Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-23.886
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Thouin-Palat et Boucard
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 30 mai 2017), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 novembre 2015, pourvoi n° 14-16.022), qu'au mois de janvier 2000, V... N..., qui exerçait la profession de médecin-anesthésiste, s'est associé avec cinq autres praticiens pour constituer la société des docteurs D..., K..., U..., F... , Q... W..., G..., T... (la Selarl), dans laquelle il détenait cinquante parts ; que les statuts prévoyaient l'agrément des trois-quarts des porteurs de parts exerçant la profession au sein de la société, en cas de transmission de parts sociales à un conjoint dans le cadre de la liquidation de la communauté ayant existé entre des époux ; que V... N... est décédé le [...] , en laissant pour lui succéder son épouse, Mme B... N..., et ses deux enfants, Mme M...N... et M. H... N... ; que selon procès-verbal daté du 24 février 2003, l'assemblée extraordinaire des associés de la Selarl a pris acte de la décision de Mme B... N... "de ne plus être associée" et a autorisé la gérance à racheter les cinquante parts qui lui seraient attribuées par la succession ; que, le 22 février 2006, Mme B... N... a assigné la Selarl en invoquant le défaut de convocation des coïndivisaires et en contestant la réalité de la tenue de cette assemblée générale, et a demandé l'annulation des délibérations de cette assemblée ;
Attendu que Mme B... N... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes tendant à la nullité de l'assemblée générale du 24 février 2003 et à la nullité de l'opération subséquente de rachat de droits sociaux alors, selon le moyen :
1°/ que la qualité à agir en nullité d'une délibération d'une assemblée générale dépend de la nature de la nullité invoquée par le demandeur ; qu'il en résulte qu'un tiers est recevable à solliciter l'annulation d'une délibération s'il se prévaut d'une cause de nullité absolue ; que pour dénier à Mme B... N... la qualité à agir en nullité de la délibération litigieuse, la cour d'appel a énoncé que seuls les associés étaient recevables à solliciter l'annulation d'une assemblée générale en raison des irrégularités dont elle était entachée ; qu'en statuant ainsi, sans distinguer selon que l'irrégularité invoquée constituait une cause de nullité relative ou absolue, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile et l'article L. 235-1 du code de commerce ;
2°/ que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel, après avoir dit que seuls les associés étaient recevables à solliciter l'annulation d'une assemblée générale en raison des irrégularités dont elle était entachée, a retenu que Mme B... N... n'avait pas qualité pour ce faire, dès lors qu'elle n'était pas et n'avait jamais été associée de la Selarl ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur la nature absolue ou relative de la nullité invoquée par Mme B... N..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du code de procédure civile et de l'article L. 235-1 du code de commerce ;
3°/ que le demandeur qui conteste la réalité de la tenue d'une assemblée générale pour obtenir l'annulation de la délibération lui déniant la qualité d'associé invoque un cas de nullité absolue ; que son action est donc recevable dès lors qu'il a intérêt à son succès, même s'il est tiers à la société ; que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a retenu que Mme B... N..., qui soutenait que l'assemblée générale litigieuse n'avait jamais eu lieu, n'avait pas qualité pour en solliciter l'annulation dès lors qu'elle n'était pas et n'avait jamais été associée de la Selarl ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 235-1 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction applicable au cas présent, et l'article 31 du code de procédure civile ;
4°/ que le demandeur qui conteste la réalité de la tenue d'une assemblée générale pour obtenir l'annulation de la délibération lui déniant la qualité d'associé invoque un cas de nullité absolue ; que son action est donc recevable dès lors qu'il a intérêt à son succès, quand bien même il aurait entériné l'existence de l'assemblée litigieuse en signant le procès-verbal et la feuille de présence ; que, pour déclarer irrecevable l'action en nullité, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que Mme B... N... avait voté la délibération litigieuse, reconnaissait avoir apposé sa signature sur le procès-verbal et la feuille de présence et se prévalait d'un vice qu'elle avait entériné ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 235-1 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction applicable au cas présent, et l'article 31 du code de procédure civile ;
5°/ qu'en toute hypothèse, il ressort des constatations de la cour d'appel que Mme B... N... aurait participé à l'assemblée générale litigieuse en tant qu'ayant-cause universel d'un associé décédé ; que pour déclarer irrecevable sa demande en annulation, la cour d'appel a retenu qu'elle n'avait pas qualité pour solliciter l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire litigieuse dès lors qu'elle n'était pas et n'avait jamais été associée de la Selarl, et donc qu'elle était tiers vis-à-vis de celle-ci ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 235-1 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction applicable au cas présent, et l'article 31 du code de procédure civile ;
6°/ que la contradiction au détriment d'autrui est sanctionnée par une fin de non-recevoir seulement si elle affecte le comportement de la partie pendant une procédure judiciaire ; qu'il en résulte que l'irrecevabilité n'est pas encourue lorsque la partie soutient avec constance devant les juridictions une thèse contraire au comportement qu'elle avait adopté avant qu'elles ne soient saisies du litige ; que, pour déclarer irrecevable la demande en nullité formée par Mme B... N..., la cour de renvoi a retenu, par motifs adoptés, que cette dernière avait voté la délibération litigieuse, reconnaissait avoir apposé sa signature sur le procès-verbal et la feuille de présence et se prévalait d'un vice qu'elle avait entériné ; qu'en statuant ainsi, quand les circonstances relevées au soutien de la contradiction constatée étaient antérieures à l'introduction de l'instance, la cour d'appel a violé, par fausse application, le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ;
7°/ que le juge ne peut, sous couvert d'apprécier la légitimité de l'intérêt à agir, se dispenser de statuer en droit ; que pour déclarer irrecevable la demande en nullité formée par Mme B... N..., la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, qu'elle avait encaissé le prix de cession des parts sociales, qu'elle ne s'était décidée à agir que dans la limite du délai de prescription et que sa demande, purement pécuniaire, ne tendait qu'à l'attribution la plus ample possible de dividendes, fruits d'une activité sociale à laquelle elle n'a pas et n'entendait pas collaborer ; qu'en statuant ainsi, par des considérations purement morales, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que selon l'article L. 223-13, alinéa 2, du code de commerce, les statuts d'une société à responsabilité limitée peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu'après avoir été agréé ; qu'il résulte de ces dispositions que les héritiers non agréés n'ont pas à être convoqués aux assemblées et ne peuvent participer au vote ; qu'ayant constaté que Mme B... N... n'avait pas sollicité l'agrément prévu par les statuts de la Selarl en cas de transmission de parts sociales à un conjoint dans le cadre de la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle n'avait pas et n'avait jamais eu la qualité d'associé ;
Attendu, en deuxième lieu, que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général, tandis que la nullité est relative lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde d'un intérêt privé ; qu'ayant exactement énoncé que les nullités ayant pour objet la protection d'intérêts particuliers ne peuvent être invoquées que par la personne ou le groupe de personnes dont la loi assure la protection, et que dès lors, seuls les associés sont recevables à contester la régularité d'une assemblée générale, la cour d'appel en a déduit à bon droit que Mme B... N..., qui ne contestait pas dans ses dernières écritures que tous les associés avaient signé le procès-verbal de l'assemblée litigieuse, et qui n'était pas associée, n'avait pas qualité pour agir en nullité des délibérations adoptées par l'assemblée générale du 24 février 2003 ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a retenu que la nullité invoquée était une nullité relative, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, enfin, que le moyen, pris en ses quatrième, sixième et septième branches, qui critiquent des motifs surabondants, est inopérant ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.