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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 2 mars 2021, n° 19/01348

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Communauté Urbaine de Caen La Mer (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Delière

Conseillers :

Mme André, Mme Brissiaud

CA Rennes n° 19/01348

1 mars 2021

FAITS ET PROCÉDURE

M. Olivier B. a réalisé en 1989 et en 1994 des travaux d'extension du cinéma «'Café des images'» à Hérouville-Saint-Clair (15), construit en 1978 sous la direction d'un autre architecte.

Le 23 mars 2011, la SARL Olivier B. architecte a signé un acte d'engagement d'une mission de maîtrise d'oeuvre pour les travaux de rénovation du cinéma Le Café des images.

Suivant un marché du 12 avril 2011, modifié par avenant du 10 avril 2012, la communauté urbaine de Caen la mer a confié à la SARL Olivier B. architecte le marché portant sur les travaux suivants :

-phase 1 : mise en oeuvre des cabines de projection pour accueillir les équipements numériques ; rénovation de la zone cafétéria comprenant notamment la mise en conformité des espaces de cuisine, la restructuration et la rénovation des vitrages en façade et l'agencement de la salle de restauration ;

-phase 2 : mise en conformité des accès aux salles de cinéma pour permettre l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, notamment la création d'un ascenseur pour la liaison entre la zone cafétéria et l'espace cinéma ; la rénovation du bâtiment suite au diagnostic énergétique ; la réfection partielle du bâtiment (traitement des dégradations extérieures).

La première tranche des travaux a été réalisée puis, par courrier recommandé du 9 avril 2013, la communauté urbaine de Caen la mer a résilié le contrat après le travail de conception de la phase 2 et avant l'engagement des travaux.

Le 27 octobre 2015, la SARL Olivier B. architecte a assigné la communauté urbaine de Caen la mer devant le tribunal de grande instance de Rennes en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à son droit moral d'auteur, atteinte résultant de l'altération de son oeuvre au cours de l'achèvement des travaux de rénovation.

M. B. est intervenu volontairement à la procédure le 19 avril 2018.

Par jugement du 28 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Rennes a :

-déclaré la SARL Olivier B. architecte irrecevable en son action pour défaut de qualité à agir,

-reçu M. B. en son intervention volontaire,

-l'a débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre architecturale,

-l'a condamné, avec la SARL Olivier B. architecte, aux dépens et à payer à la communauté urbaine de Caen la mer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. B. et la SARL Olivier B. architecte ont fait appel le 27 février 2019 des chefs du jugement ayant débouté M. B. de sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre architecturale et l'ayant condamné, avec la SARL Olivier B. architecte, aux dépens et à payer à la communauté urbaine de Caen la mer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent leur moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 8 décembre 2020 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

M. B. demande à la cour :

-d'infirmer le jugement,

-de condamner la communauté urbaine de Caen la mer à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits d'auteur comme architecte,

-de condamner la communauté urbaine de Caen la mer aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La communauté urbaine de Caen la mer expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 14 décembre 2020 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement et réclame la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur l'action de la SARL Olivier B. architecte

Ni M. B. ni la SARL Olivier B. architecte n'ont fait appel de la disposition du jugement qui a déclaré l'action de la société irrecevable pour défaut de qualité à agir car une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur, sauf oeuvre collective.

La SARL Olivier B. architecte a fait appel de la décision mais ne forme aucune demande devant la cour d'appel.

Dans ces conditions, la demande de la communauté urbaine de Caen de déclarer la SARL Olivier B. architecte dépourvue de qualité pour agir, sera déclarée irrecevable, cette question ayant été tranchée définitivement par le premier juge.

2) Sur la demande de dommages et intérêts de M. B.

Pour rejeter la demande d'indemnisation de M. B. le tribunal a retenu que :

-M. B. a la qualité d'auteur au sens de l'article L. 111-1 du code de propriété intellectuelle et est titulaire d'un droit moral sur son oeuvre architecturale,

-l'oeuvre ne peut être modifiée matériellement sans l'accord exprès de son auteur,

-cependant, le cinéma étant un équipement essentiellement utilitaire et non purement artistique, il faut prendre en compte les droits du propriétaire de l'ouvrage,

-les modifications apportées doivent être légitimées par la nécessité d'adapter le bâtiment à des besoins nouveaux, dans la limite de ce qui est strictement nécessaire et sans disproportion avec le but poursuivi,

-la communauté urbaine de Caen la mer ne justifie pas de besoins nouveaux,

cependant les changements apportés au bâtiment ne portent pas atteinte à l'intégrité de l'oeuvre et au droit moral de M. B..

L'article L. 111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle dispose : «'L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.'»

L'article L. 121-1 du même code précise : «'L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.

L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.'»

La qualité'd'auteur de M. B., au sens des articles L. 111-1 et L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, n'est pas contestée.

Par ailleurs les oeuvres architecturales sont protégées et ne peuvent pas être, en principe, modifiées sans l'accord de leur auteur.

