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Décisions

Cass. com., 24 octobre 1995, n° 93-13.229

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Le Dauphin

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Piwnica et Molinié

Amiens, du 22 janv. 1993

22 janvier 1993

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Gedis a été mise en redressement judiciaire le 5 décembre 1989 ; qu'après adoption, le 6 septembre 1990, d'un plan de continuation de l'entreprise, cette société a assigné la société Union des coopérateurs d'Alsace (société UCA) en paiement d'une créance née de fournitures impayées ; que la société UCA a soutenu, d'un côté, que les conditions de la compensation " de plein droit " s'étaient trouvées réunies avant l'ouverture de la procédure collective à hauteur de la somme de 714 875 francs dont elle était créancière envers la société Gedis au titre de l'exécution du contrat la liant à celle-ci et, d'un autre côté, qu'étant créancière de la somme de 928 231 francs, déclarée au passif du redressement judiciaire, au titre de l'inexécution par la société Gedis de ses obligations contractuelles, la demande de cette dernière se heurtait, pour le surplus, à l'exception de compensation judiciaire ;

 

 

Sur le second moyen, pris en ses quatre branches :

 

 

Attendu que la société UCA fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Gedis la somme de 1 237 975 francs après avoir rejeté l'exception de compensation entre cette dette, et sa créance réciproque d'un montant de 714 875 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'est certaine la créance qui existe au moins en son principe, caractère qui ne disparaît pas du seul fait que, la créance étant contestée par le débiteur, une mesure d'instruction a été ordonnée pour en vérifier l'existence et le montant ; qu'en relevant, pour écarter l'exception de compensation, que le principe même de la créance de la société UCA était contestable puisque, avant dire droit, le juge commissaire avait ordonné des investigations, confondant ainsi créance certaine et créance contestée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1291 du Code civil ; alors, d'autre part, que, tenus de motiver leur décision, les juges ne peuvent se contenter d'émettre des affirmations et se doivent de préciser les raisons qui ont servi à former leur conviction ainsi que les éléments de preuve versés aux débats contradictoires et par eux analysés sur lesquels ils se sont fondés ; qu'en se bornant à affirmer que la créance invoquée par la société UCA au titre de la péréquation des coûts de transport et des retours de marchandises non crédités n'était ni liquide ni exigible et ne pouvait donc faire l'objet d'aucune compensation avec la créance certaine, liquide exigible du cocontractant, sans préciser les raisons pour lesquelles elle considérait que celle de la société UCA née de l'exécution du contrat liant les parties n'était pas exigible et liquide, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1291 du Code civil ; alors, en outre, que dans une convention de compte courant, les parties portent réciproquement en compte toutes les opérations juridiques qu'elles font entre elles de manière à ce qu'il y ait compensations successives et à ne procéder au règlement qu'à la clôture du compte par le paiement du solde ; que la société UCA avait fait valoir qu'il existait un compte courant entre elle et sa cocontractante ; qu'en effet, chacune des livraisons effectuées ne faisait pas l'objet de règlement distinct, mais que des comptes étaient établis périodiquement, faisant apparaître des créances réciproques et connexes de part et d'autre ; que seuls les arrêtés de compte faisaient l'objet de règlements ; qu'en délaissant de telles conclusions de nature à établir que la compensation s'était opérée en vertu même du fonctionnement d'un compte courant à la date d'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, ne satisfaisant pas ainsi aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que l'exception de compensation peut être soulevée, dès lors que les créances réciproques sont connexes, même si la créance invoquée en compensation n'est pas elle-même liquide et exigible ; qu'il appartient à la juridiction saisie de surseoir jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur la production de cette créance ; qu'en rejetant l'exception de compensation par cela seul que la créance de la société UCA au titre d'une péréquation sur les coûts de transport et de retours de marchandises non crédités n'était ni liquide ni exigible, sans rechercher si les créances réciproques n'étaient cependant pas connexes comme dérivant de l'exécution du

 

 

même contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1289 du Code civil ;

 

 

Mais attendu, d'une part, que loin de déduire le caractère incertain de la créance invoquée par la société UCA du seul fait de sa contestation par la société Gedis, la cour d'appel s'est fondée sur le caractère litigieux de cette créance, objet d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge-commissaire ;

 

 

Attendu, d'autre part, que la deuxième branche critique les motifs surabondants par lesquels la cour d'appel a estimé que ladite créance n'était ni déterminée dans son montant ni exigible ;

 

 

Attendu, en outre, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions dont fait état la troisième branche, dès lors que la société UCA s'est bornée à soutenir qu'il existait un compte courant entre elle et la société Gedis, sans alléguer que la créance de cette dernière au titre de fournitures impayées, et que sa propre créance au titre de la péréquation sur frais de transports et de la restitution de certaines marchandises, était éteinte à la date d'ouverture du redressement judiciaire de la société Gedis pour avoir été transformées en articles de ce compte ;

 

 

Attendu, enfin, que la société UCA ayant demandé à la cour d'appel de dire que la compensation légale avait joué antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, s'agissant de la créance visée au moyen, sans se prévaloir, de ce chef, du bénéfice de la compensation judiciaire, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise ;

 

 

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

 

 

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

 

 

Vu les articles 1289 et suivants du Code civil, 33 et 74 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction antérieure à celle de la loi du 10 juin 1994, applicable en la cause ;

 

 

Attendu que le débiteur d'une entreprise en redressement judiciaire est en droit d'opposer à cette dernière, pour résister à une demande en paiement, le principe de la compensation entre sa dette et une créance connexe déclarée au passif du redressement judiciaire ; qu'il en est ainsi même dans le cas où, un plan de continuation de l'entreprise ayant été arrêté, ladite créance est soumise aux délais fixés par le plan ;

 

 

Attendu qu'après avoir relevé qu'il existait un lien de connexité entre la créance de dommages-intérêts déclarée par la société UCA et sa dette envers la société Gedis, dès lors que ces obligations dérivaient d'un même contrat, l'arrêt retient qu'à supposer que la créance de la société UCA soit admise au passif du redressement judiciaire de la société Gedis, elle ne sera payable que dans les conditions prévues par le plan de continuation de cette dernière, lequel prévoit le règlement du passif de décembre 1997 à décembre 2002 ; que l'arrêt en déduit que la société UCA ne peut opposer l'exception de compensation à la société Gedis dont la créance est exigible ;

 

 

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'exception de compensation judiciaire opposée par la société UCA, à concurrence de la somme de 928 231 francs, à la demande en paiement formulée par la société Gedis, l'arrêt rendu le 22 janvier 1993, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.