CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 11 mai 2022, n° 19/12032
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
L'oeil Au Vert (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bala
Conseillers :
Mme Gil, Mme Lebée
Avocat :
AARPI Aeven Avocats
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 31 mars 2006, M. A., aux droits duquel vient Monsieur P., a donné à bail à la société L'Oeil au vert des locaux à usage commercial situés [...], pour 9 ans à compter du 1er avril 2006, avec un loyer annuel en principal de 9.156 €, et pour l'exercice d'une activité de librairie. Ce bail fait suite à l'acquisition, par la société L'Oeil au vert (OAV), des fonds de commerce exploités par deux locataires différents dans des locaux contigus, propriété de M. A., qui a donc consenti un nouveau bail unique au preneur avec droit de percement.
Par acte extrajudiciaire du 22 décembre 2014, la société OAV a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er avril 2015. Par acte extrajudiciaire du 20 mars 2015, Monsieur P. a refusé le renouvellement et offert une indemnité d'éviction.
Par ordonnance du 3 septembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par la société L'Oeil Au Vert, a désigné M. S. en qualité d'expert, avec mission habituelle en la matière, pour recueillir des éléments permettant de fixer l'indemnité d'éviction.
Par acte sous seing privé du 24 mai 2016, enregistré le même jour, la société OAV a pris à bail de la SCI Caparica des locaux situés [...] pour 9 ans à compter du 1er juillet 2016, moyennant un loyer mensuel de 420 € et pour l'exercice d'une activité de librairie.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet 2016, la société OAV a indiqué au gestionnaire du bailleur qu'elle restituait les locaux loués le 11 juillet suivant, suite au refus de renouvellement du bail, sans renoncer au paiement de l'indemnité d'éviction.
Par acte extrajudiciaire du 8 juillet 2016, Monsieur P. a exercé son droit de repentir, proposant le renouvellement du bail à compter du même jour, moyennant un loyer annuel en principal de 15.000 €. Les clefs du local ont été remises au bailleur le 11 juillet 2016.
La société L'Oeil Au Vert a ensuite fait assigner Monsieur P. par acte du 30 novembre 2016 devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de l'indemnité d'éviction à la somme de 336.583 € outre frais de licenciement. La procédure a été enrôlée sous le n° de RG 16/17858.
M. S. a déposé son rapport le 23 mars 2017, concluant à une perte du fonds de commerce du fait de l'éviction, à une indemnité principale égale à la valeur du droit au bail, de 112.644 €, supérieure à la valeur marchande du fonds, et à des indemnités accessoires de 5.907,20 € outre frais complémentaires de licenciement sur justificatifs.
Par acte du 20 avril 2017, Monsieur P. a fait assigner la société OAV devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir juger qu'il avait valablement exercé son droit de repentir, que le bail s'était renouvelé le 8 juillet 2016 et obtenir la condamnation du défendeur à lui payer les loyers dus jusqu'au 8 juillet 2019, date de la première échéance triennale à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité d'occupation, fixée à la somme de 29.400 € par an en principal, entre le 1er avril 2015 et le 7 juillet 2016.
Cette procédure, enrôlée sous le n° de RG 17/5944 a été jointe à la précédente par ordonnance du juge de la mise en état du 17 novembre 2017.
Par jugement en date du 18 avril 2019 le tribunal de grande instance de Paris, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, a :
- Déclaré de nul effet l'exercice par M. P. de son droit de repentir par acte extrajudiciaire du 8 juillet 2016 ;
- Dit que le refus de renouvellement délivré le 20 mars 2015 par M. P. à la société L’oeil au Vert avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction a mis fin, à compter du 31 mars 2015, au bail liant les parties et portant sur les locaux situés [...] et a ouvert droit pour la société L’oeil au Vert au paiement d'une indemnité d'éviction ;
- Dit que cette indemnité est une indemnité de remplacement pour perte du fonds de commerce;
- Fixé à la somme globale de 124.431,38 € le montant de l'indemnité d'éviction due par M. P. à la société L’oeil au Vert qui se décompose ainsi :
- indemnité principale :112.644 €
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 529 €
- pour trouble commercial : 3.252 €
- pour frais de déménagement : 882,94 €
- pour frais divers : 429,49 €
- pour frais de double loyer : 350,63 €
- pour frais de licenciement : 6.343,32 €
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 124.431,38 € au titre de l'indemnité d'éviction outre celle de 5.817,42 € au titre du dépôt de garantie;
- Déclaré prescrite l'action de M. P. en fixation et paiement d'une indemnité d'occupation annuelle de 29.400 € en principal du 1er avril 2015 au 11 juillet 2016 ;
- Rejeté les demandes de M. P. en paiement de dommages et intérêts ;
- Rejeté les demandes de la société L’oeil au Vert en remboursement des indemnités d'occupation versées entre le 1er avril 2015 et le 11 juillet 2016 et en paiement de dommages et intérêts,
- Condamné M. P. aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise ordonnée en référé confiée à M. S., et dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire;
- Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 12 juin 2019, M. P. a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 février 2022, M. Jean-Michel P. demande à la Cour de :
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu l'acte de repentir du 8 juillet 2016
Vu les articles L. 145-12, L. 145-14, L. 145-58 et suivants du Code de commerce,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats, et, notamment, le repentir délivré le 8 juillet 2016,
Vu le constat d'huissier du 10 octobre 2018,
- Recevoir Monsieur Jean-Michel M. P. en son appel, fins et conclusions et l'y déclarer bien fondé ;
- Infirmer le jugement rendu le 18 avril 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS en ce qu'il a :
- Déclaré de nul effet l'exercice par M. P. de son droit de repentir par acte extrajudiciaire du 8 juillet 2016 ;
- Dit que le refus de renouvellement délivré le 20 mars 2015 par M. P. à la société L’oeil au Vert avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction a mis fin, à compter du 31 mars 2015, au bail liant les parties et portant sur les locaux situés [...] et a ouvert droit pour la société L’oeil au Vert au paiement d'une indemnité d'éviction,
- Dit que cette indemnité est une indemnité de remplacement pour perte du fonds de commerce,
- Fixé à la somme globale de 124.431,38 € le montant de l'indemnité d'éviction due par M. P. à la société L’oeil au Vert qui se décompose ainsi :
- indemnité principale :112.644 euros
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 529 euros
- pour trouble commercial : 3.252 euros
- pour frais de déménagement : 882,94 euros
- pour frais divers : 429,49 euros
- pour frais de double loyer : 350,63 euros
- pour frais de licenciement : 6.343,32 euros
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 124.431,38 euros au titre de l'indemnité d'éviction outre celle de 5.817,42 euros au titre du dépôt de garantie,
- Déclaré prescrite l'action de M. P. en fixation et paiement d'une indemnité d'occupation annuelle de 29.400 euros en principal du 1er avril 2015 au 11 juillet 2016,
- Rejeté les demandes de M. P. en paiement de dommages et intérêts,
- Condamné M. P. aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise ordonnée en référé confiée à M. S., et dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire,
- Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.
