CA Versailles, 12e ch., 3 mars 2022, n° 20/01861
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Commune De Boulogne Billancourt (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Muller, M. Nut
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 22 mai 1995, M. Jean J. et Mme Yvonne J., propriétaires indivis d'un ensemble immobilier situé [...], ont donné des locaux à titre de renouvellement de bail commercial à la société S. Pressing, pour une durée de neuf années et un loyer annuel de 85.000 francs plus taxes, impôts et charges.
Par acte extrajudiciaire du 20 mars 2002, M. Jean J. et Mme Yvonne J. ont donné congé à la société S. Pressing, avec offre de renouvellement à compter du 1er octobre 2002, moyennant un loyer annuel en principal de 22.868 € hors charges.
Par actes des 15 et 17 mai 2002, la société S. Pressing a accepté l'offre de renouvellement sous réserve du montant du loyer proposé.
Le 16 janvier 2004, M. Jean J. et Mme Yvonne J. ont notifié au preneur un mémoire préalable par lequel ils ont sollicité la fixation du loyer en renouvellement par référence à la valeur locative en raison de modifications des caractéristiques des locaux et de l'assiette du bail, soit à la somme annuelle en principal HT et HC de 23.731 € à compter du 1er octobre 2002.
A la suite du décès de M. Jean J., cet ensemble immobilier est devenu la propriété indivise de Mme Yvonne J., de Mme Nicole D., de M. Jean-Pierre D., de Mme Denise D. ép B. et de Mme Odette M..
Par acte du 28 juillet 2005, du fait de l'absence d'accord entre les parties sur le montant du loyer du bail renouvelé, les bailleurs ont saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nanterre lequel, par jugement avant-dire droit du 25 janvier 2006 a :
- constaté le renouvellement du bail commercial à compter du 1er octobre 2002;
- ordonné une expertise et commis Madame Florence M. pour y procéder;
- fixé le montant du loyer provisionnel à la somme annuelle de 15.000 € en principal hors taxes et hors charges à compter du 1er octobre 2002.
Le 17 mars 2008, Mme M. a déposé son rapport.
Par jugement du 22 février 2010, le tribunal de grande instance de Nanterre a notamment :
- fixé le montant du loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2002 entre l'indivision D. et M. et la société S. Pressing à la somme de 18.880 € par an en principal, hors taxes et hors charges,
- dit la SARL S. Pressing tenue de payer au bailleur le différentiel de loyer avec intérêts au taux légal à compter de chacune des échéances contractuelles, et capitalisation desdits intérêts comme prévu à l'article 1154 du code civil,
- rejeté toutes autres demandes.
Par acte du 15 juin 2010, Mme Nicole D., M. Jean-Pierre D., Mme Denise D. ép B. et Mme Odette M. ont délivré à la société S. Pressing, un commandement de payer visant la clause résolutoire figurant au bail, pour paiement de la somme de 35.605,64 € au titre du différentiel de loyer et des intérêts légaux tels que fixés par le jugement du 22 février 2010.
La société S. Pressing a, par acte du 15 juillet 2010, assigné en référé les consorts D. devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de suspendre les effets du commandement de payer délivré le 15 juin 2010.
Par ordonnance de référé du 9 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Nanterre a:
- condamné la société S. Pressing à payer à l'indivision D. et M. la somme de 35.605,64 € à titre de provision sur les loyers et charges impayés au 1er trimestre 2010 inclus ;
- constaté que la société S. Pressing a remis un chèque de 15.000 € à l'ordre de la Carpa en paiement d'une partie de sa dette ;
- accordé à la société S. Pressing des délais de paiement d'une durée de 24 mois pour se libérer de sa dette de 35.605,64 € et suspendu les effets de la clause résolutoire contractuelle ;
- dit que la société S. Pressing règlera la provision de 35.605,64 € en plus des loyers et charges courants, en un versement de 15.000 € qui devra être effectivement remis à l'indivision D. et M. avant le 25 septembre 2010, et en vingt-trois versements de 895,90 € à régler avant le 5 de chaque mois et pour la 1ère fois avant le 5 octobre 2010.
