Cass. crim., 3 juin 1986, n° 85-91.433
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruneau
Rapporteur :
M. Leydet
Avocat général :
M. Dontenwille
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Jean,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 7e Chambre, en date du 5 mars 1985 qui, dans une poursuite des chefs de défaut de permis de construire et de destruction ou modification non autorisée de monument naturel ou de site classé, l'a condamné à 20 000 francs d'amende, a ordonné sous astreinte le déplacement hors des limites du site protégé de la construction litigieuse, et s'est prononcé sur les intérêts civils
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 421-1, L. 480-4 et L. 480-5 du Code de l'urbanisme, des articles 1er, 2 et 5 de la loi du 11 mars 1957 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X..., demandeur, coupable d'avoir laissé édifier, dans l'enceinte du domaine de la S. A. " Ecole du Montcel ", dont il est le président-directeur général, une oeuvre monumentale réalisée par le sculpteur Arman et ce sans avoir obtenu le permis de construire préalable, et d'en avoir ordonné, en conséquence, le déplacement hors des limites du site protégé ;
" aux motifs que d'une part, si Arman est un sculpteur de renom, il ne s'ensuit pas que toutes ses créations relèvent de la statuaire au sens courant de ce terme ; que l'ouvrage implanté sur sa conception et sous sa direction dans le parc du domaine de Montcel a reçu le nom de " tour " parfaitement significatif, puisqu'il est constitué par une structure de béton d'un poids de 1 500 tonnes, d'un volume de 600 mètres cubes et d'une hauteur de 18 mètres, fondée sur un radier général ; qu'y sont encastrées 60 voitures automobiles, toutes de marques différentes, repeintes de couleurs vives ; que, sans qu'il y ait lieu ni d'entrer dans une querelle au sujet de la valeur esthétique ou symbolique de cette oeuvre, ni de s'attacher, comme l'ont fait les premiers juges, à souligner ses proportions exceptionnelles et sa modernité, il convient de constater qu'il s'agit d'un édifice que son " usage " ornemental ne soustrait pas à l'application de l'article L. 421-1 du Code de l'urbanisme et aux sanctions subséquentes ;
" alors que, d'une part, ne constitue pas une " construction " au sens de l'article L. 421-1 du Code de l'urbanisme, une oeuvre monumentale qui ne comporte ni ouverture, ni toit, ni murs, ni espace intérieur utilisable ;
" alors que, d'autre part, une telle oeuvre ne saurait non plus constituer " une construction à usage d'habitation ou non ", dès lors qu'elle ne présente aucune utilité pratique, l'oeuvre d'art n'étant affectée à aucun usage particulier ;
" et aux motifs d'autre part que, sous la réserve de la délivrance éventuelle d'un permis de construire, il apparaît que le déplacement de l'oeuvre hors des limites du site protégé si monumentale qu'elle soit, n'est pas impossible et n'entre pas en conflit direct avec le droit moral de l'artiste sur celle-ci ;
" alors que, il avait été soutenu dans des conclusions demeurées sans réponse que X... n'était que le dépositaire de l'oeuvre de Monsieur Arman, lequel était en droit, en vertu de son droit moral, d'exiger son inviolabilité ;
" alors que, faute de s'être expliquée sur l'existence d'un conflit autre que direct entre l'enlèvement ordonné et le droit moral de l'artiste, et mieux encore, pour avoir décidé sans d'ailleurs non plus s'en expliquer, qu'un tel conflit devait se résoudre en faveur de l'enlèvement, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur la première branche du moyen ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que X... qui, dans un site classé, avait fait édifier par un sculpteur une oeuvre monumentale dénommée " tour Arman " sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire et sans qu'un permis de construire eût été sollicité, a été poursuivi pour avoir contrevenu à la fois aux dispositions des articles 12 et 21 de la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, scientifique, légendaire ou pittoresque, et à celles des articles L. 421-1 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme ;
Attendu qu'après l'avoir déclaré coupable de ces deux délits et condamné à 20 000 francs d'amende, les juges d'appel ont ordonné au prévenu " de procéder ou de faire procéder au déplacement, hors des limites du site protégé, de la " tour Arman " dans l'année de la signification de l'arrêt à peine d'une astreinte définitive de 600 francs par jour de retard " ; qu'ils ont également alloué des dommages-intérêts à une association qui s'était constituée partie civile ;