- Confirmer le jugement rendu le 18 avril 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
A titre principal, sur l'irrecevabilité des demandes de la société L’oeil au Vert
- Dire et juger efficace le repentir délivré par Monsieur Jean-Michel P. le 8 juillet 2016 ;
- Dire et juger irrecevables les demandes de versement d'une indemnité d'éviction formulées par la société L’oeil au Vert à l'encontre de Monsieur Jean-Michel P. ;
- Débouter la Société L’oeil au Vert de l'ensemble de ses demandes;
A titre reconventionnel, sur l'indemnisation du préjudice de Monsieur P.
- Constater que le bail commercial consenti à la Société L’oeil au Vert a été renouvelé le 8 juillet 2016, par l'effet du repentir, pour une durée de 9 ans ;
- Constater que la Société L’oeil au Vert a délibérément quitté les locaux le 11 juillet 2016, en violation du bail ;
En conséquence,
- Condamner la société L’oeil au Vert à verser à Monsieur Jean-Michel P. la somme de 104.000 € au titre du préjudice subi du fait du départ anticipé ;
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société L’oeil au Vert à la somme de 29.400 € HT HC par an pour la période comprise entre le 1er avril 2015 et le 7 juillet 2016 (période interstitielle entre effet du congé et renouvellement du bail) ;
- Débouter la société L’oeil au Vert de sa demande de restitution des indemnités versées au titre de l'occupation des lieux ;
- Condamner en deniers ou quittances la société L’oeil au Vert à verser à Monsieur Jean-Michel P. l'indemnité d'occupation ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le repentir serait jugé inefficace
Sur la perte du droit à indemnité d'éviction
- Constater que la société L’oeil au Vert a abandonné son fonds de commerce ;
- Constater que la société L’oeil au Vert ne démontre pas le lien de causalité entre le préjudice qu'elle allègue et le congé délivré par Monsieur Jean-Michel P. ;
En conséquence,
- Dire et juger que la société L’oeil au Vert a perdu son droit à indemnité d'éviction ;
Sur l'absence de préjudice indemnisable de la société L’oeil au Vert
- Constater que la société L’oeil au Vert ne subit aucun préjudice au titre de la perte de son droit au bail ;
- Constater que le montant de l'indemnité d'éviction due à la société L’oeil au Vert ne peut excéder le montant des indemnités accessoires ;
En conséquence,
- Dire et juger que l'indemnité d'éviction due à la société L’oeil au Vert sera limitée aux indemnités accessoires, soit la somme de 5.907,20 € ;
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la Société L’oeil au Vert a droit à une indemnité dite principale,
- Dire et juger que l'indemnité due à la société L’oeil au Vert ne saurait excéder, au titre de l'indemnité principale, l'une des sommes suivantes : 31.400 € ou 42.505,96 € ;
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société L’oeil au Vert à la somme de 29.400 € HT/HC/an pour la période comprise entre le 1er avril 2015 et le 11 juillet 2016 (effet du congé et restitution des lieux);
En tout état de cause,
- Débouter la société L’oeil au Vert de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société L’oeil au Vert à verser à Monsieur Jean-Michel P. la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC pour la première instance et 10.000 € au titre de l'appel ;
- Condamner la société L’oeil au Vert aux dépens, lesquels comprendront le coût des opérations d'expertise et autoriser Maître Nicolas V. à les recouvrer.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 février 2022, la société L’oeil au Vert, SARL, demande à la Cour de :
- Juger recevable l'appel incident de la société L’oeil au Vert, fins et conclusions, et le déclarer bien fondé ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Déclaré de nul effet l'exercice par M. P. de son droit de repentir par acte extrajudiciaire du 8 juillet 2016 ;
- Dit que le refus de renouvellement délivré le 20 mars 2015 par M. P. à la société L’oeil au Vert avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction a mis fin, à compter du 31 mars 2015, au bail liant les parties et portant sur les locaux situés [...] et a ouvert droit pour la société L’oeil au Vert au paiement d'une indemnité d'éviction ;
- Dit que cette indemnité est une indemnité de remplacement pour perte du fonds de commerce ;
- Fixé à la somme globale de 124.431,38 € le montant de l'indemnité d'éviction due par M. P. à la société L’oeil au Vert qui se décompose ainsi :
- indemnité principale : 112.644 euros
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 529 euros
- pour trouble commercial : 3.252 euros
- pour frais de déménagement : 882,94 euros
- pour frais divers : 429,49 euros
- pour frais de double loyer : 350,63 euros
- pour frais de licenciement : 6.343,32 euros
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 124.431,38 au titre de l'indemnité d'éviction outre celle de 5.817,42 € au titre du dépôt de garantie ;
- Déclaré prescrite l'action de M. P. en fixation et paiement d'une indemnité d'occupation annuelle de 29.400 € en principal du 1er avril 2015 au 11 juillet 2016 ;
- Rejeté les demandes de M. P. en paiement de dommages et intérêts ;
- Condamné M. P. aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise ordonnée en référé confiée à M. S., et dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Condamné M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Infirmer le Jugement en ce qu'il a :
- Refusé d'inclure la somme de 20.300 euros, au titre de la perte du label Lir, dans le calcul des indemnités accessoires de l'indemnité d'éviction ;
- Rejeté la demande de condamnation de Monsieur P. à verser à la société L’oeil au Vert 10.000 euros pour préjudice moral ;
- Rejeté la demande de condamnation de Monsieur P. à verser à la société L’oeil au Vert 18.000 euros au titre du remboursement du crédit souscrit pour l'activité de la nouvelle librairie ;
- Rejeté les demandes de la société L’oeil au Vert en remboursement des indemnités d'occupation versées entre le 1 er avril 2015 et le 11 juillet 2016.