Cependant, la vocation utilitaire d'un bâtiment s'oppose à ce que l'architecte puisse se prévaloir de l'intangibilité de son oeuvre. Notamment s'il est nécessaire d'adapter le bâtiment à des contraintes techniques, à des impératifs de mise aux normes ou de renforcement de la sécurité résultant de conditions nouvelles, le bâtiment, oeuvre de l'architecte, peut être modifié.

Et dans ce cas, si les atteintes à l'oeuvre sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi l'auteur ne peut invoquer une violation du droit au respect de son oeuvre.

Le tout a été justement rappelé par le tribunal.

M. B. ne donne pas une liste précise des éléments du bâtiment qui ont été repeints. Il ressort des pièces produites et notamment des photographies (pièce 7) que les modifications suivantes ont été apportées au bâtiment par rapport à son état antérieur :

A l'extérieur :

* l'encadrement métallique du panneau «'Café des images'» en façade nord , à l'origine de couleur noire, a été repeint en rouge,

* les structures métalliques de la coupole et de la façade sud, et les cylindres de récupération des eaux pluviales, à l'origine de couleur vert foncé ou bronze, ont été repeints en jaune,

*des éléments de serrurerie extérieure en aluminium, à l'origine non peints, ont été repeints en orange,

A l'intérieur :

* les portes d'accès à la salle 3, à l'origine vert pâle, ont été peintes en rouge,

* les portes d'accès aux salles 1 et 2, ont été peintes en rouge,

* les portes d'accès aux sanitaires de la salle 3, à l'origine de couleur grise, ont été peintes en rouge,

* une partie du mur du hall d'accueil, de part et d'autre de l'accès à l'ascenseur, à l'origine blanc, a été peinte en orange.

Ces seules modifications sont en cause et la cour n'examinera pas les modifications des éléments du bâtiment en lien avec les travaux relatifs aux cabines de projection, à la zone cafétéria, aux espaces de cuisine et à la restructuration des vitrages en façade, de la salle de restauration et des accès avec la création d'un ascenseur, que M. B. n'invoque pas.

Dans le cadre des travaux de rénovation qu'elle a entrepris, décrits ci-dessus, la communauté urbaine de Caen la mer ne démontre pas qu'elle était contrainte de modifier les couleurs choisies initialement par M. B., étant précisé que celui-ci, lors de la conception des deux phases du projet de rénovation, n'avait pas prévu de modifier les couleurs en place.

La communauté urbaine de Caen la mer prétend sur ce point que M. B. avait prévu de peindre en rouge les portes des salles 1 et 2. Or elle n'en justifie pas alors qu'il ressort du dossier de consultation des entreprises et des documents qui concernent le lot 3 «'menuiseries intérieures'» et le lot 4 «'peinture nettoyage'» que les couleurs d'origine devaient être conservées ou bien que l'architecte devait être consulté pour le choix d'une autre couleur.

Le tribunal a retenu, à juste titre, que la communauté urbaine de Caen la mer ne justifiait pas de besoins nouveaux imposant les modifications réalisées. En effet, il n'est fait état d'aucun motif justifiant les changements de couleur sur certaines parties du bâtiment. Le fait que le cinéma était de moins en moins fréquenté ne peut justifier les changements opérés et si effectivement il fallait rénover le bâtiment, rien n'empêchait de conserver les couleurs d'origine lors de la réfection des peintures.

Le tribunal a poursuivi en analysant les modifications réalisées et a conclu qu'elles n'étaient pas suffisantes pour constituer une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre.

Mais, même si les modifications sont limitées, il reste que l'oeuvre conçue par M. B. a bien été modifiée et altérée de façon perceptible, sans que la communauté urbaine de Caen la mer démontre qu'elle était dans l'impossibilité de conserver les couleurs d'origine.

En conséquence, le jugement sera infirmé et la cour retiendra l'atteinte au droit moral d'auteur de M. B..

Les modifications des couleurs de certaines parties du 'Café des images' sont peu nombreuses et n'affectent qu'une surface réduite de l'ensemble, de telle sorte que, même si l'oeuvre architecturale est altérée, l'atteinte au droit moral de M. B. reste limité, les autres caractéristiques du bâtiment, notamment sa structure originale, étant en effet largement préservées.

Il ne sera donc fait droit à la demande de dommages et intérêts qu'à hauteur de la somme de 5000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevable la demande de la communauté urbaine de Caen la mer de déclarer la SARL Olivier B. dépourvue de qualité pour agir,

Statuant dans les limites de l'appel,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Olivier B. de sa demande de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre architecturale et l'a condamné, avec la SARL Olivier B. architecte, aux dépens et à payer à la communauté urbaine de Caen la mer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Condamne la communauté urbaine de Caen la mer à payer à M. Olivier B. la somme de 5000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Déboute la communauté urbaine de Caen la mer de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la communauté urbaine de Caen la mer aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. Olivier B. la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.