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Décisions

Cass. 1re civ., 16 novembre 2016, n° 15-24.248

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Canas

Avocat général :

M. Ride

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 24 juin 2015

24 juin 2015

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société civile immobilière Vendôme bureaux (la SCI) a donné à bail à la société Galerie Enrico X... (la société), dont M. X... est le gérant, des locaux à usage commercial ; qu'après que cette dernière a quitté les lieux loués, un litige est né entre les parties sur le montant des sommes dont elles étaient mutuellement redevables au titre des indemnités d'éviction et d'occupation ; que, par jugement du 27 mars 2007, une expertise a été ordonnée aux fins d'évaluation de ces indemnités ; que, contestant la décision de l'expert de s'adjoindre un sapiteur, expert-comptable et commissaire aux comptes, la société a saisi le juge de la mise en état de conclusions d'incident ; que, le 28 février 2012, M. Brault, avocat, a déposé au nom de la SCI des conclusions en réponse comportant un passage ainsi rédigé : « au vu des premiers éléments communiqués, [la SCI] s'interrogeait en effet sur la fiabilité d'éléments comptables découlant des bilans versés aux débats, dès lors que la galerie Enrico X... fait partie du groupe X..., véritable nébuleuse financière au centre de laquelle se trouve M. X... lui-même » ; que le conseil de la société lui ayant demandé le retrait de cette phrase de ses conclusions, M. Brault, dans une lettre officielle du 14 mars 2012, lui a répondu dans les termes suivants : « à peine constitué dans ce dossier, vous m'interpellez à la suite de la récente notification de conclusions en réplique sur incident sur les termes d'un dire qui avait été adressé, voici plus d'un an, à l'expert le 18 janvier 2010 la bailleresse s'interrogeait sur la fiabilité des éléments comptables en raison de la présence d'un certain nombre de sociétés gravitant autour de M. Enrico X... et portant d'ailleurs son nom. Contrairement à vos insinuations, le terme « nébuleuse » n'a pas nécessairement le caractère déceptif que vous soulignez. [...] Votre cliente a déjà émis des vives protestations à l'encontre des remarques formulées dans le dire du 19 janvier 2010, ce dont je lui donne acte bien volontiers, en souhaitant que les investigations comptables préconisées par M. Bernard Y..., expert, soient de nature à éluder toute difficulté en rendant sans objet les interrogations initiales de la bailleresse. » ; qu'estimant que les propos précités portaient atteinte à son honneur et à sa considération, M. X... a assigné en diffamation M. Brault et la SCI aux fins d'obtenir réparation de son préjudice ; que ceux-ci ont invoqué le bénéfice de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors, selon le moyen :

1°/ que ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, les écrits produits devant les tribunaux ; que ne constitue toutefois pas un écrit produit devant les tribunaux un courrier officiel échangé entre avocats ; qu'en considérant, néanmoins, que la lettre officielle du 14 mars 2012 échangée entre l'avocat de la SCI et l'avocat de la société doit être considérée comme un écrit produit devant un tribunal, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ qu'en considérant que les propos incriminés ne peuvent être considérés comme étrangers au litige opposant la SCI et la société, après avoir pourtant constaté, d'une part, que le litige portait seulement sur la détermination du quantum d'une indemnité d'éviction due par la SCI, et, d'autre part, que les propos litigieux portaient une accusation envers M. X... qui serait au centre d'une « véritable nébuleuse financière », circonstance totalement étrangère à la détermination du quantum d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la lettre officielle du 14 mars 2012 avait été adressée, par le conseil de la SCI, tant à l'avocat de la partie adverse qu'au juge de la mise en état, afin qu'il soit informé des échanges entre les parties, et que celui-ci, chargé du contrôle de l'expertise judiciaire en cours, était compétent pour statuer sur l'incident soulevé par la société, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que cette lettre devait être considérée comme ayant été produite devant les tribunaux, au sens de l'article 41, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Et attendu, ensuite, que l'arrêt constate que le litige a pour objet de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement due par la bailleresse, qu'un expert a été désigné en raison des difficultés liées à cette indemnisation et qu'au cours des opérations d'expertise, la SCI a émis des réserves sur la fiabilité de la comptabilité produite par la société pour justifier de la valeur de son fonds de commerce ; que la cour d'appel en a exactement déduit que les propos litigieux, dont la société avait elle-même soutenu qu'ils auraient conduit l'expert à s'adjoindre un sapiteur, n'étaient pas étrangers à la cause ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, pour condamner M. X... au paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que celui-ci a interjeté appel bien que les motifs du tribunal aient fait clairement apparaître le caractère non seulement infondé mais abusif de la procédure qu'il a engagée ;

Qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus l'exercice de la voie de recours qui lui était ouverte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. X... à payer à M. Brault et à la SCI Vendôme bureaux la somme de 5 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.