Cass. com., 15 janvier 2020, n° 18-12.009
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Avocats :
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SELARL [...] (la société) était cogérée par deux de ses trois associés, MM. U... et N... ; que, par délibération du 29 octobre 2012, l'assemblée générale de la société a révoqué M. N... de ses fonctions de gérant ; que, contestant les motifs et les circonstances de sa révocation, ainsi que l'échec de la cession de ses parts sociales à M. B..., M. N... a assigné ce dernier ainsi que la société et M. U... en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
Attendu que pour dire que M. N... a été révoqué de ses fonctions de gérant sans juste motif et condamner la société à lui payer des dommages-intérêts, l'arrêt retient que s'il est reproché à M. N... d'être à l'origine de l'état dépressif de Mme Q..., responsable du laboratoire d'analyse, par son comportement dévalorisant et humiliant, aucune pièce n'en justifie et Mme Q..., elle-même, n'en fait pas mention précisément dans le courrier collectif, signé de quatre salariés le 26 octobre 2012, qui fait plutôt état de contraintes professionnelles conduisant à un surmenage que M. N... a expliqué, au cours de l'assemblée générale, comme résultant d'absence de personnels ayant conduit à solliciter davantage les salariés présents ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les quatre signataires de cette lettre indiquaient que « L'ensemble du personnel du laboratoire a fait l'objet de harcèlement moral de la part de F. N.... M. N... nous a menacé d'imposer des changements d'horaire de façon à déstabiliser l'organisation du bon fonctionnement du laboratoire, ainsi que le bien-être des salariés (...). Les salariés viennent au travail, sans savoir dans quel état d'esprit sera M. N..., ce qui n'est pas sans conséquence sur leurs états de santé (maux de ventre, psoriasis...) Les salariés subissent en permanence des décisions contradictoires voire incohérentes qui nuisent à l'efficacité du travail et à la motivation du personnel. A chaque problème, à chaque incident même si M. N... en est responsable, il trouve toujours un bouc émissaire pour se défouler et de préférence sans témoin extérieur à l'entreprise. Nous tenons à vous signaler que F. N... a toujours eu une agressivité verbale vis-à-vis du personnel du laboratoire F. N... est calme, poli envers des salariés du cabinet vétérinaire et devient très agressif verbalement dès qu'il se trouve dans les locaux du laboratoire (...). Nous soussignons, V... G., IP... A., IE... D., Q... M., avoir fait l'objet de harcèlement moral de la part de F. N... depuis plusieurs années », ce dont il résulte qu'étaient ainsi dénoncés précisément et explicitement des faits de harcèlement, la cour d'appel, qui n'a pris en considération qu'une partie de cette lettre, l'a dénaturée par omission et violé le principe susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient ensuite que les faits de dénigrement, dévalorisation et violence verbale reprochés à M. N... ne sont pas établis ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société, qui faisait valoir que Mme J... avait subi de la part de M. N... des moqueries quotidiennes sur son physique, et que le docteur C... avait attesté avoir constaté de la part de M. N... une attitude fréquemment humiliante et déplacée et avoir exercé son droit de retrait puis subordonné son retour dans l'entreprise à son rattachement hiérarchique à M. U..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article L. 223-25 du code de commerce ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient également que les conséquences financières du licenciement abusif de Mme J... ne pouvaient constituer un juste motif de révocation, dès lors qu'elle n'avait engagé aucune action prud'homale à la date de la décision de révocation de M. N... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la méconnaissance des dispositions légales relatives à la protection d'une salariée enceinte peut constituer un juste motif de révocation indépendamment de ses conséquences financières pour la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa sixième branche :
Vu l'article L. 223-5 du code de commerce ;
Attendu que l'arrêt retient encore que, s'agissant des reproches qui sont faits à M. N... quant à la gestion sociale, les manquements envers les clients ou la désolidarisation avec la direction, ces faits relèvent de la responsabilité de la gérance qui était bicéphale, ce qui prive de crédit les allégations de M. U... qui avait la possibilité de s'opposer aux décisions dont il n'a finalement contesté l'opportunité qu'à l'occasion de la procédure de révocation de M. N... cependant qu'il n'en ignorait rien ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence de justes motifs de révocation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur ce moyen, pris en sa huitième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt retient également que quitus de la gestion a été donné à M. N... jusqu'en mars 2012 pour les faits antérieurs ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société qui faisait valoir qu'aucun des faits ayant motivé la révocation contestée ne pouvait être déduit des comptes sociaux et rapports de gestion soumis à approbation et n'avaient été portés à la connaissance des actionnaires au travers des rapports de gestion, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur ce moyen, pris en sa neuvième branche :
Vu l'article L. 223-5 du code de commerce ;
Attendu que l'arrêt retient que certains des faits reprochés sont anciens, que M. U..., cogérant de la société, n'a pas contesté les décisions passées de M. N... et que quitus lui a été donné pour sa gestion jusqu'en mars 2012 ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si certaines des circonstances ayant motivé la révocation de M. N... n'étaient pas survenues ou n'avaient pas été révélées dans les semaines ayant précédé leur dénonciation à l'assemblée générale, ni rechercher si ces circonstances, fût-ce par accumulation avec les précédents manquements ou mésententes constatés, ne justifiaient pas la révocation de M. N..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions confirmant le jugement et en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans les rapports entre M. N... et M. B..., l'arrêt rendu le 19 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.