Statuant à nouveau sur ces points :
Sur l'indemnité d'éviction accessoire
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 20.300 € au titre de la perte du label LIR ;
Sur l'indemnité d'occupation
- Constater que la prescription de l'action de Monsieur Jean-Michel P. à faire fixer son indemnité d'occupation entraîne l'extinction totale de son droit à réclamer une indemnité d'occupation ;
- En conséquence, condamner Monsieur Jean-Michel P. à rembourser à la société L’oeil au Vert les sommes indûment versées à titre d'indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2015 jusqu'au 11 juillet 2016 ;
Sur le paiement de dommages et intérêts
- Juger que Monsieur Jean-Michel P. a mis en place des manœuvres dilatoires pour empêcher le bon déroulement des opérations d'expertise et de la procédure, puis à organiser son insolvabilité pour empêcher le paiement de l'indemnité d'éviction due à la société L’oeil au Vert ;
- Juger que ces manoeuvres ont causé un préjudice à la société L’oeil au Vert ;
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. à verser à la société L’oeil au Vert des dommages et intérêts de 10.000 € au titre de son préjudice moral ;
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. à verser à la société L’oeil au Vert des dommages et intérêts de 18.000 € au titre du crédit contracté auprès de la banque BNP Paribas pour l'ouverture de son nouveau fonds ;
Sur les intérêts de retard et les frais légaux d'huissier
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. à verser à la société L’oeil au Vert la somme 3.070,72 € au titre du solde des sommes dues suite au jugement de 1ère instance ;
En tout état de cause
- Débouter Monsieur Jean-Michel P. de toutes ses demandes, fins, et conclusions ;
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. à payer à la société L’oeil au Vert une somme de 12.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur Jean-Michel P. aux entiers dépens de première instance et d'appel et autoriser Maître Nadia B.-F. à les recouvrer directement conformément à l'article 699 du Code de procédure civile;
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022.
MOTIFS
Sur le repentir
L'appelant soutient que le repentir qu'il a exercé le 8 juillet 2016 est valable dès lors que la remise des clefs a eu lieu postérieurement le 11 juillet 2016 ; que la locataire n'avait pas engagé un processus irréversible de départ des lieux à la date de délivrance du repentir ; qu'il n'y a pas eu réinstallation au sens de l'article L 145-58 du code de commerce mais création d'un établissement secondaire qui n'empêchait pas la poursuite de l'exploitation du premier fonds à la date de la délivrance du repentir ; qu'à supposer qu'il s'agisse, comme le prétend la société L'OEIL AU VERT, de la création d'un nouveau fonds de commerce alors cela ne correspond pas à la notion de réinstallation qui s'entend de la réinstallation du fonds de commerce existant. Il fait également valoir que le départ de la société L'OEIL AU VERT à Chaumont en Vexin avait pour but de faire échec à l'exercice du repentir, celle-ci étant partie avec une hâte anormale pendant les opérations d'expertise sans l'informer de ses intentions ; qu'il s'agit d'un abus de droit. Il ajoute qu'il s'agit d'une situation créée volontairement par la société L'OEIL AU VERT pour simuler une prétendue réinstallation afin d'obtenir paiement de l'indemnité d'éviction, le fonds de commerce, qui n'était pas viable, n'ayant pas prospéré à Chaumont en Vexin ; que la société L'OEIL AU VERT a tenté de le priver de sa faculté d'exercer son droit de repentir au mépris de la loyauté contractuelle. Il conclut à la validité de l'exercice du droit de repentir qui entraîne automatiquement un nouveau bail commercial à la date de la notification au locataire par acte extrajudiciaire de l'exercice dudit droit, soit le 8 juillet 2016.
L'intimée rappelle que le droit de repentir ne peut pas être exercé si le locataire a déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation ; qu'elle a pris à bail le 24 mai 2016 de nouveaux locaux et s'y est installée avant que le bailleur n'exerce son droit de repentir ; que ce bail a date certaine pour avoir été enregistré ; qu'elle a déménagé les 4 et 5 juillet 2016 et elle en a informé le 6 juillet 2016 M. P.; que la date de restitution des clés est donc inopérante. Selon elle, la notion de 'réinstallation' prévue à l'article 145-58 du code de commerce s'entend également en cas de perte d'un fonds de commerce avec création d'un nouveau fonds comme l'a retenu le jugement ; elle a créé un nouveau fonds de commerce de librairie suite au refus de renouvellement de son bail par l'appelant, sans qu'il n'y ait eu dans cette création, diversification ou agrandissement de son activité ; il ne s'agit pas d'un établissement secondaire, le nouveau fonds ayant été immatriculé en juin 2016 ; aucune obligation d'information à la charge du locataire n'existe. Elle ajoute que la salariée de son fonds de commerce parisien a été licenciée ultérieurement car elle était en congé maternité ; que le déménagement n'a pas été fait avec une hâte anormale puisque les locaux ont été restitués un an et trois mois après la date de prise d'effet du congé ; qu'avant le déménagement elle a réduit son stock de livres et déménagé le restant ; qu'elle s'est bien réinstallée à Chaumont-en-Vexin, embauchant une nouvelle salariée, payant un loyer, prenant un prêt mais elle n'a pas réussi à pérenniser son nouveau fonds et a dû mettre fin à son exploitation en 2018.
