, accompagnées de nouvelles pièces de fond, complétant sa précédente argumentation, la cour d'appel a violé les articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 3, du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt ayant exposé les prétentions et moyens énoncés par Mme Z...dans ses dernières conclusions du 8 octobre 2013, la cour d'appel a, abstraction faite du visa erroné de ses précédentes écritures, satisfait aux exigences des articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 3, du code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme Z...fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il a été définitivement jugé par l'arrêt antérieurement rendu entre les parties le 26 mai 2010 que la réalisation, postérieurement au décès de Camille X..., du tirage 3/ 8 de « La Vague » entièrement en bronze ne porte pas atteinte à l'intégrité de l'oeuvre et au droit moral de l'auteur ; qu'en retenant à l'inverse que « La Vague », telle que créée par Camille X..., comporte l'empreinte de sa personnalité, notamment par le choix particulier « de réaliser les baigneuses en bronze mais de figurer la vague ¿ par sa taille directe sur l'onyx, pierre spécialement choisie pour sa teinte, sa transparence et ses reflets » et qu'en conséquence, les tirages « réalisés à titre posthume intégralement en bronze » ne peuvent être qualifiés d'originaux dès lors qu'ils font « ainsi disparaître une part essentielle de l'empreinte de la personnalité de l'artiste » en sorte que « la présentation de ces tirages par tous moyens, comme étant des originaux, alors qu'il ne s'agit que de reproductions ne traduisant pas l'intégralité de l'empreinte initialement donnée par l'artiste de sa personnalité, constitue une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre de l'esprit et aussi au droit moral de l'auteur », la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose déjà jugée, en violation de l'article 480 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant que les tirages « réalisés à titre posthume intégralement en bronze » le seraient « nécessairement » à partir d'une empreinte « surmoulage » de l'oeuvre originale en onyx et bronze, sans donner aucun motif pour justifier de cette affirmation générale autre que le constat, inexact en l'état de la chose précédemment jugée, que l'oeuvre originale en onyx et bronze de « La Vague » serait « une oeuvre achevée et par nature et vocation unique dans sa conception et réalisation en onyx et bronze », la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que « toute personne a droit à la liberté d'expression » ; que « ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière » ; qu'en retenant qu'ayant pour vocation d'accompagner un tirage de l'oeuvre qu'elle a elle-même fait exécuter, le certificat d'authenticité émis par Mme Reine-Marie Z...se rapportant au tirage 3/ 8 en bronze de « La Vague » ne pourrait relever de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'en application de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi ; que celle-ci, qui comprend le « droit élaboré » par les juges, doit présenter un degré d'accessibilité et de prévisibilité suffisant pour permettre à toute personne de régler sa conduite ; qu'en 1989, date figurant sur la copie, seule produite, du certificat d'authenticité litigieux, le principe selon lequel, sous peine de porter atteinte à l'intégrité de l'oeuvre et donc au droit moral de l'artiste, les épreuves en bronze à tirage limité ne peuvent être qualifiées d'exemplaires originaux qu'à la condition d'avoir été coulées à partir du modèle réalisé en plâtre ou en terre cuite par le sculpteur personnellement, à l'exclusion de tout autre modèle réalisé par le sculpteur lui-même dans un autre matériau, ne présentait pas un degré de prévisibilité et d'accessibilité suffisant pour pouvoir servir de fondement à un éventuel abus dans sa liberté d'expression commis par Mme Reine-Marie Z...par l'émission d'un certificat qualifiant d'original le tirage en bronze 3/ 8 de « La Vague » ; qu'en rejetant néanmoins le moyen de Mme Reine-Marie Z...faisant valoir que le certificat d'authenticité litigieux relevait de sa liberté d'expression et en la condamnant à raison de l'émission de ce certificat, la cour d'appel a violé l'article 10 susvisé ;

Mais attendu, d'abord, que c'est sans méconnaître l'autorité de la chose jugée que, statuant en conformité de l'arrêt de cassation l'ayant saisie, la cour d'appel a énoncé que, le droit de reproduire « La Vague » par une empreinte intégralement en bronze, à partir d'une empreinte « surmoulage » de l'oeuvre originale en onyx et bronze, ayant été reconnu à Mme Z..., l'exécution et la commercialisation des tirages ainsi réalisés ne pouvaient être considérées comme portant atteinte au droit moral de l'auteur, mais que la présentation de ces tirages comme originaux, alors qu'ils ne constituaient que des reproductions ne traduisant pas l'intégralité de l'empreinte de sa personnalité initialement donnée par l'artiste, constituait une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre et ainsi, au droit moral de l'auteur ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé que les tirages intégralement en bronze avaient été effectués à la demande de Mme Z..., à partir de l'oeuvre en onyx et bronze présentée comme un exemplaire unique par celle-ci, ce dont il résultait que ces tirages en bronze n'avaient pas été obtenus à partir d'un modèle en plâtre ou en terre cuite réalisé par le sculpteur personnellement, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'ils avaient nécessairement été obtenus à partir d'une empreinte surmoulage ;

Et attendu, enfin, qu'ayant relevé que le certificat d'authenticité avait été émis par Mme Z...avec pour vocation d'accompagner un tirage de l'oeuvre qu'elle avait elle-même fait exécuter, et qu'elle présentait ces tirages sous l'intitulé « bronzes originaux » dans son catalogue raisonné, c'est sans violer l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel a retenu que la présentation, par tous moyens, des tirages intégralement en bronze comme étant des originaux, constituait une atteinte au droit moral de l'auteur ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.