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Décisions

Cass. 1re civ., 17 décembre 1991, n° 89-22.035

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Massip

Rapporteur :

M. Grégoire

Avocat général :

M. Gaunet

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Roger, Me Cossa

Paris, du 9 nov. 1989

9 novembre 1989

Attendu qu'en avril 1986 l'hebdomadaire Le Nouvel Economiste, édité par la société du même nom, à publié en couverture, pour accompagner le titre " les milliardaires de la pub ", la photographie d'une jeune femme vue de dos, habillée de vêtements de plage sur lesquels étaient reproduits les dessins d'un billet de banque de 200 francs ; qu'il était indiqué au sommaire qu'il s'agissait d'une " photographie Sipa Press et dessin R. Y... " ; qu'il se révéla ultérieurement que la société Sipa Press avait reproduit, puis vendu au Nouvel Economiste comme étant son oeuvre, la photographie d'un modèle entièrement dévêtu, cliché dont le véritable auteur était M. X... et qui avait été commandé à celui-ci en 1981 par la société Avenir pour les besoins d'une campagne publicitaire de grande notoriété ; que M. X... n'ayant pas autorisé cette nouvelle utilisation de son oeuvre, l'arrêt attaqué (Paris, 9 novembre 1989) a condamné les sociétés Sipa Press et Le Nouvel Economiste à lui payer des dommages-intérêts, ordonné diverses autres mesures accessoires et dit que la société Sipa Press devrait garantir la société Le Nouvel Economiste " de la moitié de toutes les condamnations prononcées contre celle-ci " ;

Sur le moyen du pourvoi principal de la société Sipa Press, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société Sipa Press fait grief à l'arrêt d'avoir retenu que la reproduction de la photographie litigieuse constituait une contrefaçon alors, selon le moyen, d'une part, que cette photographie avait été utilisée dans une campagne publicitaire qui constituait elle-même une oeuvre de l'esprit et pouvait faire l'objet d'une citation par voie de reproduction d'un de ses composants, à l'occasion d'un article d'information sur la publicité ; alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas recherché si en raison de la notoriété du cliché reproduit cette citation n'emportait pas par elle-même le rappel de son auteur et de sa source ;

Mais attendu que la reproduction intégrale d'une photographie, qui constitue en soi une oeuvre protégée par la loi du 11 mars 1957, ne peut être qualifiée de " courte citation " au sens de l'article 41-3°, de cette loi ;

D'où il suit que les deux premières branches du moyen ne peuvent être accueillies ;

Sur les troisième et quatrième branches du même moyen :

Attendu que la société Sipa Press fait encore grief à l'arrêt de l'avoir déclarée coupable d'une atteinte au droit moral de M. X..., dont l'oeuvre a fait l'objet d'une altération par surimpression de dessins et modification du cadrage, alors, selon le moyen, d'une part, que ces modifications sont exclusivement le fait du Nouvel Economiste, et, d'autre part, qu'il n'aurait été apporté aucune altération " à la substance même de l'oeuvre originale de M. X..., laquelle restait évidente nonobstant l'usage qui en était fait dans l'oeuvre dérivée " ;

Mais attendu, d'abord, qu'ayant constaté que la société Sipa Press s'était présentée comme l'auteur de la photographie qu'elle avait vendue sans réserve au Nouvel Economiste, la cour d'appel a pu retenir qu'elle était par là même responsable envers l'auteur véritable, dont elle avait usurpé les droits, de tous les actes illicites, même imputables à son client, dont cette photographie a fait ensuite l'objet ;

Attendu, encore, que sous réserve des limites que peut apporter au droit moral de l'auteur la nature des conventions conclues par lui au sujet de ses oeuvres, limites auxquelles le moyen se réfère de façon inopérante en l'espèce en l'absence de tout accord intervenu à ce sujet, le respect dû à l'oeuvre en interdit toute altération ou modification, quelle qu'en soit l'importance ; que la cour d'appel a donc retenu à bon droit que la contrefaçon incriminée par M. X... se trouvait aggravée par l'atteinte portée à son droit moral ;

D'où il suit que les troisième et quatrième branches du moyen doivent également être écartées ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Le Nouvel Economiste, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Le Nouvel Economiste fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la couverture de son hebdomadaire constituait une contrefaçon de la photographie prise par M. X..., alors, selon le moyen, d'une part, que l'auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature lorsque tout risque de confusion est exclu, et que la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas si la publication litigieuse n'avait pas " caricaturé la photographie d'un mannequin vantant lui-même un service publicitaire " ; et alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait retenir une atteinte au droit moral de M. X... sans rechercher " s'il n'y avait pas absence de dénaturation de son oeuvre " ;

Mais attendu que les écritures soumises au juges du fond par la société Le Nouvel Economiste se bornaient à soutenir, pour nier le préjudice invoqué par M. X..., que son oeuvre " avait été présenté de façon spirituelle " par un dessin " délicat " et conforme aux " exigences de la mode ", sans prétendre que cette reproduction puisse bénéficier de l'exception instituée par l'article 41-4° de la loi du 11 mars 1957 ;

Que la cour d'appel n'était donc pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu que ces mêmes écritures avaient encore soutenu qu'il n'avait été causé aucune atteinte " à l'honneur professionnel de M. X... ", sans dénier celle qu'avait subie son droit moral d'auteur ; d'où il suit que la seconde branche du moyen est nouvelle et que, mélangée de fait et de droit, elle est irrecevable ;

Sur le second moyen du même pourvoi incident pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.