Selon l'article L. 145-58 du code de commerce: 'Le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation'.
Il est de jurisprudence constante que les conditions posées par le texte sont alternatives et non cumulatives : le droit ne peut plus être exercé si le locataire a quitté les lieux, ou bien s'il a acquis ou loué un autre local même s'il n'a pas encore, dans ce dernier cas, déménagé.
Le bailleur conserve son droit de repentir s'il est établi que le locataire a quitté les lieux avec une hâte anormale dans le seul but de faire échec au droit de repentir.
C'est à bon droit que le jugement de première instance a retenu que la notion de réinstallation n'est pas limitée à l'hypothèse du transfert du fonds de commerce dont le preneur est évincé dans un autre local ou au rachat d'un fonds identique en cas de perte de fonds mais s'étend à celle où le preneur, qui perd son fonds, prend des mesures pour en créer un nouveau en concluant un bail ayant date certaine antérieure au repentir, et justifie ainsi d'une réinstallation au sens juridique du terme même s'il n'a pas encore restitué les clés.
Il faut que l'acte permettant la réinstallation ait date certaine avant l'exercice du droit de repentir ou qu'il soit établi, si l'acte n'a pas date certaine, que le bailleur en avait connaissance.
Comme l'a relevé le jugement entrepris, auquel la cour renvoie, il n'est pas établi que la société L'OEIL AU VERT avait la possibilité de transférer son fonds de commerce dans des locaux proches de ceux dont elle était évincée suite au refus de renouvellement du bail signifié par le bailleur le 20 mars 2015 ; que l'éviction entraînait donc la perte de son fonds de commerce, la clientèle étant essentiellement constituée des particuliers résidant dans le quartier et de quelques institutionnels proches comme des établissements scolaires et une bibliothèque, la boutique ne réalisant en outre aucune vente sur internet.
Par bail conclu le 24 mai 2016, enregistré le même jour, avec la SCI CAPARICA, la société L'OEIL AU VERT a loué des locaux situés à Chaumont-en-Vexin (60) pour l'exercice d'une activité de librairie à effet du 1er juillet 2016. Ce bail a ainsi date certaine et il est antérieur au repentir exercé le 8 juillet 2016 par le bailleur ensuite de la lettre du 6 juillet 2016 de la société L'OEIL AU VERT par laquelle elle informait le bailleur qu'elle quittait les locaux loués et restituerait les clefs le 11 juillet suivant, sans renoncer à son indemnité d'éviction.
La société L'OEIL AU VERT justifie selon l'extrait Kbis du 11 août 2016 avoir immatriculé à compter du 23 juin 2016 le fonds de commerce exploité à Chaumont-en-Vexin au registre du commerce et des sociétés de Beauvais, la société apparaissant comme immatriculée en tant qu'établissement principal avec un début d'activité au 1er juillet 2016, ce qui correspond à la prise d'effet du nouveau bail. Le fait qu'une immatriculation de cet établissement soit également intervenue comme 'établissement secondaire' pendant une brève période n'est pas suffisant pour établir que la société L'OEIL AU VERT aurait poursuivi l'exploitation du fonds de commerce dans les locaux parisiens en juillet 2016. La société L'OEIL AU VERT produit d'ailleurs des factures de déménagement des locaux parisiens en date des 4 et 5 juillet 2016 ainsi qu'une facture en date du 5 juillet 2016 relative au dépôt de l'enseigne et il ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 11 juillet 2016, soit un lundi, que les locaux parisiens étaient entièrement vidés, ce qui corrobore le fait que la société L'OEIL AU VERT n'a pas exploité concomitamment les deux fonds. Il est également rapporté la preuve par la société L'OEIL AU VERT que si la salariée à plein temps du fonds de commerce exploité dans les locaux parisiens n'a été licenciée qu'en janvier 2017, c'est parce qu'elle était en congé maternité.
S'agissant de l'activité exercée à Chaumont en Vexin, le rapport de M. B., expert amiable de M. P., du 16 septembre 2016, reproduit des photographies, non datées mais nécessairement antérieures à la date du rapport, du local situé à Chaumont-en-Vexin qui présente en vitrine divers ouvrages et la société L'OEIL AU VERT verse aux débats ses comptes de résultat arrêtés au 30 septembre 2016 puis au 30 septembre 2017, montrant la réalité d'une exploitation commerciale continue, ainsi que le contrat de travail conclu le 6 décembre 2016, se substituant au contrat à temps partiel et à durée déterminée ayant pris effet le 23 août 2016, avec Mme S. pour un emploi de libraire dans les locaux situés à Chaumont-en-Vexin. Il s'ensuit que la société L'OEIL AU VERT établit ainsi avoir effectivement exploité un fonds de commerce de librairie à Chaumont-en-Vexin à compter du 1er juillet 2016, même si elle l'a depuis fermé, sans qu'il n'apparaisse que cette activité aurait été fictive comme l'allègue M. P.. Comme l'a relevé le jugement entrepris, l'activité de librairie exploitée dans un local très éloigné des locaux parisiens dont la société L'OEIL AU VERT était preneuse à bail, n'est pas la poursuite du fonds de commerce exploité dans ces derniers locaux mais la création d'un nouveau fonds de librairie par la société L'OEIL AU VERT, sans que cette création ne soit intervenue pour un motif étranger au refus de renouvellement du bail (dont il convient de rappeler qu'il a pour conséquence la perte du fonds de commerce exploité dans les locaux parisiens), ce qui correspond à une réinstallation au sens de l'article L. 145-58 du code de commerce. Cette réinstallation, selon bail ayant date certaine, interdit au bailleur en vertu des textes précités d'exercer son droit de repentir même si les clefs du local loué ne lui ont pas été restituées à la date de l'exercice du repentir.
