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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 13 avril 2021, n° 19/00141

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SAS CANANGA

Défendeur :

Mme E DE L.

Mamoudzou/Mayotte, du 27 Sept. 2019

27 septembre 2019

Par jugement du tribunal mixte de commerce du 30 juin 2015, rectifié par jugement du 9 juillet 2015, un plan de
sauvegarde a été adopté au profit de la SAS CANANGA et un échéancier sur dix ans d'une dette de 6 298 601,94
euros a été fixé à l'égard de 111 créanciers dont huit ont été remboursés dès l'arrêté du plan.
Les trois échéances des 30 juin 2016 (versée par anticipation le 20 avril 2017) et 2018 ont été respectées.
Le 26 juin 2019, la quatrième échéance d'un montant de 472 283,46 euros a fait l'objet d'une demande par le
débiteur de modification du plan soutenue par les commissaires à l'exécution du plan.
Par jugement contradictoire du 27 septembre 2019, le tribunal mixte de commerce de Mamoudzou a:
prononcé la modification du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA arrêté par jugement du 30 juin 2015 et
rectifié le 9 juillet 2015, selon les modalités suivantes;
ordonné que tableau de synthèse où figure la liste des créanciers ayant émis un avis favorable (créanciers
acceptants) ainsi que celles des créanciers ayant émis un avis défavorable ou n'ayant pas répondu à la
consultation (créanciers non acceptants) et comparant clés de répartition soit annexé au présent jugement;

dit que la SAS CANANGA devra apurer le passif restant, à raison de six échéances payables le 30 juin de chaque
année de 2020 à 2025, selon les modalités ci-dessous, à répartir par les commissaires à l'exécution entre les 21
créanciers acceptant la modification du plan, et à raison de sept échéances dont une première à régler au plus tard
le 30 novembre 2019, et les six échéances suivantes le 30 juin de chaque année de 2020 à 2025, à répartir entre
les créanciers n'ayant pas accepté la modification.

Plan modifié

Plan initial Acceptants Montant Non acceptants
Montant

Total
2019 472 283,46 264 762,11 264 762,11
2020 472 283,46 242 108,24 264 762,12 506 870,36
2021 586 740,07 292 400,48 328 926,48 621 326,96
2022 755 653,52 366 621,05 423 619,36 790 240,41
2023 755 653,52 366 621,05 423 619,36 790 240,41
2024 818 624,62 394 290,55 458 920,96 853 211,51