Par actes du 24 mars 2011, les consorts D. ont notifié à la société S. Pressing la déchéance du terme, outre un commandement de libérer les lieux et un commandement de saisie vente.
Par jugement du 13 juillet 2011, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, saisi par la société S. Pressing, a annulé le commandement aux fins de quitter les lieux et le commandement aux fins de saisie vente.
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 22 mars 2012.
Par acte du 15 juin 2011, Mme Nicole D., M. Jean-Pierre D., Mme Denise D. ép B. et Mme Odette M. ont délivré à la société S. Pressing un congé avec refus de renouvellement de bail et offre d'indemnité d'éviction à hauteur de 160.000€, souhaitant mettre fin au bail pour le 31 décembre 2011.
Par acte des 24 et 27 décembre 2013, la société S. Pressing a assigné les consorts D. aux fins de solliciter la fixation de l'indemnité d'éviction à leur charge.
Par acte du 27 décembre 2013, les consorts D. ont assigné la société S. Pressing devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de solliciter la fixation de l'indemnité d'occupation, à compter du 1er janvier 2012, à la somme annuelle de 36.400 € et à titre subsidiaire la désignation d'un expert judiciaire aux fins de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation.
Par ordonnance du 4 avril 2014, la jonction de ces deux instances a été ordonnée.
Le 6 mars 2014, la commune de Boulogne-Billancourt a fait l'acquisition des biens immobiliers loués à la société S. Pressing.
Par conclusions du 26 novembre 2014, la commune de Boulogne-Billancourt est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 6 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- dit que la société S. Pressing avait le droit à une indemnité d'éviction du fait du non-renouvellement de son bail commercial signifié le 15 juin 2011;
- fixé Ie montant de I'indemnité principale à la somme de 200.000 € ;
- fixé le montant des indemnités accessoires à la somme de 52.171 €;
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 26.092 € hors taxes et hors charges ;
- condamné la commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing la somme de 252.171 € à titre d'indemnité d'éviction;
- condamné la société S. Pressing à payer à Mme Denise D. épouse B., Mme Nicole D. veuve L., et M. Jean-Pierre D. la somme de 26.092 € hors taxes et hors charges, par an majorée des charges, à titre d'indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2012 jusqu'au 5 mars 2014;
- condamné la société S. Pressing à payer à la commune de Boulogne-Billancourt Ia somme de 26.092 € hors taxes et hors charges majorée des charges, à titre d'indemnité d'occupation à compter du 6 mars 2014 ;
- dit que les intérêts au taux légal courront sur la différence entre les sommes versées au titre de l'indemnité d'occupation provisionnelle et le montant définitif de cette indemnité à compter de Ia présente décision ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- condamné la commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing Ia somme de 6.000 € en application de l'articIe 700 du code de procédure civile ;
- débouté Mme Denise D. épouse B., Mme Nicole D. veuve L. et M. Jean-Pierre D. de leur demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la commune de Boulogne-Billancourt aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 27 mars 2020, la société S. Pressing a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2021, la société S. Pressing demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu le 6 janvier 2020 par la 8ème chambre du tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a :
- Fixé le montant de l'indemnité principale à la somme de 200.000 € ;
- Condamné Ia commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing la somme de 252.171 € à titre d'indemnité d'éviction;
- Condamné Ia commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- Fixer le montant de l'indemnité principale d'éviction due à la société S. Pressing à la somme de 250.000 € ;
- Valider les conclusions du rapport de M. F. en date du 13 novembre 2017 en ce qu'il a estimé le montant des indemnités accessoires y compris les frais de réinstallation, à la somme de 52.171 €, hors indemnités de licenciement ;
- Fixer le montant des indemnités de licenciement et/ou pertes sur salaires à la somme totale de 21.931,43 € ;
En conséquence,