En outre, il ressort de l'ensemble de ces éléments que le processus engagé par la société L'OEIL AU VERT de départ des lieux était irréversible à la date du repentir.
Enfin, il n'est pas rapporté la preuve par le bailleur que la société L'OEIL AU VERT aurait eu connaissance de ce que le bailleur souhaitait exercer son droit de repentir ou s'apprêtait à l'exercer de sorte qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir voulu y faire échec, ni qu'elle aurait manqué à une prétendue obligation de loyauté en ne l'informant pas avant le courrier du 6 juillet 2016 de sa volonté de ne pas se maintenir dans les lieux alors que le bail avait pris fin depuis plusieurs mois ; qu'il n'est pas démontré que la société L'OEIL AU VERT aurait quitté les lieux avec une hâte anormale dans le seul but de faire échec au droit de repentir alors que le refus de renouvellement délivré le 20 mars 2015 par M. P. a mis fin à compter du 31 mars 2015 au bail qui les liait ; qu'il est indifférent que la décision de la société L'OEIL AU VERT de ne pas se maintenir dans les lieux soit intervenue pendant les opérations d'expertise, le maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'occupation étant un droit pour le locataire évincé mais en aucun cas une obligation ; que l'expert judiciaire en a d'ailleurs été par la suite informé tel que cela ressort des termes de son rapport mentionnant le nouveau bail.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'exercice par M. P. de son droit de repentir le 8 juillet 2016 est dépourvu d'effet et n'a pu renouveler le bail conclu le 31mars 2006, à effet au 1er avril 2006, qui a donc pris fin le 31 mars 2015 et ouvert droit pour le preneur au paiement de l'indemnité d'éviction comme retenu à juste titre par le jugement de première instance. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que les demandes de la société L'OEIL AU VERT sont recevables et en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. P. suite au départ prétendument anticipé des locaux de la preneuse. La demande indemnitaire ayant été actualisée en cause d'appel, elle sera également rejetée, le repentir étant dépourvu d'effet et il n'est dû aucune indemnité d'occupation au titre de la période interstitielle entre le 1er avril 2015 et le 7 juillet 2016 (date du renouvellement auquel prétendait l'appelant), indemnité qui est sollicitée à titre principal en conséquence de l'exercice du repentir.
Sur la fixation de l'indemnité d'éviction
1. l'indemnité principale
L'appelant soutient que la société L'OEIL AU VERT a abandonné son fonds de commerce ; qu'il n'y pas de lien de causalité entre son prétendu préjudice et le refus de renouvellement ; qu'ainsi la société L'OEIL AU VERT a perdu son droit à une indemnité d'éviction. Il fait également valoir qu'elle n'a subi aucun préjudice au titre de la perte du droit au bail puisqu'elle dispose d'un nouveau titre locatif de sorte qu'il n'y a pas lieu à paiement d'une indemnité principale au titre de la valeur du droit au bail ; qu'en tout état de cause, le fonds de commerce était transférable sans perte significative de clientèle puisque des locaux vacants étaient disponibles à proximité ; que si la cour estimait que la perte de droit au bail de la société L'OEIL AU VERT devait être indemnisée, alors elle doit
l'être en tenant compte de l'économie de loyer que procure le nouveau bail ; que la société L'OEIL AU VERT n'ayant perdu aucun avantage locatif, elle ne subit aucun préjudice. Subsidiairement, elle soutient que les références locatives de marché retenues par l'expert et le jugement entrepris ne sont ni comparables, ni situés dans un secteur de commercialité similaire, leur reprochant de ne pas avoir minoré la valeur locative pour ces motifs ; que la valeur locative doit être de 220 euros/m² ; que le coefficient multiplicateur ne peut pas être supérieur à 4, les locaux ne bénéficiant pas d'une bonne situation.
L'intimée sollicite la confirmation du jugement de première instance s'agissant de l'indemnité principale.
La cour renvoie à la motivation pertinente du jugement entrepris qui a considéré que l'éviction entraînait la perte du fonds de commerce. Il sera précisé que la perte du fonds de commerce, qui doit être indemnisée, est bien la conséquence directe du refus de renouvellement du bailleur mettant fin au bail, contrairement à ce que prétend M. P., puisque le fonds n'était pas transférable dans des locaux proches de ceux dont la société L'OEIL AU VERT a été évincée. Il sera ajouté que si le bailleur se prévaut plus particulièrement d'un local qui aurait été disponible à la location sis à l'angle de l'avenue Reille et de l'impasse Reille, il ne produit à cet effet que la photographie d'un panneau apposé sur la vitrine indiquant que la pharmacie qui y était située a été transférée à partir du 1er juillet 2015 à une autre adresse ainsi qu'une capture d'écran google maps de 2019 montrant que ce local est désormais occupé par une micro crèche, ce sans que n'en soit connues les conditions locatives ni à quelle date la micro crèche s'est installée ; que l'expert judiciaire a indiqué que ce local se situait à 600 mètres du local expertisé, à proximité d'une librairie concurrente ; qu'il n'apparaît donc pas que ce local présenterait des caractéristiques équivalentes.
Comme l'a considéré le jugement entrepris, le fait que la société L'OEIL AU VERT se soit réinstallée au sens de l'article L. 145-58 du code de commerce en créant un nouveau fonds dans une autre ville avec un loyer moindre que celui qu'elle acquittait pour les locaux qu'elle a quittés ne signifie pas que l'éviction ne lui a causé aucun préjudice dès lors qu'elle a effectivement perdu le fonds de commerce exploité dans les locaux propriété de M. P. et qu'elle ne l'a pas transféré à Chaumont-en-Vexin. Pareillement, le fait que la société L'OEIL AU VERT ait par la suite cessé d'exploiter son nouveau fonds de commerce à Chaumont en Vexin n'est pas de nature à la priver de son droit à indemnisation qui porte sur la perte de son fonds de commerce exploité dans les locaux parisiens du fait de l'éviction, outre que sa réinstallation a été effective comme précédemment indiqué et il ne peut être considéré qu'elle aurait décidé 'd'abandonner' son fonds de commerce exploité dans les locaux parisiens alors qu'elle en a été évincée suite au refus de renouvellement de son bail ; que ledit fonds n'était pas transférable à proximité et qu'il ne pesait sur elle aucune obligation de maintien dans les lieux.
L'intimée, qui a donc droit à une indemnité d'éviction par l'effet du refus de renouvellement du bail par le bailleur et alors que le repentir est sans effet, est donc fondée à obtenir une indemnité principale égale à la valeur la plus élevée entre la valeur marchande de son fonds et la valeur du droit au bail, étant relevé qu'il n'est pas discuté par les parties que l'évaluation doit se faire sur la valeur du droit au bail.
Il n'est pas évoqué de motifs de déplafonnement par les parties de sorte que le différentiel de loyer doit s'examiner d'une part au regard du montant du loyer plafonné qui se serait élevé, selon les calculs de l'expert judiciaire, non contestés dans leurs conclusions par les parties, à la somme de 10.626,49 euros par an en principal si le bail avait été renouvelé et d'autre part au regard de la valeur locative de marché pour le local sis à Paris, le prix du nouveau local de Chaumont en Vexin ne devant pas être retenu dès lors qu'il ne s'agit pas d'un local comparable eu égard à sa situation et à ses conditions locatives.
S'agissant des caractéristiques des locaux, de la surface pondérée de 84m², de la qualité de l'emplacement, des obligations des parties, la cour renvoie à la motivation détaillée et pertinente du jugement.
S'agissant des références locatives, le jugement entrepris a relevé tant les références de l'expert judiciaire que celles de M. B. pour des commerces divers, dont deux librairies pour des fixations judiciaires en 2008 et 2010.
Il sera précisé s'agissant de la valeur locative de marché, qu'il y a lieu de privilégier les nouvelles locations, lesquelles s'établissent pour des commerces portant sur des activités distinctes de celle de librairie et dans des rues bénéficiant d'une meilleure commercialité que les locaux expertisés, à des prix unitaires allant de 391 euros (fournisseur d'accès internet 2011) à 500 euros du m² pondéré (soins esthétiques 2010), hors droit d'entrée ou prix de cession, pour l'expert judiciaire et de 267 euros (plomberie en 2003, référence toutefois trop ancienne pour être véritablement pertinente) et 510 euros du m² pondéré (restaurant 2006) pour M. B.. S'agissant du loyer commercial dont fait état M. P. dans ses conclusions concernant la pharmacie sise [...], il ne peut pas être retenu en l'absence de production du bail et de plan permettant d'apprécier la surface pondérée des locaux. Si les analyses de flux piéton entre les références situées [...] et à l'adresse des locaux expertisés sont trop récentes (2020) par rapport à la date de l'éviction, l'expert judiciaire a bien relevé que les références étaient situées dans des secteurs de meilleure commercialité.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et de ceux développés dans le jugement de première instance, et des références locatives, le prix unitaire de 350 euros proposé par l'expert judiciaire est justifié.
Il s'ensuit que le différentiel de loyer s'établit, comme retenu par le jugement entrepris à la somme de 18.773,51 euros [(350 euros x 84m²P) -10.626,49], arrondis à 18.774 euros.
Le coefficient 6 retenu par le jugement entrepris à l'instar de l'expert judiciaire est approprié au regard de l'intérêt commercial de l'emplacement pour l'activité de librairie, étant rappelé que le coefficient 4 correspond à une situation médiocre, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La valeur de droit au bail a donc été valablement fixée à la somme de 112.644 euros, supérieure à la valeur du fonds de commerce de la société L'OEIL AU VERT telle qu'évaluée par l'expert judiciaire de sorte que le jugement qui a fixé l'indemnité d'éviction principale à ce montant doit être confirmé.
2. les indemnités accessoires
L'appelant fait valoir que l'indemnité pour double loyer retenue par le jugement entrepris a été portée à la somme de 350,63 euros au lieu de 151,89 euros proposés par l'expert sans explication ; que le trouble commercial est surévalué compte tenu du congé maternité d'une salariée.
L'intimée sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qu'il n'a pas pris en compte, au titre des indemnités accessoires, son préjudice lié à la perte de son label LIR décerné par le ministère de la culture, label qui est attribué à un établissement et non à une société ; qu'elle n'aurait pas pu obtenir son label avant le 1er janvier 2019 pour son nouvel établissement à Chaumont en Vexin, si son activité avait pu prospérer, puisqu'il faut justifier au moins d'un exercice social de 12 mois avant de déposer la demande en avril, ce qu'elle n'aurait pu faire qu'en avril 2018.
S'agissant de l'indemnité pour double loyer, l'expert judiciaire a proposé la somme de 151,89 euros. Le jugement a toutefois retenu la somme de 350, 63 euros sollicitée par la société L'OEIL AU VERT laquelle n'était pas contestée par le bailleur en première instance.
La société L'OEIL AU VERT a exposé un double loyer du 1er juillet 2016, date de la prise d'effet de son nouveau bail, au 11 juillet 2016 date à laquelle elle a restitué les locaux. L'expert judiciaire a retenu 11 jours de double loyer sur la base du loyer du nouveau local, ce qui est pertinent. Il s'ensuit que le jugement sera infirmé de ce chef, l'indemnité de double loyer étant de 151,89 euros telle que calculée par l'expert.
L'expert judiciaire a évalué le trouble commercial sur la base d'un mois de charges de personnel soit la somme de 3 252 euros, laquelle a été retenue par le jugement de première instance et qui est justifiée s'agissant d'une indemnité visant à réparer le trouble causé par le temps nécessaire à une nouvelle installation, le fait que la salariée à temps plein ait été en congé maternité étant dès lors inopérant.