2025 1 039 023,44 491 133,79 582 476,54 1 073 610,33

Total 4 900 262,09 2 153 175,16 2 747 086,93 4 900 262,09

maintenu les personnes précédemment désignées pour l'exécution du plan,
ordonné que le présent jugement soit notifié à la diligence du greffe au débiteur et aux représentants du comité
d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et porté à la connaissance du ministère public et des
mandataires de justice, dans les huit jours de la date du jugement, conformément à l'article R626-21 du code de
commerce,
ordonné qu'une copie du jugement soit adressée au directeur départemental des finances publiques en application
des articles R626-47 et R621-7 du même code,
rappelé que, en vertu des dispositions de l'article R621-8 du code de commerce, la présente décision devra faire
l'objet, à la diligence du greffe, dans les quinze jours de la date du jugement, d'une publication:
§ dans un journal d'annonces légales du lieu où le débiteur à son siège ou son adresse professionnelle et, le cas
échéant, ses établissements secondaires,
§ au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC),
rappelé que les numéros d'identification commerciale de la SAS CANANGA figurent sur le rubrum du présent
jugement,
ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés,
rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Le 31 octobre 2019, appel de cette décision a été interjeté par la SAS CANANGA, enregistré sous le numéro
RG19/141.
Par ordonnance du 29 octobre 2019, le tribunal mixte de commerce de Mamoudzou a:
désigné Mme Elise de L. et la SELARL Elise de L. en remplacement de M.Michel C. et la SELARL AJ
PARTENAIRES en qualité de commissaires à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA lesquels
disposeront de tous pouvoirs nécessaires à son exécution et devront rendre compte de leur mission à son
expiration ainsi que de toute difficulté qui pourrait survenir à son terme,
ordonné la communication de la présence ordonnance à M.le procureur de la République près
le tribunal de grande instance de Mamoudzou, à M.Michel C. et la SELARL AJ PARTENAIRES, commissaires à
l'exécution remplacés, à Mme Elise de L. et la SELARL Elise de L., commissaires à l'exécution remplaçants, ainsi
qu'à la SAS
CANANGA.
Par acte d'huissier signifié le 6 novembre 2019, la SAS CANANGA a fait assigner en référé devant le premier
président de la cour d'appel de la Réunion, maître C., es qualité de commissaire de l'exécution du plan de
sauvegarde de la SAS CANANGA, la SELARL AJ PARTENAIRES, prise en la personne de maître P. commissaire
de l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA, aux fins de:
déclarer que les moyens à l'appui de l'appel du jugement rendu le 27 septembre 2019 sont sérieux,
en conséquence, ordonner la suspension de l'exécution provisoire de droit attachée au jugement du 27 septembre
2019,
statuer ce que de droit quant aux dépens.
Le 19 novembre 2019, un avis d'intervention du ministère public a été notifié à l'appelant.
Par avis du 27 novembre 2019, le ministère public a proposé la jonction du dossier avec celui enregistré sous le
numéro 19/00133.
Par ordonnance du 4 décembre 2019, le président de la chambre d'appel de Mamoudzou a:
constaté que l'exécution provisoire a été prévue dans la décision critiquée,
fait droit à la demande de suspension d'exécution provisoire présentée par la SAS CANANGA,

fait masse des dépens de la présente instance et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.
Par ordonnance du 10 mars 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des dossiers sous le
numéro unique RG19/141.
Par conclusions notifiées le 31 janvier 2020 par RPVA, la SAS CANANGA demande, sur le fondement des articles
L661-1, R661-1 et R661-6 du code de commerce de voir:
infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
en conséquence, ordonner la modification du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA en ce que l'échéance
devant être payée le 30 juin 2019 pour un montant de 472 283,46 euros sera reportée et fractionnée sur les six
échéances restantes à raison de 78500 euros par an à compter du mois de juin 2020 jusqu'en juin 2025,
statuer ce que de droit quant aux dépens.

