CA Versailles, 12e ch., 14 avril 2022, n° 20/06207
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Des Tilleuls (SCI)
Défendeur :
'Le Tilleul' (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Muller, M. Dusausoy
Avocat :
Selarl JRF & Associés
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 15 janvier 2010, la société des Tilleuls a renouvelé le bail commercial portant sur des locaux commerciaux situés au [...], pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2009, au profit de Mme A. aux droits de laquelle est venue la société Le Tilleul, puis la société MC.
Le 30 mars 2018, la société MC a sollicité le renouvellement du bail, le loyer étant alors de 17.252,16 euros HT/HC.
Le 29 juin 2018, la société des Tilleuls a refusé le renouvellement. En raison de l'apurement de la dette locative et de l'absence de mention du dernier alinéa de l'article L. 145-10 du code de commerce, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2018.
Après avoir notifié le 20 juin 2019 un mémoire préalable, la société des Tilleuls, par acte du 3 octobre 2019, a assigné la société MC devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre en fixation de loyer renouvelé à la somme annuelle de 34.800 euros en principal HT et HC.
Par jugement du 9 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- constaté le renouvellement au 1er juillet 2018 du bail entre la société des Tilleuls et la société MC portant sur les locaux à usage commercial sis [...] ;
- débouté la société des Tilleuls de sa demande d'expertise ;
- débouté la société des Tilleuls de sa demande de fixation du loyer à la valeur locative ;
- fixé le loyer dû par la société MC à la somme de 17.624,73 euros hors taxes;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société des Tilleuls aux dépens ;
- condamné la société des Tilleuls à verser à la société MC la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 11 décembre 2020, la société des Tilleuls a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2022, la société des Tilleuls demande à la cour de :
- déclarer la société des Tilleuls recevable et bien fondée en son appel ;
- réformer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre le 9 novembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger recevable et bien fondée la société des Tilleuls en toutes ses demandes ;
- juger que le bailleur dispose d'un motif de déplafonnement du loyer, en raison d'une modification notable des caractéristiques des lieux dont la preuve est rapportée, et/ou en raison d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ;
- fixer en conséquence le loyer du bail renouvelé au 1er juillet 2018 à la valeur locative des locaux loués, à un montant annuel de 34.800 euros en principal hors charges et hors taxes ;
- débouter la société MC de l'ensemble de ses demandes ;
- juger que le loyer fixé portera intérêt au taux légal de plein droit à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner le preneur au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont le montant sera recouvré par Me Mélina P., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire,
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de donner son avis sur le déplafonnement et la valeur locative ;
- dans ce cas, fixer le loyer provisionnel que le locataire devra régler à compter du 1er juillet 2018 et jusqu'à la fin de la procédure définitive en fixation du loyer, à la somme annuelle de 34.800 euros hors taxes et hors charges ;
- voir en telle hypothèse réserver les dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2022, la société MC demande à la cour de:
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant ;
- condamner la société des Tilleuls à payer à la société MC la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Oriane D., JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 janvier 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la demande principale
Le jugement a retenu que si la société des Tilleuls sollicitait le déplafonnement des loyers du fait de l'adjonction d'une terrasse, celle-ci faisait l'objet d'une autorisation précaire de la ville, et que dans ces cas la jurisprudence excluait le déplafonnement. Il en a déduit que cette adjonction ne constitue pas une modification notable des facteurs locaux justifiant le déplafonnement. Il n'a pas fait droit à la demande d'expertise, considérant qu'une telle mesure n'avait pas à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, et a débouté la société des Tilleuls de ses demandes.
Après avoir présenté les locaux, la société des Tilleuls indique que sa demande de déplafonnement repose sur une modification notable des caractéristiques des locaux par l'adjonction d'une terrasse, et sur une modification des facteurs locaux de commercialité en raison de l'agrandissement de la terrasse. Elle ajoute qu'une terrasse constitue une extension appréciable d'activité pour une brasserie restaurant, car elle permet l'accueil de clients supplémentaires, et qu'en l'espèce la terrasse dispose d'un plancher permettant d'accueillir 13 tables au lieu de 5 petites tables précédemment. Elle indique que la terrasse a permis d'ajouter entre 26 et 30 couverts supplémentaires, ce alors que la salle du commerce est petite, soit 18,54 m2, de sorte que la capacité d'accueil a été multipliée par 3. Elle considère la terrasse comme installée au cours du bail expiré, et constituant une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
La société MC conteste le déplafonnement et la fixation à la valeur locative des locaux du fait de l'adjonction de la terrasse en cours de bail, la doctrine ne retenant pas une telle adjonction comme un motif valable de déplafonnement. Elle est réservée quant à la jurisprudence versée par l'appelante, relève que l'acte de cession du fonds de commerce fait état du caractère précaire du droit de terrasse, laquelle existait avant la conclusion du bail de 2010, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un élément nouveau survenu au cours du bail.
***
Il résulte de l'article L. 145-34 du code de commerce qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 (à savoir : les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ; les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de commercialité), le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques.
Il résulte de l'article R. 145-6 du même code que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Le déplafonnement serait, selon la société des Tilleuls, justifié du fait de l'adjonction d'une terrasse en cours de bail, modifiant les caractéristiques des locaux loués, et représentant une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
En l'espèce, au vu de l'indication dans l'acte de cession du fonds de commerce du 25 juin 2010 de l'existence 'd'un droit de terrasse à titre précaire', la terrasse ne paraît pas être un élément nouveau survenu au cours du bail.
Par ailleurs, si la terrasse a été agrandie au cours du dernier bail, cette modification ne porte pas sur les lieux loués eux-mêmes. Il s'agit d'une terrasse extérieure soumise à autorisation d'utiliser le domaine public à titre précaire, l'autorisation précisant notamment qu'il s'agit d'une terrasse ouverte, que 'les équipements constituant la terrasse ouverte ne comporteront aucun ancrage dans le sol, et ne pourront être placés sur le trottoir que pendant les horaires d'ouverture de l'établissement'.
L'extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l'établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d'une autorisation administrative, ne peut être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu'elle ne fait pas partie de ceux-ci.
Aussi, quand bien même l'extension de la terrasse aurait augmenté considérablement la capacité d'accueil de la terrasse, celle-ci ne faisant pas partie des locaux loués aux termes du bail, il ne peut en être déduit une modification des locaux loués.
Par ailleurs, cette extension ne peut constituer une modification notable des facteurs locaux de commercialité, au vu du caractère précaire du droit à terrasse sur le domaine public, ainsi que mentionné par l'acte de cession du fonds de commerce.
La cour observe que l'arrêté de permis de stationnement pour un commerce, délivré par la ville de Boulogne Billancourt le 11 mai 2018, indique notamment que l'autorisation est accordée à titre précaire et révocable pour une durée de trois ans, et qu'elle ne peut être transférée à aucune autre personne physique ou morale sans le consentement de l'administration.
Dans ces conditions, l'agrandissement de la terrasse ne paraît pas de nature à modifier les facteurs locaux de commercialité, et à constituer un motif de déplafonnement.
Il n'y a lieu de faire droit à la demande de désignation d'expert, ne relevant pas de sa mission d'apprécier si une terrasse est de nature à entrainer un déplafonnement, et constitue ou non une modification des facteurs locaux de commercialité.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu l'existence de motifs justifiant le déplafonnement, et en ce qu'il a débouté la société des Tilleuls de sa demande de fixation du loyer renouvelé à la valeur locative.
Sur les autres demandes
Les condamnations prononcées en 1ère instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées.
Succombant au principal, la société des Tilleuls sera condamnée au paiement des dépens d'appel, ainsi qu'au versement de la somme de 1500 euros à la société MC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société des Tilleuls à payer à la société MC la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Oriane D., JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.