Les autres sommes allouées par le jugement de première instance seront confirmées, le bailleur ne les contestant pas utilement et celles-ci étant justifiées au vu du rapport d'expertise judiciaire, étant précisé que l'expert judiciaire avait évalué l'indemnité de licenciement sous réserve des frais de licenciement de la salariée en congés maternité qu'il ne connaissait pas mais dont le montant est justifié par la société L'OEIL AU VERT et qui correspond à ce qui a été accordé par le jugement.
Enfin s'agissant du préjudice sollicité par la société L'OEIL AU VERT au titre du label LIR, celui-ci est réclamé au titre des indemnités accessoires. Toutefois comme l'a retenu le jugement entrepris, la perte des avantages liés à l'octroi du label LIR a été valorisée dans l'indemnité principale qui a été retenue sur la valeur du droit au bail, laquelle est supérieure à la valeur du fonds de commerce exploité dans les locaux parisiens, et elle ne peut donner lieu à une indemnité supplémentaire liée à la perte de ces avantages dans l'exploitation du fonds situé à Chaumont-en-Vexin qui n'est pas un transfert de son fonds antérieur mais la création d'un nouveau fonds. Le jugement qui a rejeté la demande de la société L'OEIL AU VERT de ce chef sera donc confirmé.
Par conséquent, les indemnités accessoires sont de :
- pour frais de remploi : 529 euros
- pour trouble commercial : 3.252 euros
- pour frais de déménagement : 882,94 euros
- pour frais divers : 429,49 euros
- pour frais de double loyer : 151,89 euros
- pour frais de licenciement : 6.343,32 euros
soit la somme totale de 11 588,64 euros, le jugement n'ayant in fine été infirmé que sur le montant des frais de double loyer retenus en cause d'appel.
L'indemnité d'éviction due par M. P. à la société L'OEIL AU VERT sera donc fixée à la somme globale de 124 232,64 euros, qu'il sera condamné à lui payer.
Sur l'indemnité d'occupation
L'appelant soutient que contrairement à ce qui a été retenu par le jugement entrepris, sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation n'est pas prescrite aux motifs que son délai d'action ne court qu'à compter du jour où le droit du preneur à percevoir une indemnité d'éviction est consacré en son principe, en l'espèce à compter du jugement de première instance qui a consacré le droit pour le preneur à une indemnité d'éviction, sous réserve de l'appel interjeté, de sorte que son délai expire le 18 avril 2021. L'intimée fait valoir que les arrêts cités par l'appelant ont été rendus dans des cas d'espèce où était contesté le droit au paiement d'une indemnité d'éviction ; que tel n'est pas le cas puisqu'il a été offert paiement d'une indemnité d'éviction par M. P. ; que son action est donc prescrite.
Aux termes de l'article L. 145-28 alinéa 1 du code de commerce, "aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat du bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformémentaux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation".
L'action en fixation de l'indemnité d'occupation est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce. A défaut d'avoir agi dans le délai, le bailleur n'aura plus la possibilité d'obtenir l'indemnité d'occupation en justice, la prescription de l'action entraînant l'extinction totale du droit à la réclamer.
Selon une jurisprudence constante, ce délai ne peut commencer à courir tant que le droit du locataire à bénéficier d'une indemnité d'éviction n'est pas définitivement consacré dans son principe. Mais ce point de départ n'est différé à cette date qu'à la condition que le droit du locataire au paiement de l'indemnité d'éviction ait été contesté. L'exercice par le bailleur de son droit de repentir ne fait pas partir un nouveau délai de prescription dès lors qu'il n'a pas pour objet de contester le droit du preneur au paiement d'une indemnité.
En l'espèce, par acte du 20 mars 2015, M. P. a refusé le renouvellement du bail sollicité par la société L'OEIL AU VERT en offrant le paiement de l'indemnité d'éviction, le bail ayant pris fin le 31 mars 2015 par l'effet de ce refus ; il a ensuite notifié le 8 juillet 2016 un droit de repentir, sans invoquer de contestation au droit à une indemnité d'éviction mais en indiquant vouloir offrir le renouvellement du bail, et il a sollicité le paiement de l'indemnité d'occupation statutaire ayant couru à compter du 1er avril 2015 par l'effet du refus de renouvellement pour la première fois en justice dans son assignation du 20 avril 2017.
Toutefois en cause d'appel, M. P. conteste le droit à une indemnité d'éviction dans le dispositif de ses conclusions par lesquelles il sollicite de dire et juger que la société L’oeil au Vert a perdu son droit à indemnité d'éviction au motif notamment qu'elle aurait abandonné son fonds de commerce.
Il s'ensuit que cette contestation diffère le point de départ de la prescription, le droit à une indemnité d'éviction n'étant en ce cas consacré que par la présente décision.
La demande de paiement de l'indemnité d'occupation statutaire n'est donc pas prescrite.
L'appelant demande de voir fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 29 400 euros.
Toutefois, la somme de 29 400 euros correspond à la valeur locative de marché qui a été retenue ci-dessus pour établir la valeur du droit au bail et non à l'indemnité d'occupation statutaire des locaux à compter du 1er avril 2015, cette indemnité fixée selon les dispositions de l'article L 145-33du code de commerce devant intégrer dans les références locatives, non seulement les nouvelles locations mais aussi les fixations judiciaires et les renouvellements amiables.
Outre les nouvelles locations qui ont été précédemment examinées, l'expert judiciaire a relevé 3 fixations judiciaires à effet entre 2008 et 2010 pour des commerces divers dans des rues avoisinantes notamment la [...] qui bénéficie d'une meilleure animation commerciale, avec des prix unitaires se situant dans une fourchette allant de 320 à 350 euros du m² pondéré et un renouvellement amiable en 2013 d'un prix pour une banque [...] avec un prix unitaire de 327 euros du m² et M. B., expert amiable du bailleur propose 6 fixations judiciaires pour des baux renouvelés entre 2007 et 2011, dont deux librairies, avec des prix allant de 230 à 350 euros du m² pondéré et 3 renouvellements amiables de baux, à effet en 2010, 2014 et 2015, avec des prix allant de 268 à 413 euros du m² pondéré, ce pour des rues bénéficiant d'une meilleure commercialité.