Par conclusions d'intimée et d'appel incident notifiées le 10 mars 2020 par mail, la SELARL Elise de L., prise en la
personne de maître Elise de L.,, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS
CANANGA, demande de voir:
déclarer recevable l'appel formé par la SAS CANANGA,
déclarer recevable l'appel incident formé par la SELARL Elise de L.,
l'y dire bien fondée,
infirmer le jugement entrepris en l'intégralité de ses dispositions,
statuant à nouveau, prononcer la modification du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA en ce que l'échéance
devant être payée le 30 juin 2019 pour un montant de 472 283,46 euros sera reportée et fractionnée sur les six
échéances restantes à raison de 78500 euros par an à compter du mois de juin 2020 jusqu'au 30 juin 2025,
statuer ce que de droit quant aux dépens de l'appel.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de
l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.
SUR CE:
Sur le fond
* Sur la demande de rééchelonnement
Selon l'article L626-26 du code de commerce, 'Une modification substantielle dans les objectifs ou les moyens du
plan ne peut être décidée que par le tribunal, à la demande du débiteur et sur le rapport du commissaire à
l'exécution du plan. Lorsque la situation du débiteur permet une modification substantielle du plan au profit des
créanciers, la saisine du tribunal peut émaner du commissaire à l'exécution du plan.
L'article L. 626-6 est applicable.
Le tribunal statue après avoir recueilli l'avis du ministère public et avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, le
commissaire à l'exécution du plan, les contrôleurs, les représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, des
délégués du personnel [les représentants du comité social et économique] et toute personne intéressée'.
Selon l'article R626-45 alinéa 3 du code précité, 'Lorsque la modification porte sur les modalités d'apurement du
passif, le greffier en informe les créanciers intéressés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Ceux-ci disposent alors d'un délai de quinze jours pour faire valoir leurs observations par lettre recommandée avec
demande d'avis de réception au commissaire à l'exécution du plan'.
La SAS CANANGA reproche au tribunal de commerce d'avoir modifié les modalités d'exécution du plan de
sauvegarde alors que ce n'était pas l'objet de sa demande et de s'être livré, de sa seule initiative, à la réécriture du
plan.
La SELARL Elise de L., prise en la personne de maître Elise de L., agissant en qualité de commissaire à
l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA, soutient que par une analyse erronée du droit, les
premiers juges ont procédé à une distinction entre les créanciers bénéficiaires du plan de sauvegarde, en ajoutant
à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas pour rejeter partiellement la demande de modification substantielle du
plan. Elle lui fait également grief d'avoir fixé, 'de manière tout à fait imprévisible' une nouvelle date pour le paiement
de l'échéance du 30 juin 2019 au 30 novembre suivant imposant à la requérante de procéder au paiement de la
fraction relative à la catégorie de créanciers pour laquelle la demande de modification a été rejetée par le tribunal.

En l'espèce, il convient de rappeler que dans le cadre d'une demande de modification d'un plan, le tribunal n'a pas
plus de pouvoirs que ceux qu'il avait pour l'adoption du plan. C'est ainsi qu'il ne peut imposer une remise de dettes
aux créanciers. La loi ne comporte aucune disposition prévoyant que dans la procédure de modification du plan, le
silence des créanciers à réception du courrier du greffe vaut acceptation des nouvelles modalités d'apurement du
passif qui leur sont proposées. Le texte ne tire aussi aucune conséquence du défaut «d'observations» en réponse
et n'opère aucun renvoi à l'article L. 626-5 du Code de commerce (article R.626-45 du Code de commerce). Aussi,
le silence du créancier ne devrait avoir aucune conséquence sur le montant de sa créance restant à apurer dans le
cadre du plan, l'article 1120 du Code civil disposant que le silence ne vaut pas acceptation, à moins que la loi, les
usages, les relations d'affaires, ou des circonstances particulières n'en disposent autrement.
Ainsi donc, les premiers juges ne pouvaient tirer aucune conséquence utile du silence des créanciers et ce d'autant
que le projet de modification du plan, tel qu'il était soumis aux créanciers par lettre recommandée avec accusé de
réception, ne précisait pas que le silence gardé par le créancier valait acceptation de la demande. La Cour de
cassation a eu à juger, au visa des articles L. 621-69 et L.621-76 du Code de commerce, dans leur rédaction
antérieure à la loi du 26 juillet 2005, que si le jugement modifiant le plan de continuation n'est pas susceptible de
tierce opposition, il en va autrement en cas d'excès de pouvoir et que tel est le cas du juge qui, se prononçant sur
une demande de modification d'un plan de continuation, impose une remise de dette au créancier alors qu'il s'y est
opposé (Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-28.986).
Cependant, la saisine du tribunal ne portait pas sur une nouvelle demande de remise de dette mais sur une
demande de ré-échelonnement d'une échéance (en l'espèce la 4ème) et ce dans le délai du plan. Or, il convient de
rappeler que si des créanciers rejettent les propositions de règlement, le tribunal, s'il ne peut pas leur imposer de
remises de dettes, peut leur imposer des délais uniformes de paiement qui ne peuvent excéder la durée du plan.
En conséquence, le tribunal pouvait passer outre les rejets tant explicites qu'implicites des créanciers dès lors que
la demande n'avait aucune incidence sur le montant de la dette, que le délai du plan n'était pas dépassé et qu'il
estimait bien fondée la demande de rééchelonnement d'une échéance.
Or, il résulte des motifs mêmes de la décision critiquée, adoptés par la cour, que 'la demande vise à soulager les
capacités de financement de l'entreprise laquelle doit entreprendre à bref délai des investissements, sans obérer
ses capacités d'apurement de la dette, l'échéance de 2019 étant appelée à être réétalée sur les six échéances
restantes' et ce dans le délai maximal de dix ans du plan. Les premiers juges relèvent également que 'l'effort
financier supplémentaire envisagé ne représente chaque année restante que 1,25% du passif à apurer et que ce
rééchelonnement apparaît souhaitable'. Le rééchelonnement tel que demandé par la SAS CANANGA ne porte pas
atteinte aux intérêts des créanciers.
En conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le rééchelonnement ne pouvait pas être
imposé aux créanciers qui n'y avaient pas consenti expressément ou pas. Le jugement sera donc infirmé de ce
chef.
* Sur la date d'effet du rééchelonnement
La SELARL Elise de L., prise en la personne de maître Elise de L., agissant en qualité de commissaire à
l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA et la SAS CANANGA reprochent aux premiers juges
d'avoir statuer ultra petita en fixant le report de l'échéance dûe au 30 novembre 2019 alors que cela ne lui avait pas
été demandé ni par la société ni par le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde. Ils font valoir que cela a
été relevé par l'ordonnance suspendant les effets de l'exécution provisoire du 4 décembre 2019.
En l'espèce, il convient de constater que le plan initial fixe le paiement des échéances au 30 juin de chaque année
et que la requête initiale déposée avant la date d'exigibilité de l'échéance du 30 juin 2019, portait sur un rééchelonnement de cette échéance sur les six échéances suivantes soit à compter du 30 juin 2020 jusqu'au 30
juin 2025.
Le premier juge n'a pas excédé ses pouvoirs en maintenant un versement au plus tard le 30 novembre 2019 pour
une partie du passif restant dû puisqu'ayant décidé que la modification ne pouvait pas concerner les créanciers
n'ayant pas accepté la modification. C'est donc en toute logique que le juge fixe des modalités de paiement
différentes selon les créanciers ayant accepté ou pas la modification. Pour les acceptants, le paiement du montant
de la 4ème fraction correspondant à leur créance est rééchelonné à compter du 30 juin 2020 comme demandé par
la SAS CANANGA et la SELARL Elise de L., prise en la personne de maître Elise de L., agissant en qualité de
commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA, et pour les non acceptants, le premier
juge a reporté la reprise du paiement de la 4ème échéance à hauteur de leur créance au plus tard le 30 novembre
2019 afin sans doute de tenir compte de la date du délibéré.
Le moyen tiré du jugement ultra petita sera donc rejeté.
Cependant, la Cour ayant infirmé le jugement en ce qu'il a fait une distinction entre les créanciers acceptants et les
non acceptants, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé des dates différentes de versement de la 4ème
échéance rééchelonnée et d'ordonner la modification du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA en ce que
l'échéance devant être payée le 30 juin 2019 pour un montant de 472 283,46 euros sera reportée et fractionnée sur
les six échéances restantes à raison de 78500 euros par an à compter du 30 juin 2020 jusqu'en juin 2025.
Sur les dépens
Il convient d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du 27 septembre 2019 du tribunal mixte du commerce de
Mamoudzou;
Ordonne la modification du plan de sauvegarde de la SAS CANANGA, arrêté par jugement du 30 juin 2015 et
rectifié le 9 juillet 2015, en ce que l'échéance devant être payée le 30 juin 2019 pour un montant de 472 283,46
euros sera reportée et fractionnée sur les six échéances restantes à raison de 78500 euros par an à compter du 30
juin 2020 jusqu'en juin 2025;
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés.