Cass. ass. plén., 7 mars 1986, n° 84-93.509
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rozès
Rapporteur :
M. Jonquères
Avocat général :
M. Cabannes
Avocat :
SCP Riché Blondel
Sur les pourvois formés par :
1°) La société ATARI IRELAND dont le siège social est à KNOCKANRAWLEY, TIPPERARY TOWN, COUNTRY TIPPERAY, République d'IRLANDE,
2°) La société ATARI INC dont le siège social est à Sunnyvale (CALIFORNIE U.S.A.), ...,
en cassation d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de PARIS, 13ème chambre A, en date du 4 juin 1984, au profit de Monsieur Alain Z..., de la société VALADON AUTOMATION, de Monsieur Claude X..., de la Société SOVITEC et de Monsieur René Y..., défendeurs à la cassation ;
Par ordonnance du 6 janvier 1986, conformément aux dispositions de l'article L. 131-2 alinéa 2 du Code de l'organisation judiciaire, Madame le Premier Président a renvoyé l'examen du pourvoi devant une Assemblée Plénière ;
Les demanderesses invoquent à l'appui de leur pourvoi deux moyens de cassation ainsi conçus :
PREMIER MOYEN : "il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que les jeux audio-visuels créés par la Société ATARI sont exclus de la protection accordée par ladite loi ;
"aux motifs qu'on ne saurait assimiler à une oeuvre de l'esprit la création de logiciels, qu'il s'agisse du concept ou des analyses, même lorsque ces derniers ont pour objet l'élaboration d'un jeu ; qu'on ne peut étendre la protection pénale aux méthodes en matière de jeu ni aux programmes d'ordinateurs ; que quelle que soit la complexité technique, surtout aux yeux d'un profane, d'un logiciel il s'agit en définitive d'un assemblage technologique qu'il n'y a pas lieu de sacraliser au point de le hisser au rang des oeuvres de l'esprit prévues par la loi de 1957 précitée ; que les éléments d'un jeu électronique comme d'un ordinateur relèvent en fait de la structure d'un simple objet industriel ; qu'on ne saurait non plus sur le plan du droit français assimiler le jeu électronique à une oeuvre audiovisuelle, sous le prétexte que les éléments spécifiques au jeu se déplacent sur l'écran avec une succession d'images et de bruits pouvant capter l'attention du joueur ; qu'il n'y a donc pas à ce titre protection possible ; qu'enfin aucune originalité de l'expression de nature à conférer au jeu un caractère esthétique digne des préoccupations du législateur ne peut être relevée en l'espèce ; que les déplacements des modules ne traduisent pas une impression particulière sur le plan esthétique qui mériterait la protection due à une oeuvre d'art ;
"alors, d'une part, qu'un ensemble d'images arbitrairement animées selon une règle de jeu elle-même créée, et accompagnées de sons choisis en conséquence constitue en soi une oeuvre de l'esprit apte à recueillir la protection de la loi du 11 mars 1957 ; qu'en se refusant à cette qualification la Cour a en l'espèce violé par refus d'application ladite loi ;
"alors, d'autre part, que l'application de la même loi n'est pas subordonnée, comme l'a exigé à tort l'arrêt, au mérite esthétique de l'oeuvre ;"
SECOND MOYEN : "il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir refusé la protection de cette loi aux jeux audiovisuels créés par la société ATARI ;
"pour le motif qu'il s'agirait de "logiciels" insusceptibles de recevoir en eux-mêmes une telle protection ;
"alors que les logiciels sont des oeuvres de l'esprit entrant à ce titre dans les prévisions de la loi précitée ;
Attendu selon l'arrêt déféré que la Société ATARI INC est propriétaire de divers jeux électroniques audiovisuels enregistrés aux Etats-Unis au titre du copyright ; que ces jeux qui se déroulent sur des écrans sont constitués d'éléments fixes ou mobiles et se présentent sous la forme d'images représentant des personnages, des animaux ou des objets qui se meuvent sur des trajectoires et à des vitesses prédéterminées par une carte mémoire, que ces mouvements qui se produisent au gré des impulsions données par le joueur sont accompagnés de sons, qu'estimant que Monsieur Alain Z... et la Société VALADON AUTOMATION commercialisaient et exploitaient en FRANCE des jeux identiques aux siens, la Société ATARI INC, à laquelle s'est jointe en cours de procédure la société ATARI IRELAND LTD, les a assignés en contrefaçon ;
Sur le premier moyen pris en sa première branche ;
