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Décisions

Cass. com., 2 mars 2022, n° 20-22.021

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Barbot

Avocats :

SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller

Lyon, du 17 sept. 2020

17 septembre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 17 septembre 2020), la société Fralène groupe, condamnée à payer à M. [M] la somme de 250 000 euros par un jugement du 19 septembre 2019 assorti de l'exécution provisoire, a relevé appel de cette décision.

2. Après avoir vainement tenté de faire exécuter ce jugement, M. [M] a assigné la société Fralène groupe en ouverture d'une liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Fralène groupe fait grief à l'arrêt de fixer provisoirement la date de la cessation des paiements au 2 décembre 2019, date du jugement d'ouverture, alors « que la cessation des paiements s'apprécie au jour où la juridiction statue ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a confirmé le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Fralène groupe, notamment en ce qu'il avait fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 2 décembre 2019, date du prononcé de ce jugement ; qu'en se bornant à confirmer le jugement sur ce point, tandis qu'il résultait de ses constatations que l'état de cessation des paiements n'était certes pas contesté par la société Fralène groupe, mais à une date postérieure au 2 décembre 2019, et en fondant sa décision sur le fait que la société Fralène groupe admettait être en état de cessation des paiements "au jour où la cour statue" ce qui excluait que la cessation des paiements ait été constituée dès le 2 décembre 2019, la cour d'appel a violé les articles L. 631-1 et L. 640-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Alliance MJ, à laquelle a succédé la société [W] [P], agissant en qualité de liquidateur de la société Fralène groupe, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit, la société Fralène n'ayant pas discuté, dans ses conclusions d'appel, la date de cessation des paiements fixée par les premiers juges à la date du jugement d'ouverture, conformément à l'article L. 631-8 du code de commerce. Elle en déduit que la cour appel n'était saisie d'aucune critique de ce chef.

6. Cependant, le moyen n'est pas nouveau, dès lors que, dans ses conclusions d'appel, la société Fralène groupe contestait s'être trouvée en cessation des paiements à la date du jugement d'ouverture, ne reconnaissant la survenue de cet état qu'après le prononcé de ce jugement, à la suite d'événements qui s'étaient produits ultérieurement.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 631-1, L. 631-8 et L. 641-1, IV du code de commerce :

8. La cessation des paiements, définie par le premier de ces textes comme l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, doit, en première instance comme en appel, être caractérisée à la date retenue par les juges.

9. Pour confirmer le jugement notamment en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 2 décembre 2019, l'arrêt, ayant énoncé que l'état de cessation des paiements doit s'apprécier au jour où la cour d'appel statue, retient qu'à ce jour, la société Fralène groupe ne discute pas se trouver en état de cessation des paiements, que sa situation financière s'est aggravée depuis l'audience de première instance en raison de la mise en liquidation judiciaire de l'une de ses filiales, que la débitrice estime elle-même son passif à la somme de « 569 000 euros environ », exclusion faite des créances à échoir et contestées, et qu'au vu des pièces communiquées, elle ne dispose pas d'actif disponible pouvant être immédiatement affecté au paiement de son passif. L'arrêt en déduit que le redressement de la société Fralène groupe, qui admet être en état de cessation des paiements au jour où la cour d'appel statue, est manifestement impossible.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la date de cessation des paiements de la société Fralène groupe à la date du 2 décembre 2019 qu'elle retenait, par voie de confirmation du jugement entrepris, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

11. La société Fralène groupe fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cessation des paiements s'apprécie au jour où la juridiction statue ; qu'elle consiste en l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ; que ne peut être incluse dans le passif exigible une dette incertaine comme faisant l'objet d'un recours ; qu'en l'espèce, pour fixer la date de l'état de cessation des paiements au 2 décembre 2019, jour du prononcé du jugement ayant ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Fralène groupe, la cour d'appel a jugé, par motifs réputés adoptés, que la décision fondant la créance de M. [M], créancier assignant, était exécutoire et que l'appel de cette décision ne remettait pas en cause son caractère exécutoire ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'une créance litigieuse n'est pas certaine lorsque la décision qui la constate est frappée d'appel, peu important le caractère exécutoire par provision de cette décision, la cour d'appel a violé les articles L. 631-1 et L. 640-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 631-1 et L. 640-1, alinéa 1er, du code de commerce :

12. Pour la détermination de la date de cessation des paiements, définie par le premier de ces textes comme l'impossibilité, pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, doit être exclue du passif exigible une dette incertaine, telle la dette litigieuse résultant d'une décision faisant l'objet d'un recours devant la cour d'appel, cette décision eût-elle été assortie de l'exécution provisoire.

13. Pour statuer comme il fait, l'arrêt, qui constate l'existence d'un passif s'élevant à la somme de 569 000 euros environ, relève, par motifs adoptés, que M. [M] détient contre la société Fralène groupe une créance de 250 000 euros résultant d'un jugement du 19 septembre 2019 frappé d'appel, qu'il n'est cependant pas contesté que ce jugement soit exécutoire et que l'appel d'une décision ne remet en cause ni son caractère exécutoire ni le caractère exigible de la créance née de la condamnation.

14. En statuant ainsi, tout en constatant que le jugement du 19 septembre 2019 avait été frappé d'appel, de sorte que cette créance, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu, même si ce jugement était assorti de l'exécution provisoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il fixe la date de cessation des paiements de la société Fralène groupe au 2 décembre 2019, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom.