Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-26.329
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Boutet, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les consorts X... que sur le pourvoi incident relevé par la société Albazur ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Louis X... était gérant depuis 1968 de la société civile immobilière Albazur (la société) ; que ses deux enfants, Mme Carole X... et M. David X..., ont été nommés co gérants en 2002 ; que le 15 mai 2007, l'assemblée générale a décidé à la majorité des associés le remplacement des gérants (les consorts X...), sans que cette question ait figuré à l'ordre du jour ; qu'ultérieurement ces derniers ont obtenu du juge des référés la désignation d'un administrateur provisoire chargé de convoquer une nouvelle assemblée générale avec pour ordre du jour la révocation des gérants et la désignation du ou des nouveaux gérants ; que le 14 août 2007 cette assemblée a mis fin aux fonctions des consorts X... et a procédé à la désignation de deux nouveaux gérants ; que les consorts X... ont assigné la société en dommages-intérêts ainsi qu'en paiement d'une certaine somme représentant un rattrapage de bénéfices au profit de la gérance conformément à l'article 23 des statuts ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir débouté M. Louis X... de sa demande indemnitaire au titre de l'abus dans les circonstances de la révocation, alors, selon le moyen :
1°/ que dans leurs conclusions d'appel, les consorts X... faisaient valoir que le groupe d'associés qui avait préparé leur révocation s'était, pour ce faire, réuni en public dans un établissement habituellement fréquenté par M. Louis X..., que lors de l'assemblée générale du 14 août 2007, il lui avait été intimé l'ordre de se taire à chaque fois qu'il essayait de prendre la parole pour s'expliquer et que des propos mensongers avaient été tenus pendant cette assemblée ; qu'en s'abstenant, pour débouter M. X... de sa demande indemnitaire au titre de l'abus dans les circonstances de la révocation, de répondre à ce moyen de nature à établir les circonstances vexatoires ayant entouré la révocation, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les griefs formulés à l'encontre du gérant d'une société civile, dont la révocation a été inscrite à l'ordre du jour d'une assemblée, doivent lui être communiqués avant la tenue de cette assemblée afin qu'il puisse présenter ses observations en connaissance de cause ; qu'en se bornant à relever, pour débouter M. X... de sa demande indemnitaire au titre de l'abus dans les circonstances de la révocation, qu'il avait été en mesure de s'expliquer contradictoirement devant l'assemblée des associés sur les griefs invoqués à son encontre avant le vote de la révocation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces griefs avaient été communiqués au gérant, ce qu'il contestait, préalablement à la tenue de l'assemblée générale afin qu'il soit en mesure de présenter ses observations en connaissance de cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il résulte du contenu du procès-verbal de la délibération de l'assemblée générale du 14 août 2007 que les consorts X... ont été en mesure de s'expliquer contradictoirement sur les griefs invoqués à leur encontre avant la décision de révocation prise par l'assemblée générale ; qu'en l'état de ces constatations faisant ressortir que la révocation de M. Louis X... n'était pas intervenue brutalement sans respecter le principe de la contradiction, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les consorts X... dans le détail de leur argumentation, et qui n'avait pas à procéder à la recherche visée par la seconde branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que les consorts X... font encore grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande en paiement d'une certaine somme au titre du rattrapage des bénéfices dus au profit de la gérance conformément à l'article 23 des statuts, alors, selon le moyen :
1°/ que dans leurs conclusions d'appel, les consorts X... sollicitaient le paiement d'une somme de 196 182,24 euros au titre des bénéfices dont l'octroi à la gérance était prévu par l'article 23 des statuts de la société Albazur ; qu'en énonçant, pour les débouter de cette demande, que les consorts X... réclamaient des rémunérations supplémentaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions, et a ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en tout état de cause, c'est après l'approbation des comptes annuels qu'est déterminée l'attribution des dividendes, en sorte que ces derniers n'affectent pas l'établissement des premiers ; qu'après avoir constaté que les consorts X... demandaient le paiement d'une certaine somme au titre de dispositions particulières des statuts, lesquelles prévoyaient l'attribution de dividendes à la gérance, la cour d'appel, qui a écarté cette demande en énonçant que l'admettre conduirait à modifier les résultats annuels de la société, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé l'article 1844-1 du code civil ;
3°/ que la renonciation à l'attribution de bénéfices ne peut être qu'expresse ; qu'en jugeant que les consorts X... avaient pu renoncer de manière implicite mais non équivoque à l'attribution des bénéfices prévue au profit de la gérance par les statuts de la société Albazur, la cour d'appel a violé l'article 1844-1 du code civil ;
4°/ qu'en tout état de cause, la renonciation tacite à un droit ne peut résulter que d'un comportement dépourvu d'équivoque ; que la cour d'appel qui, pour juger que les consorts X... avaient implicitement renoncé à l'attribution des bénéfices prévue au profit de la gérance par les statuts de la société Albazur, s'est fondée sur la seule circonstance que les comptes annuels, qui ne comportaient pas cette attribution, avaient été approuvés à leur demande, ce qui n'était pas de nature à caractériser une renonciation non équivoque à celle-ci, a violé l'article 1844-1 du code civil ;
Mais attendu que la renonciation à un droit peut être tacite dès lors qu'elle résulte d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les consorts X..., principalement M. Louis X..., ne contestent pas avoir pendant trois décennies présenté aux assemblées générales annuelles successives, et approuvé eux-mêmes chaque année, les bilans de la société ne comportant pas au profit de la gérance l'attribution de bénéfices telle que prévue à l'article 23 des statuts ; qu'abstraction faite du motif surabondant visé par la deuxième branche, la cour d'appel a, sans dénaturation, pu déduire de ses constatations que l'approbation constante et répétée de ces comptes annuels traduisait, de façon implicite mais non équivoque, la renonciation des consorts X... au bénéfice des dispositions statutaires ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour dire que le grief de mauvaise gestion ayant conduit à la notification des redressements fiscaux n'est pas constitutif d'un juste motif de révocation, l'arrêt constate que la société ne produit aucun procès-verbal d'assemblée générale ou aucune autre pièce tendant à étayer son allégation selon laquelle les gérants auraient péché par défaut d'information ; qu'il relève que le choix de ces derniers de déduire les travaux de restructuration des revenus fonciers, ayant fait l'objet d'une écriture sur les documents comptables de la société, a été porté à la connaissance des associés à l'occasion des assemblées générales ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société, reprochant à M. Louis X... de ne pas avoir respecté les règles fiscales applicables à la situation juridique de cette dernière, ce qui avait entraîné pour chaque associé un redressement assorti des intérêts de retard, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la révocation des consorts X... en leur qualité de gérants n'est pas fondée sur de justes motifs et en ce qu'il a condamné la société Albazur à leur payer des dommages-intérêts et une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 9 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.