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Décisions

Cass. 3e civ., 9 juin 2010, n° 09-11.738

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Rapporteur :

Mme Masson-Daum

Avocat général :

M. Cuinat

Avocats :

Me Brouchot, SCP Delaporte, Briard et Trichet

Versailles, du 9 déc. 2008

9 décembre 2008

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 décembre 2008), que la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) ayant effectué une visite des installation de la société Cray Valley (la société) exploitant un atelier "photocure" relevant de la législation sur les installations classées et réglementé par un arrêté préfectoral du 5 juin 2003, a relevé des infractions aux prescriptions de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003 et de l'arrêté ministériel du 2 février 1998 pour lesquelles elle a établi un procès-verbal du 11 janvier 2006 ; que le préfet de l'Oise a, par arrêté du 10 février 2006, mis en demeure la société de régulariser la situation dans un délai de trois mois ; qu'après régularisation, la procédure judiciaire a été classée sans suite par le procureur de la République ; que l'association France nature environnement (FNE) et l'Association nationale de protection des eaux et rivières, truites, ombres, saumons (ANPER-TOS) (les associations), ont assigné la société en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux associations la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges judiciaires sont tenus, en présence d'un moyen sérieux d'illégalité d'un acte administratif, de saisir le juge administratif d'une question préjudicielle et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision ; que le rapport et le procès-verbal d'infraction du 11 janvier 2006 comme l'arrêté préfectoral de mise en demeure du 10 février 2006 faisant état de non conformités aux articles 10.II et 10.III de l'arrêté ministériel du 2 février 1998, la société Cray Valley contestait la légalité de ces actes en indiquant que l'arrêté ministériel du 2 février 1998 ne s'appliquait, en ce qui concerne les installations classées existantes déjà autorisées, qu'aux installations classées modifiées, ce qui n'était pas le cas de ses installations ; qu'en se bornant à juger que les dispositions des articles 10.II et 10.III de l'arrêté ministériel du 2 février 1998 avaient été reprises par l'article III.4.4 de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003 réglementant l'activité de la société Cray Valley et qu'elles étaient donc bien applicables à cette société quand il lui appartenait d'apprécier le caractère sérieux du moyen d'illégalité invoqué en considération du seul texte fondant les actes administratifs dont la légalité était en cause, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 ;

2°/ qu'en jugeant que les prescriptions découlant des articles III.4.6 et III.5.3 de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003, dont il était soutenu pour en contester la légalité qu'elles n'étaient pas proportionnées et adaptées aux caractéristiques du site de la société Cray Valley et à ses modalités d'exploitation, étaient "évidemment nécessaires", "simples et parfaitement adaptées à la gestion d'un site sur lequel circulent de nombreuses substances toxiques potentiellement dangereuses", pour refuser de saisir le juge administratif d'une question préjudicielle, la cour d'appel s'est faite elle-même juge de la légalité des prescriptions en cause et a violé la loi des 16-24 août 1790 ;

3°/ que le recours en appréciation de validité d'un acte administratif individuel sur renvoi de l'autorité judiciaire n'est soumis à aucune condition de délai ; qu'en retenant, pour refuser de saisir le juge administratif d'une question préjudicielle relative à la légalité des actes administratifs pris par le préfet de l'Oise sur proposition de la DRIRE de la région Picardie, que la société Cray Valley avait reconnu les infractions relevées par la DRIRE sans émettre aucune contestation ni formuler aucun recours devant le juge administratif, la cour d'appel a violé derechef les dispositions de la loi des 16-24 août 1790 ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la DRIRE avait mis en évidence des infractions aux prescriptions de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003 et de l'arrêté ministériel du 2 février 1998 modifié, que les dispositions des articles 10.II et 10.III de l'arrêté ministériel du 2 février 1998 avaient été reprises par l'article III.4.4 de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003 réglementant l'activité de la société, que l'article III.4.6 de l'arrêté du 5 juin 2003 stipulait que "les organes de commande nécessaires à la mise en service du dispositif de confinement sont signalés et peuvent être actionnés en toutes circonstances, automatiquement ou manuellement en local", que l'article III.5.3 stipulait que "les canalisations de fluides sont individualisées par des couleurs normalisées ou par un système d'étiquetage d'efficacité équivalente permettant un repérage immédiat", que la société avait reconnu les infractions et avait régularisé la situation dans le délai qui lui était imparti et retenu que les prescriptions des articles III.4.6 et III.5.3 de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003 étaient évidemment nécessaires, simples et adaptées à la gestion d'un site sur lequel circulent de nombreuses substances toxiques potentiellement dangereuses, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'examiner l'exception d'illégalité du procès-verbal d'infraction du 11 janvier 2006 et de l'arrêté préfectoral de mise en demeure du 10 février 2006 au seul vu des dispositions de l'arrêté ministériel du 2 février 1998 et qui ne s'est pas prononcée sur la légalité des prescriptions de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2003, a pu en déduire que la société n'établissait pas que l'exception d'illégalité qui pourrait être soulevée devant le juge administratif présentait un caractère suffisamment sérieux pour justifier un sursis à statuer du juge judiciaire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux associations la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que les associations agréées de protection de l'environnement peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile à la double condition que les faits portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et qu'ils constituent une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement ou aux textes pris pour leur application ; que, en l'absence de tout dommage causé à l'environnement et lorsque l'exploitant a remédié à la non-conformité de ses installations suivant les prescriptions d'un arrêté préfectoral, la contravention aux dispositions réglementant le fonctionnement d'une installation classée ne caractérise pas en soi une atteinte aux intérêts collectifs dont les associations agréées de protection de l'environnement peuvent poursuivre la réparation ; qu'en déduisant une telle atteinte de la seule commission d'une infraction aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection de la nature et de l'environnement, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement ;

2°/ que le préjudice, dont la réparation est poursuivie, doit être en relation avec les faits fautifs portant atteinte aux intérêts collectifs que les associations agréées de protection de l'environnement ont pour objet de défendre ; que, en l'absence de tout dommage causé à l'environnement, il n'y a pas de lien de causalité entre le préjudice invoqué, fut-il moral et indirect, et la seule commission d'une infraction aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection de la nature et de l'environnement à laquelle il a été remédié avant que les associations demanderesses exercent l'action indemnitaire ; qu'en jugeant que le préjudice résultait bien en l'espèce de la faute commise, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1382 du code civil ;

3°/ que si les associations agréées de protection de l'environnement peuvent poursuivre la réparation du préjudice direct ou indirect porté aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, l'existence d'un préjudice en relation avec les faits incriminés doit être caractérisée d'après le contenu de leur objet social ; qu'en l'absence de lien direct entre les faits incriminés et l'objet statutaire très général des associations demanderesses, la cour d'appel, qui a déduit le préjudice moral de la seule commission d'une infraction aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection de la nature et de l'environnement, a violé derechef l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1382 du code civil ;

4°/ que, lorsque la contravention aux dispositions réglementant le fonctionnement d'une installation classée ne cause aucun dommage à l'environnement et qu'il y a été remédié suivant les prescriptions d'un arrêté préfectoral, le préjudice tenant à la commission de l'infraction ne constitue pas un préjudice personnel propre à l'association agréée de protection de l'environnement distinct du préjudice, déjà réparé, résultant de l'atteinte à l'intérêts général ; qu'en retenant l'existence d'un préjudice moral indirect subi par les associations demanderesses, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'association FNE avait été agréée par arrêté ministériel du 29 mai 1978 et l'association ANPER-TOS par arrêté ministériel du 15 mai 1979, que la première avait pour objet statutaire de "protéger, conserver les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux de la biosphère, l'eau, l'air, les sols, les sites et les paysages, le cadre de vie dans une perspective de développement durable, de lutter contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière générale, d'agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l'environnement" et que la seconde avait pour objet statutaire de participer à la lutte contre la pollution des eaux et des rivières et de protéger les écosystèmes aquatiques, la cour d'appel a pu retenir que les associations établissaient l'existence d'une faute, même si une mise en conformité était intervenue ultérieurement, et que l'infraction commise aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection de l'eau, de la nature ou de l'environnement leur avait causé un préjudice moral indirect et porté atteinte aux intérêts collectifs qu'elles avaient pour objet de défendre ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.