Vu les articles 1, 2 et 3 de la loi du 11 mars 1957, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juillet 1985, ensemble les articles 425 et 426 du Code pénal :
Attendu que les dispositions de la loi sur la propriété littéraire et artistique protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originales quelle qu'en soit la forme d'expression ;
Attendu que pour décider que les jeux audio-visuels créés par la Société ATARI INC sont exclus de la protection accordée par la loi du 11 mars 1957, la Cour d'appel énonce qu'on ne peut assimiler le jeu électronique à une oeuvre audio-visuelle, sous le prétexte que les éléments spécifiques au jeu se déplacent sur un écran avec une succession d'images et de bruits pouvant capter l'attention du joueur ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs alors que sont considérés comme oeuvres de l'esprit au sens de la loi du 11 mars 1957, dès lorsqu'ils répondent à la condition d'originalité, tant les dessins, images, que les sons les accompagnant, ou les animations des êtres et des choses s'ils sont fixés par écrit ou autrement, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le premier moyen en sa seconde branche :
Vu l'article 2 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que selon les dispositions de ce texte sont protégés les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originales quel qu'en soit le mérite ;
Attendu que pour refuser aux jeux audio-visuels litigieux le bénéfice des dispositions de la loi sur la propriété littéraire et artistique, la Cour d'appel a retenu qu'aucune originalité de l'expression de nature à conférer au jeu un caractère esthétique digne des préoccupations du législateur ne peut être relevée en l'espèce ; que les modules lumineux se meuvent sans que leurs déplacements, qui ne procèdent que d'une simple technique de contacts électriques, traduisent une impression particulière sur le plan esthétique qui mériterait la protection due à une oeuvre d'art ;
Attendu qu'en statuant par ces motifs, alors que la protection légale s'étend à toute oeuvre procédant d'une création intellectuelle originale indépendamment de toute considération d'ordre esthétique, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 2 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que selon ce texte sont protégés les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originales quels qu'en soient le gendre et la destination ;
Attendu que pour refuser aux concepteurs et réalisateurs du programme d'ordinateur litigieux la protection du droit d'auteur, la Cour d'appel énonce" qu'on ne peut assimiler à une oeuvre de l'esprit la création de logiciels qu'il s'agisse du concept ou des analyses, même lorsque ces derniers ont pour objet l'élaboration d'un jeu ; qu'on ne peut étendre la protection pénale aux programmes d'ordinateurs ; que tout au plus l'inventeur pourrait se voir attribuer un droit de propriété industrielle, mais que le législateur, dans ce domaine a, dans la loi du 13 juillet 1978, dépénalisé l'action en contrefaçon, de telle sorte que seule est possible l'action en concurrence déloyale, et encore à la condition qu'on puisse relever une imitation servile, une copie intégrale ; que, quelle que soit la complexité technique, surtout aux yeux d'un profane, d'un logiciel ou de la mise en programme d'un ordinateur, il s'agit, en définitive, d'un assemblage technologique qui requiert parfois, d'habiles électro-mécaniciens mais qu'il n'y a pas lieu de "sacraliser" au point de le hisser au rang des oeuvres de l'esprit prévues par la loi de 1957 précitée ; que les éléments d'un ordinateur relèvent de la structure d'un simple objet industriel ; que l'inventeur, dont l'activité intellectuelle peut être, certes, d'un très haut niveau, ne se trouve donc protégé contre l'atteinte à la propriété de son brevet que par une action civile ;"
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'un logiciel, dès lors qu'il est original, est une oeuvre de l'esprit protégée par la loi sur le droit d'auteur, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS,
CASSE ET ANNULE en son entier l'arrêt rendu entre les parties par la 13ème chambre A de la Cour d'appel de Paris le 4 juin 1984,
Et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel d'AMIENS , à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.