Par conséquent, au vu des références locatives et des éléments précédemment examinés (caractéristiques, emplacement, destination contractuelle...), la valeur locative sera fixée à la somme de 250 euros/m²x84m²P, soit 21 000 euros/an.
Il est usuel de pratiquer un abattement de 10% pour précarité sur la valeur locative s'agissant de l'indemnité d'occupation statutaire due pendant la période de maintien dans les lieux soit une indemnité d'occupation de 18 900 euros/an/HC/HT.
Par conséquent, l'indemnité d'occupation sera fixée à la somme de 18 900 euros/an/HC/HT.
La société L'OEIL AU VERT sera déboutée de sa demande de restitution des sommes versées au titre de l'indemnité d'occupation qui ne sont pas indûment versées, le jugement étant confirmé de ce chef quoique sur un fondement différent.
La condamnation de M. P. à régler la somme de 5817,42 euros au titre du dépôt de garantie à la société L'OEIL AU VERT sera confirmée, la cour renvoyant à la motivation du jugement de première instance, le bailleur n'ayant pas fait procéder à un devis de remise en état suite à la restitution des lieux et ne pouvant pas se prévaloir d'un devis établi à la demande de la société L'OEIL AU VERT, correspondant à une rénovation totale des locaux et à la création de mobiliers, établi antérieurement à la restitution des lieux lors des opérations d'expertise pour évaluer des frais éventuels de réinstallation dans un local vide, ce alors qu'au vu du constat d'huissier établi à la demande de la société L'OEIL AU VERT le 11 juillet 2016, les locaux ont été restitués en bon état de réparations locatives, le bail stipulant qu'à l'expiration du bail, il doit rendre les locaux en bon état de réparations, d'entretien ou de fonctionnement.
Sur les demandes de dommages et intérêt formées par la société L'OEIL AU VERT
L'intimée sollicite des dommages et intérêts du fait des manoeuvres de M. P. pour empêcher le bon déroulement des opérations d'expertise judiciaire et de la procédure et pour organiser son insolvabilité pour empêcher le paiement de l'indemnité d'éviction, ce qui lui a causé un préjudice moral et l'a contraint à contracter un prêt pour l'ouverture de l'ouverture de son nouveau fonds expliquant qu'en raison des délais de la procédure, elle a dû fermer, ne pouvant pas faire face à ses difficultés financières.
La cour renvoie à la motivation pertinente du jugement entrepris sur ce chef de demande. S'agissant de la procédure d'appel, il n'est pas rapporté la preuve de manoeuvres dilatoires de la part de M. P. visant à retarder le déroulement de l'instance d'appel, M. P. ayant usé de la faculté prévue par la loi pour solliciter la suspension de l'exécution provisoire devant le premier président (laquelle n'a pas été accordée), étant rappelé qu'en tout état de cause, lorsque la société L'OEIL AU VERT a ouvert un nouveau fonds de commerce le 1er juillet 2016, les opérations d'expertise étaient en cours ; qu'il n'y avait pas d'obligation pour M. P. de lui verser une indemnité d'éviction qui n'était pas encore fixée ; que le nouveau fonds de commerce avait fermé avant même le prononcé du jugement de première instance.
Bien que l'exécution forcée du jugement n'ait pu prospérer que fin 2021, il n'est pas rapporté la preuve que M. P. aurait organisé son insolvabilité pour échapper à tout paiement alors que la société L'OEIL AU VERT a pu pratiquer des saisies pour se faire régler les causes du jugement et qu'elle fait état d'un solde qui resterait dû au titre des intérêts à taux légal et des frais d'huissier de 3 070,72 euros.
La société L'OEIL AU VERT sera donc déboutée de ses demandes.
Sur la demande de condamnation à la somme de 3 070,72 euros formée par la société L'OEIL AU VERT
La société L'OEIL AU VERT sollicite en cause d'appel que M. P. soit condamné à lui régler le solde restant dû des causes du jugement de première instance correspondant aux intérêts à taux légal ainsi que les frais d'huissier correspondant aux diverses saisies pratiquées, soit 3 070,72 euros dont 2 443,46 au titre des intérêts. Il n'incombe pas à la cour de prononcer une quelconque condamnation en exécution du jugement de première instance qui constitue un titre exécutoire, outre que des comptes restent à faire eu égard à la fixation de l' indemnité d'occupation statutaire. Elle sera donc déboutée de cette demande.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'instance et l'expertise judiciaire ayant eu pour cause la délivrance par M. P. d'un refus de renouvellement.
En cause d'appel, l'équité commande de condamner M. P. à payer à la société L'OEIL AU VERT une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et celui-ci étant à l'origine du refus de renouvellement mettant fin au bail
et succombant principalement en son appel, il sera condamné aux dépens de l'appel dont distraction au profit de l'avocat postulant par application de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Par arrêt contradictoire
Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant de l'indemnité d'éviction et en ce qu'il a déclaré la demande d'indemnité d'occupation statutaire prescrite.
Statuant à nouveau et y ajoutant
Fixe à la somme globale de 124 232,64 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par M. P. à la société L’oeil au Vert qui se décompose ainsi :
indemnité principale :112.644 euros
indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 529 euros
- pour trouble commercial : 3.252 euros
- pour frais de déménagement : 882,94 euros
- pour frais divers : 429,49 euros
- pour frais de double loyer : 151,89 euros
- pour frais de licenciement : 6.343,32 euros
Condamne M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 124 232,64 euros au titre de l'indemnité d'éviction ;
Dit que la demande d'indemnité statutaire formée M. P. par application de l'article L. 145-28 du code de commerce n'est pas prescrite ;
Fixe le montant de l'indemnité due par la société L'OEIL AU VERT pendant la période du 1er avril 2015 au 11 juillet 2016 à la somme de 18 900 euros par an, hors taxes et hors charges ;
Condamne M. P. aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par l'avocat postulant dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. P. à payer à la société L’oeil au Vert la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.