- Condamner Ia commune de Boulogne-Billancourt, propriétaire bailleur des locaux commerciaux depuis le 6 mars 2014, à régler à la société S. Pressing une indemnité d'éviction globale de 324.102,43 € ;
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 26.092 hors taxes et hors charges ;
- Condamner la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- La condamner aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise pour la somme de 7.178,57 € toutes taxes comprises dont recouvrement au profit de Me Valérie A. H., Avocat aux offres de droit conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 8 octobre 2020, la commune de Boulogne-Billancourt demande à la cour de :
In limine litis,
-Dire et juger la commune de Boulogne-Billancourt recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
-Dire et juger l'appel de la société S. Pressing irrecevable et mal fondé;
A titre subsidiaire,
-Dire et juger recevable et bien fondée la commune de Boulogne-Billancourt en son appel incident ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Débouter la société S. Pressing de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Confirmer le jugement du 6 janvier 2020 en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a:
- Fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 26.092 € hors taxes et hors charges ;
- Condamné la société S. Pressing à payer à Mme Denise D. épouse B., Mme Nicole D. veuve L. et M. Jean-Pierre D. la somme de 26.092 € hors taxes et hors charges, par an majorée des charges, à titre d'indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2012 au 5 mars 2014 ;
- Condamné la société S. Pressing à payer à la commune de Boulogne-Billancourt la somme de 26.092 € hors taxes et hors charges majorée charges, à titre d'indemnité d'occupation a compter du 6 mars 2014;
- Dit que Ies intérêts au taux légal courront sur la différence entre Ies sommes versées au titre de l'indemnité d'occupation provisionnelle et le montant définitif de cette indemnité à compter de la présente décision ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts ;
- Condamné la commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la commune de Boulogne-Billancourt aux dépens en ce compris Ies frais d'expertise, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
En conséquence, statuant à nouveau,
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation a la somme annuelle de 36.400€ hors taxes et hors charges à compter du 1er janvier 2012 ;
- Condamner la société S. Pressing à payer à la commune de Boulogne-Billancourt la somme annuelle principale de 36.400 € hors taxes et hors charges à titre d'indemnité d'occupation et ce, à compter du 5 mars 2014, date du paiement du prix des biens immobiliers préemptés, sauf à déduire les acomptes versés depuis lors ;
- Dire que les intérêts au taux légal courront sur le différentiel à compter du jugement (sic) à intervenir avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 ancien du code civil - devenu l'article 1343-2 depuis le 1er octobre 2016 ;
- Condamner la société S. Pressing à payer à la commune de Boulogne-Billancourt la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société S. Pressing aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 septembre 2021.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la recevabilité de l'appel formé par la société S. Pressing
La commune de Boulogne-Billancourt soulève l'irrecevabilité de l'appel formé par la société S. Pressing, au vu de l'article 553 du code de procédure civile, en indiquant qu'ayant acquis le bien immobilier le 6 mars 2014 elle est venue aux droits et obligations de l'indivision D., et a sollicité la fixation de l'indemnité d'occupation à compter de cette date, les sommes antérieures appartenant à l'indivision D.. Elle ajoute que le jugement a fait droit à sa demande en distinguant les condamnations de la société S. Pressing au profit de l'indivision D., et celle au profit de la commune. Elle relève que la société S. Pressing sollicite dans ses conclusions la fixation de l'indemnité d'occupation à 26.092 € sans mettre dans la cause l'indivision D., alors qu'elle est bénéficiaire de cette somme pour la période avant l'acquisition du bien par la commune. Elle ajoute former un appel incident s'agissant du montant de l'indemnité d'occupation. Elle dénonce l'indivisibilité du litige entre les parties et l'irrecevabilité de l'appel faute pour la société S. Pressing d'avoir intimé toutes les parties.