Attendu que pour écarter notamment les conclusions du prévenu soutenant que l'ouvrage litigieux ne pouvait être assimilé à une construction au sens du Code de l'urbanisme et qu'aucun permis de construire préalable n'était requis, la juridiction du second degré, après avoir rappelé les termes généraux de l'article L. 421-1 dudit Code, constate que cet ouvrage qui a reçu le nom de " tour " est constitué par une structure de béton d'un poids de 1 500 tonnes, d'un volume de 600 mètres cubes et d'une hauteur de 18 mètres fondée sur un radier général ; qu'y sont encastrées soixante voitures automobiles... repeintes de couleurs vives ;
Que les juges en déduisent qu'il s'agit d'un édifice que son usage ornemental ne saurait soustraire à l'application de l'article L. 421-1 précité ;
Attendu qu'en cet état la Cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 422-1 du Code de l'urbanisme, les dispositions de l'article L. 421-1 dudit Code, telles qu'elles étaient rédigées à la date des faits, étaient applicables à toutes les constructions même si celles-ci ne comportaient pas d'espace intérieur utilisable et quelle qu'en fût la destination ;
Attendu en outre que, si la loi du 6 janvier 1986 relative à diverses simplifications administratives en matière d'urbanisme a prévu que le permis de construire ne serait plus exigé pour certains ouvrages qui en raison de leur nature ou de leur très faible dimension ne peuvent être qualifiés de construction, cette disposition n'a pas pour effet de retirer leur caractère répréhensible aux faits retenus dès lors que le décret du 15 janvier 1986 pris pour l'exécution de ladite loi n'exclut les statues, monuments et oeuvres d'art du champ d'application du permis de construire que lorsqu'ils ont une hauteur inférieure à 12 mètres au-dessus du sol et moins de 40 mètres cubes de volume ;
Sur la seconde branche du moyen ;
Attendu que le moyen, en ce qu'il reproche à l'arrêt d'avoir ordonné une mesure de remise en état sans s'être expliqué sur les conclusions du prévenu faisant état de la possibilité d'un conflit entre lui et l'auteur de l'oeuvre, en droit d'invoquer son inviolabilité conformément aux dispositions de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, ne peut être retenu ;
Qu'en effet dès lors que l'oeuvre a été édifiée au mépris des règles d'ordre public édictées tant par la législation sur la protection des sites que par le Code de l'urbanisme, le droit moral de l'auteur ne saurait faire échec à l'exécution des mesures prévues par la loi en vue de mettre fin aux conséquences des infractions pénales constatées ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 480-7 du Code de l'urbanisme et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a ordonné à Jean X... de procéder ou de faire procéder au déplacement, hors des limites du site protégé, de la " tour Arman " dans l'année de la signification du présent arrêt, à peine d'une astreinte définitive de 600 francs par jour de retard ;
" alors que le tribunal, aux termes de l'article L. 480-7 du Code de l'urbanisme, ne peut assortir, pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation, sa décision que d'une astreinte de 50 à 500 francs par jour de retard " ;
Et sur le moyen relevé d'office et pris de la violation des articles 569 et 708 du Code de procédure pénale ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les juges, après avoir condamné le bénéficiaire d'une construction irrégulièrement édifiée à la remise en état des lieux dans un délai qu'ils déterminent, ne peuvent, pour le contraindre à exécuter la mesure prescrite, fixer une astreinte d'un montant supérieur au maximum qui est prévu par la loi ;
Attendu en outre que selon les articles 569 et 708 du Code de procédure pénale, une peine ne peut être exécutée que lorsque la décision qui la prononce est devenue définitive ;
Attendu qu'après avoir déclaré X... coupable d'infraction à la loi du 2 mai 1930 et au Code de l'urbanisme, la Cour d'appel a ordonné le déplacement de l'édifice litigieux dans l'année de la signification de l'arrêt et sous astreinte définitive de 600 francs par jour de retard ;
Mais attendu qu'en prononçant une astreinte d'un montant supérieur au maximum de 500 francs fixé par l'article L. 480-7 du Code de l'urbanisme, la Cour d'appel a méconnu les dispositions de ce texte ;
Que d'autre part, en fixant à la date de la signification le point de départ du délai imparti sans tenir compte de l'éventualité d'un pourvoi en cassation, alors que la remise en état ordonnée, si elle présente le caractère d'une réparation civile, n'en constitue pas moins également une peine, les juges ont méconnu le second des principes ci-dessus rappelés ;
Que la cassation est dès lors encourue de ces chefs ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Versailles en date du 5 mars 1985, mais seulement en ce qu'il a fixé le point de départ du délai imparti pour la remise en état des lieux ainsi que le montant de l'astreinte, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.