Cass. com., 23 mai 2000, n° 97-21.076
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grimaldi
Rapporteur :
Mme Besançon
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
Me Garaud, SCP Le Bret-Desaché et Laugier, SCP Richard et Mandelkern, SCP de Chaisemartin et Courjon
Attendu, selon l'arrêt déféré (Rennes, 3 septembre 1997), que le 31 octobre 1989 la banque de Bretagne, la Société de développement régional de Bretagne (la SDRB), la Caisse de Crédit mutuel de Guipavas (le CMB) et le Crédit industriel de l'Ouest (le CIO) ont accordé à la société Atelier de découpe Le Gléau (la société) des prêts d'un montant global d'un million cinquante mille francs et ont pris en garantie des inscriptions d'hypothèques conventionnelles sur un immeuble appartenant aux époux A... ; qu'après la mise en redressement judiciaire de M. A... et de la société, par jugements du 13 février 1990, et le report des dates de cessation des paiements au 1er octobre 1989, M. Geniteau, commissaire à l'exécution du plan de M. A... et de la société, et M. X..., représentant des créanciers, ont demandé l'annulation des prêts ainsi que des hypothèques conventionnelles inscrites sur l'immeuble des époux Le Gléau ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le commissaire à l'exécution du plan de M. A... et de la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande tendant à voir annuler l'acte conclu le 31 octobre 1989, c'est-à-dire pendant la période suspecte, par lequel les quatre banques ont accordé un prêt à la société, avec la caution hypothécaire de M. et Mme A..., alors, selon le pourvoi, que les juges du fond, saisis d'une demande en nullité d'un acte accompli après la date de cessation des paiements, peuvent constater qu'un acte apparemment accompli par une personne l'a en réalité été par le débiteur, sans qu'il soit pour autant nécessaire que l'extension de la procédure collective ait été prononcée pour fictivité ;
qu'en l'espèce, pour diminuer le solde débiteur du compte courant de M. A... ouvert dans les livres de la CIO, cette banque a, postérieurement à la cessation des paiements, accordé à la société, créée et dirigée par M. A..., un crédit (garanti par la caution hypothécaire de son dirigeant), dont le montant a été immédiatement versé sur le compte de M. A... ; qu'à la suite de l'ouverture de deux procédures de redressement judiciaire à l'encontre de M. A... et de la société, la cour d'appel a été saisie d'une demande en annulation de la sûreté constituée pendant la période suspecte ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel a considéré que le prêt avait été accordé à la société et non à M. A... personnellement et qu'aucune demande en extension de la procédure collective pour fictivité n'avait été formée avant l'adoption du plan de cession des entreprises ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 107, alinéa 1er, 6 , de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que, s'agissant de la demande en annulation de l'acte de prêt, les dispositions de l'article 107, alinéa 1er, 6 , ne s'appliquent pas ; que le moyen est inopérant ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que le commissaire à l'exécution du plan fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'a nécessairement connaissance de l'état de cessation des paiements, le banquier qui après avoir interdit à son client d'émettre des chèques, cherche à combler le découvert en compte courant qui n'est garanti par aucune sûreté, en accordant à une société créée et dirigée par ce même client, un prêt garanti par son cautionnement hypothécaire, prêt qui est immédiatement transféré sur le compte du client ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la cessation des paiements avait été fixée au 1er octobre 1989, la cour d'appel a relevé 1 ) que le banquier de M. A... lui avait adressé le 21 octobre 1989 une lettre lui interdisant, sauf autorisation préalable, d'émettre à l'avenir des chèques, 2 ) que le 31 octobre 1989, ce banquier avait accordé à une société, créée et dirigée par M. A..., un crédit garanti par la caution hypothécaire de celui-ci, 3 ) que ce crédit avait été immédiatement transféré du compte de la société sur celui de M. A... ; qu'en considérant que ces faits n'apportaient pas la preuve de la connaissance par la banque de la cessation des paiements, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, d'autre part, pour apprécier la connaissance par un cocontractant de l'état de cessation des paiements du débiteur, connaissance susceptible d'entraîner l'annulation d'un acte accompli pendant la période suspecte, les juges du fond doivent s'assurer que, même si chacun des faits pris isolément ne caractériserait pas cette connaissance, il n'en irait pas de même s'ils avaient été analysés dans leur ensemble ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la cessation des paiements avait été fixée au 1er octobre 1989, la cour d'appel a relevé 1 ) que le banquier de M. A... lui avait adressé le 21 octobre 1989 une lettre lui interdisant, sauf autorisation préalable, d'émettre à l'avenir des chèques, 2 ) que le 31 octobre 1989, ce banquier avait accordé à une société, créée et dirigée par M. A..., un crédit
garanti par la caution hypothécaire de celui-ci, 3 ) que ce crédit avait été immédiatement transféré du compte de la société sur celui de M. A... ; qu'en considérant que chacun de ces faits n'apportait pas à lui seul la preuve de la connaissance par les banques de la cessation des paiements, sans rechercher si, pris dans leur globalité, ces faits ne démontraient pas cette connaissance, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que dans la lettre adressée le 18 juin 1990 à M. Geniteau, ès qualités, le CIO précisait que le compte de M. A... ouvert dans ses livres (056.107 X) avait été directement crédité, par virement du 16 novembre 1989, de 423 000 francs, correspondant au prêt accordé par la SDRB diminué du fonds de garantie ; qu'ainsi, le crédit accordé par cette banque n'avait nullement transité par le compte de la société ; qu'en considérant cependant que "les fonds prêtés par les quatre banques avaient été versés dans un premier temps sur le compte de la société" la cour d'appel a dénaturé les termes de la lettre susvisée et, par là même, violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'encourt pas le grief de dénaturation de la lettre mentionnée à la troisième branche, dès lors qu'elle ne s'est pas fondée sur ce document ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant, dans l'exercice de son pouvoir souverain, retenu, par une décision motivée, que les banques n'avaient pas eu connaissance de la cessation des paiements de la société, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche dont fait état la seconde branche, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.