La société S. Pressing soutient que son appel est limité, que sa déclaration d'appel a été adressée aux conseils tant de la commune de Boulogne-Billancourt que des consorts D. de sorte que ceux-ci avaient la possibilité de former un appel incident ou d'intervenir volontairement et, ayant connaissance de l'étendue de la déclaration d'appel, ont renoncé à former appel du jugement s'agissant de l'indemnité d'occupation. Elle affirme que les dispositions du jugement pouvaient être exécutées séparément pour l'indivision D. et pour la commune de Boulogne-Billancourt.
***
L'article 553 du code de procédure civile prévoit qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
La société S. Pressing a formé appel du jugement du 6 janvier 2020 à l'encontre de la seule commune de Boulogne-Billancourt, en ce qu'il a :
- fixé le montant de l'indemnité principale à la somme de 200.000 €,
- condamné la commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing la somme de 252.171 € à titre d'indemnité d'éviction,
- condamné la commune de Boulogne-Billancourt à payer à la société S. Pressing Ia somme de 6.000 € en application de l'articIe 700 du code de procédure civile.
Il s'en suit que la déclaration d'appel porte sur l'indemnité d'éviction, et non sur l'indemnité d'occupation.
Dès lors, le fait que la société S. Pressing n'ait pas mis en cause les consorts D., uniquement concernés par le montant de l'indemnité d'occupation, est sans incidence sur la recevabilité de son appel.
Sur le montant de l'indemnité d'éviction
Le jugement, en se fondant sur le rapport de l'expert qui a estimé que l'éviction entraînerait la perte du fonds de commerce, et en prenant note que l'évaluation de l'indemnité d'éviction devait se faire à la date la plus proche de l'éviction, a retenu une valeur de 200.000 € au titre de l'indemnité d'éviction et de 52.171 € au titre des indemnités accessoires.
La société S. Pressing relève que son fonds de commerce est situé sur une place formant un carrefour très fréquenté, bénéficiant d'un excellent achalandage et d'une commercialité très animée, et qu'elle est dans les lieux depuis 1957. Elle fait état de la valeur de son fonds de commerce, de son chiffre d'affaires, décrit les locaux et la situation locative, et reprend l'estimation qu'en a fait l'expert. Elle indique avoir fait procéder à une évaluation par expert de la valeur de son fonds, chiffrée à 230.000 €, et qu'au vu de l'augmentation de son chiffre d'affaires il convient de retenir la somme de 250.000 €. Elle ajoute qu'il faut prendre en compte, outre les indemnités accessoires, le montant des indemnités de licenciement.
La commune de Boulogne-Billancourt reprend les conclusions de l'expert judiciaire, et souligne que celles de l'expert missionné par la société S. Pressing sont plus anciennes et fondées sur des chiffres d'affaires de 2010 à 2012, ou sur l'excédent brut d'exploitation qui a retenu un chiffrage ancien et reposant sur des éléments non produits. Elle avance que la méthode par le chiffre d'affaires est plus pertinente, et sollicite la confirmation du jugement.
***
L'article L. 145-14 du code de commerce prévoit que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
L'indemnité d'éviction doit être calculée au moment où le préjudice est réalisé, c'est à dire soit à la date de l'éviction, soit à la date où le locataire cesse d'occuper régulièrement les lieux.
Il n'est pas contesté que l'indemnité principale en cas de perte du fonds de commerce est constituée par la plus élevée soit de la valeur marchande du fonds, soit de la valeur du droit au bail.
En l'espèce, le rapport d'expertise judiciaire réalisé par M. F. en novembre 2017 rappelle la désignation des lieux suivants le bail du 22 mai 1995 (un local à usage commercial au rez-de-chaussée, une remise sur cour et un local situé au 1er étage au-dessus de la boutique et comprenant 4 pièces), lieux qui se situent sur deux voies soit l'avenue du général Leclerc et la rue des quatre cheminées, la 1ère constituant un des grands axes de circulation de Boulogne avec une commercialité hétéroclite, la 2ème étant une voie secondaire dénuée de commercialité. Il a retenu une surface pondérée de la partie boutique de 49,73 m2 et une surface de l'appartement de 43 m2, relevé que l'immeuble était en mauvais état, avec des locaux commerciaux en état correct pour la boutique et en état d'usage pour le reste des locaux.
Il a estimé un transfert du fonds de commerce difficile, la clientèle d'un commerce de pressing étant attachée à l'emplacement, et estimé la valeur du droit au bail à 37.000 € et celle du fonds de commerce à 200.000 €. Il a chiffré la totalité des indemnités annexes à 52.171 €.
Si la société S. Pressing fait état de l'analyse réalisée par Mme M., experte près la cour d'appel de Versailles, à laquelle elle a demandé de chiffrer l'indemnité d'éviction, et qui retient une indemnité principale de 230.000 € outre des indemnités accessoires de 87.630 €, ce rapport a été déposé le 10 novembre 2013, soit quatre années avant l'expertise judiciaire réalisée par M. F., qui a donc été effectuée à une date beaucoup plus proche de l'éviction.
Mme M. a fondé sa détermination du montant de l'indemnité d'éviction au vu des chiffres d'affaires des exercices 2010 à 2012, soit des données anciennes lors de l'éviction de la société S. Pressing, alors que l'expert judiciaire a pris en compte les chiffres d'affaires des années 2013 à 2015, soit plus proches de la date d'éviction.
Pour autant, la société S. Pressing justifie d'un chiffre d'affaires de 242.837 € en 2018, et de 251.741 € en 2019, et si le jugement a pu retenir que les résultats de 2018 étaient isolés, ceux de 2019 sont également supérieurs, de sorte qu'il convient de les retenir, et de se fonder sur une moyenne de chiffre d'affaires, au vu des années 2016 à 2019, de 213.824 € HT, soit une valeur marchande du fonds de commerce de 250.000 €.
S'agissant du calcul par l'excédent brut d'exploitation, elle n'a pas été jugée pertinente par l'expert judiciaire, au vu des caractéristiques du fonds de commerce et de son mode d'exploitation en nom personnel, s'agissant le plus souvent de franchises, de sorte que le résultat d'exploitation ne reflète pas ses potentialités d'exploitation.
Il ressort des développements précédents que depuis la réalisation de l'expertise judiciaire la société S. Pressing a justifié d'une augmentation sensible de son chiffre d'affaires en 2018 et 2019. Pour autant, la valorisation dépend de plusieurs critères dont la qualité de son emplacement, qui a été évaluée par l'expert, et des aménagements et investissements réalisés pour pérenniser l'exploitation, et sur ce point la société S. Pressing justifie essentiellement de frais engagés pour remplacer les machines, afin de permettre de poursuivre l'exploitation du fonds.
Au vu de ce qui précède, il convient, afin de tenir compte de l'évolution du chiffre d'affaires de la société S. Pressing, de fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 230.000 €, et le jugement sera réformé sur ce point.
Sur les indemnités accessoires
Le jugement a retenu la somme de 52.171 € proposée par l'expert, en relevant que la société S. Pressing validait ses conclusions qui n'étaient pas contestées par la commune de Boulogne-Billancourt.
La société S. Pressing sollicite la confirmation de ce montant, en ajoutant qu'il comprend les frais de réinstallation mais pas les indemnités de licenciement, qui s'élèvent à 21.931,43 €.
La commune de Boulogne-Billancourt demande la confirmation du jugement.
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Il ressort du rapport d'expertise que l'expert a chiffré les indemnités annexes à 52.171 €, en indiquant dans son calcul, au titre des indemnités de licenciement, 'sur justificatifs', de sorte qu'il ne les a pas chiffrées.
La société S. Pressing justifie avoir versé les sommes de 12.444,94 € pour une employée, et de 9486,49 € pour l'autre, soit un total de 21.931,43 €.
Aussi sera-t-il fait droit à la demande de la société S. Pressing, et la commune de Boulogne-Billancourt sera condamnée au paiement de cette somme.
Sur l'appel incident de la commune de Boulogne-Billancourt sur l'indemnité d'occupation
Après avoir indiqué que l'expert judiciaire avait fixé l'indemnité d'occupation à 26.092 € HT et HC par an et détaillé les éléments qu'il avait pris en considération, le jugement a entériné ce montant.
La commune de Boulogne-Billancourt fait état des valeurs locatives particulièrement faibles relevées par l'expert, et indique qu'un abattement pour précarité de 15% dépasse le seuil habituellement retenu de 10%. Elle souligne la stabilité de l'exploitation de la société S. Pressing, qui a pu rester huit années supplémentaires dans les locaux.
La société S. Pressing sollicite la confirmation du jugement et des conclusions de l'expert judiciaire, en mettant notamment en avant le taux d'abattement pour précarité du fait de la longueur de la procédure, et le fait qu'à la suite d'un arrêté de péril du 3 mars 2020 elle ne peut plus exploiter le local.
***
La commune de Boulogne-Billancourt a formé un appel incident s'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, sans mettre en la cause les consorts D., non parties à l'instance d'appel. Pour autant, la société S. Pressing qui demande au dispositif de ses conclusions la confirmation de l'indemnité d'occupation fixée à la somme de 26.092 € HT et HC, n'a pas soulevé l'irrecevabilité de cet appel incident.
L'expert judiciaire M. F. a retenu une valeur locative de 30.697 € (avant abattement) au vu d'une quinzaine de boutiques situées à Boulogne à proximité de l'emplacement occupé par la société S. Pressing, en prenant en compte les baux neufs et droits au bail, les renouvellements de baux, les fixations judiciaires. Il a également considéré, pour parvenir à cette fixation, la proximité immédiate de la station de métro Marcel S., la destination relativement large du bail et ses clauses et conditions, en relevant notamment que la commercialité du lieu n'était pas comparable à celle de l'[...].
S'agissant de l'abattement de 15% pour précarité, il est à considérer que si la procédure a permis à la société S. Pressing de poursuivre son activité, elle a duré plus de 10 années, et la société S. Pressing fait état d'un arrêté de péril à compter du 3 mars 2020 l'empêchant d'exploiter le local, ce qui n'est pas contesté par la commune, et dont il convient de tenir compte.
En conséquence, et alors que l'évaluation faite par l'expert judiciaire de l'indemnité d'occupation (donc après déduction de l'abattement), soit 26.092 €, est proche de celle réalisée par l'expert missionné par la société S. Pressing, le montant de l'indemnité d'occupation évalué par l'expert judiciaire et retenu par le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes
La condamnation de la commune de Boulogne-Billancourt au paiement des frais irrépétibles et dépens de 1ère instance sera confirmée.
Succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens d'appel, en ce compris les frais d'expertise.
Au vu de la condamnation prononcée en 1ère instance, la commune de Boulogne-Billancourt sera condamnée au paiement de la somme de 2.000 € à la société S. Pressing au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Déclare l'appel recevable,
Confirme le jugement, sauf s'agissant du montant de l'indemnité principale d'éviction,
statuant à nouveau,
Fixe Ie montant de I'indemnité principale à la somme de 230.000 €,
y ajoutant,
Fixe le montant des indemnités de licenciement à la somme totale de 21.931,43 €,
En conséquence, dit que la condamnation de la commune de Boulogne-Billancourt s'élève à 304.102,43 €,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la commune de Boulogne-Billancourt au paiement à la société S. Pressing de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, dont recouvrement au profit de Me Valérie A. H., avocat aux offres de droit conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile.