Livv
Décisions

CA Versailles, 6e ch., 26 mai 2015, n° 13/01384

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hachette Filipacchi Presse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bézio

Conseillers :

Mme Fétizon, Mme Borrel-Abensur

Cons. prud’h. Nanterre, du 7 janv. 2013,…

7 janvier 2013

FAITS ET PROCÉDURE

Statuant sur les appels formés par M. G. et la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à l'encontre du jugement en date du 7 janvier 2013, par lequel le conseil de prud'hommes de Nanterre, statuant en formation de départage, saisi à l'initiative de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE :

- a dit que le contrat de travail à durée indéterminée ayant lié les parties, a duré du 1er avril 1965 au 1er février 1989

- donné acte à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE qu'elle a entendu limiter ses demandes à la période du contrat de travail allant du 1er avril 1965 au 1er février 1989

- constaté qu'il n'était pas saisi de la question relative à la qualité de pigiste salarié de M. G. (du 1er avril 1964 au 1er avril 1965, puis, du 1er février 1989 à 1994) non plus que de celle de la propriété du support matériel des photographies de M. G. alors qu'il était pigiste salarié

- a dit que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE rapporte la preuve de l'existence de son droit de propriété corporelle sur les matériels des clichés réalisés par M. G. du 1er avril 1965 au 1er février 1989, durant l'exécution de son contrat de travail à durée indéterminée

- a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription trentenaire

- a rejeté les moyens de la spécification ou de l'existence d'un contrat de dépôt entre les parties

- a reçu M. G. en sa demande reconventionnelle et ordonné à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de communiquer à celui-ci une liste des clichés - réalisés par lui, sous son nom ou certains pseudonymes- dont cette société revendique la propriété matérielle, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, passé un délai de six mois

- a sursis a statuer sur la demande d'indemnisation relative à la perte des supports photographiques pris par M. G., durant la période contractuelle

- a dit que la procédure sera poursuivie à l'initiative de la partie la plus diligente, sur demande de réinscription au rôle assortie de conclusions, M. G. devant préciser ses demandes d'indemnisation et justifier d'une liste des clichés selon lui perdus et revendiqués

- a constaté que M. G. a formé également une demande de restitution relative aux clichés réalisés avant et après la période salariale reconnue

- a ordonné qu'une copie de sa décision soit transmise pour information à la 1ère chambre du tribunal de grande instance de Nanterre

- a condamné la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE aux dépens et au paiement de la somme de 3000 € au profit de M. G. en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions remises et soutenues, à l'audience du 17 mars 2015, par M. G. qui prie la cour de :

- se déclarer compétente pour statuer sur ses demandes

- déclarer celles-ci recevables

- dire que son contrat de travail a pris fin le 18 juin 1987

- juger qu'il est seul propriétaire du support matériel des photographies qu'il a réalisées pour le magazine LUI au cours de la période durant laquelle il a été salarié

- juger qu'il a mis en dépôt, durant cette période, l’intégralité de ses clichés réalisés pour le magazine LUI, soit plus de 2 millions de clichés

- juger que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a perdu 1067 photographies sur les 6292 photographies publiées dans la version française de LUI et 2 315 850 photographies n'ayant pas été publiées

- ordonner à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de lui restituer l'ensemble des originaux de ses photographies détenus dans ses archives, sous son nom ou divers pseudonymes qu'il a utilisés, dont elle a dressé inventaire selon constat d'huissier du 8 juillet 2013

- condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui payer la somme de 127 529 500 €, à titre de dommages et intérêts, pour la perte de 2 316 917 originaux de ses photographies

- si la cour juge que son droit de propriété résulte de l' application des règles de l'accession mobilière, dire que devra être déduit du montant de ces dommages et intérêts, le prix de la "matière employée" au sens de l'article 571 du code civil, sur justificatif produit par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE

- confirmer le surplus du jugement entrepris, notamment en ce que le conseil de prud'hommes a ordonné à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de lui communiquer la liste des photographies qu'elle détient

- condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui payer la somme de 60 000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les écritures développées à la barre par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE qui conclut :

- à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de M. G. en application des dispositions du jugement définitif du 23 octobre 2009 - par lequel le conseil de prud'hommes de Nanterre s'est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande, au profit du tribunal de grande instance de Nanterre

- donc, à l'infirmation du jugement entrepris en ce que le conseil lui a ordonné de remettre à M. G. une liste des clichés et matériels conservés dans ses archives,

- à l'incompétence, en tout état de cause, de la juridiction prud'homale, au profit du tribunal de grande instance de Nanterre pour statuer sur les demandes de restitution et d'indemnisation de M. G.

- à l'infirmation des dispositions du jugement ayant rejeté son moyen, tiré de la prescription trentenaire, et écarté, en conséquence la prescription acquisitive dont elle se prévaut

- à la confirmation du jugement déféré en ce que le conseil de prud'hommes a reconnu qu'elle est titulaire du droit de propriété corporelle sur les supports matériels des photographies de M. G.

- mais à l'infirmation des dispositions relatives à la remise de la liste de clichés mise à sa charge par le conseil de prud'hommes

- subsidiairement, si la cour s'estimait compétente pour en connaître, au débouté des demandes indemnitaires de M. G., en l'absence de preuve d'un mandat de dépôt, conclu entre elle et lui, et de préjudice établi

- à la condamnation de M. G. au paiement de la somme de 12 665 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et d'une amende de 3000 euros, en sus de la somme de 25 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

SUR LES FAITS

Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions versées aux débats que M. G., né en 1939, est depuis les années 60 un photographe renommé, spécialement dans le domaine de la "photo de charme" et de nu ; qu'en cette qualité, à compter du 1er avril1965, il a été "reporter photographe" salarié de la société, éditrice du magazine LUI, soit successivement, les sociétés PRESSE OFFICE, EDITIONS DES SAVANES, COGEDIPRESSE et, depuis 1998, HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ;

Que toutes relations professionnelles entre les parties ont cessé en 1994 ;

Que selon M. G. le contrat de travail a été rompu le 18 juin 1987, date du solde de tout compte établi par son employeur mais il a poursuivi son activité pour "LUI", en indépendant, jusqu'en 1994; que d'après la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE la relation salariée n'a cessé qu'au 1er février 1989 ;

Que pour chacun des reportages qu'il effectuait, M. G. réalisait de nombreuses prises de vue, à partir des pellicules que lui fournissait la société; qu'à l'issue de son reportage, il remettait les pellicules au laboratoire qui se chargeait du développement et des tirages à partir desquels la société éditrice faisait imprimer puis publiait, dans son magazine, les photographies de M. G. ; que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a toujours assuré le financement du matériel photographique utilisé par le photographe ainsi que l'intégralité des frais de ses reportages comprenant toutes les dépenses techniques nécessaires à la publication des photographies: achat des pellicules, développement, tirages etc ... ;

Que par lettre du 31 mai 1985 M. G. a sollicité, de la société PRESSE OFFICE, éditrice à l'époque de LUI, la restitution de ce matériel qu'il estimait être à lui ;

Que M. G. est demeuré titulaire de ses droits d'auteur sur l'ensemble des photographies réalisées pour LUI, et a d'ailleurs fait sanctionner des publications de certaines de ces photographies, parues sans son autorisation, ainsi dans une revue intitulée "Les filles de LUI"(ordonnance de référé du 13 février 2001) ; que la "société 1633" auteur de cette publication a été condamnée pour contrefaçon au préjudice de M. G., par arrêt du 23 juin 2004, pour avoir reproduit les photographies litigieuses sans l'autorisation de M. G. ;

Que la société 1633 avait pu avoir accès aux photographies par l'effet d'un contrat de licence de la marque LUI, conclu entre elle et la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE -cette dernière ayant en effet, en vertu de ce contrat, mis à la disposition de la société 1633, ses archives, photographiques notamment, en précisant, dans une formule aussi large qu'imprécise mais exclusive de toute responsabilité de la société de presse, "sans garantie des droits du concédant sur le matériel" ;

Que le 16 septembre 2003, une seconde demande de restitution a été formalisée par M. G. auprès de l'éditrice de LUI, devenue alors, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ; que celle-ci a répondu le 24 octobre suivant en demandant à M. G. d'établir une liste détaillée des photographies visées par sa demande ;

Que M. G. a réitéré sa requête auprès de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE par lettre du conseil du 27 avril 2007 -où celui-ci indiquait : "je vous confirme que M. G. entend obtenir la restitution de l'ensemble de ses photographies originales ainsi que les tirages de ces photographies, détenus par votre société et qui ont été publiées ou remises pour publication dans le magazine LUI.

Je vous fais déposer dans deux cartons les photocopies de l'intégralité des photographies réalisées par mon client, comme vous me le demandiez en octobre 2003" ;

Que M. G. a saisi, en conséquence, le président du tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en référé, afin d'obtenir cette restitution; que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a soulevé l'incompétence du tribunal au profit du conseil de prud'hommes et le juge des référés, par ordonnance du 28 août 2008 -confirmée par arrêt de cette cour du 20 mai 2009- a constaté l'existence d'une contestation sérieuse, tenant à la qualification juridique des relations entre les parties ;

Que par lettre recommandée du 17 juillet 2009, M. G. a demandé à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de le laisser accéder aux archives de LUI afin de vérifier l'état et la quantité de photographies qu'elle détenait, de réaliser, à ses frais, des tirages de ses photographies et de pouvoir, ajoutait-il "exercer pleinement mes droits d'auteur" -avant de conclure "mes droits de propriété intellectuelle sur mes photographies étant incontestables et incontestés, je vous remercie en conséquence de me confirmer la mise à disposition des négatifs, des diapositives et plus généralement de l'intégralité des photos parues et non parues(doublons) dans le magazine LUI que vous détenez dans vos archives" ;

Que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE n'a pas donné suite à cette nouvelle demande, faisant valoir dans sa réponse du 4 septembre 2009, sans contester les droits de propriété incorporelle de M. G., qu'elle était propriétaire des supports corporels litigieux et que la demande d'accès à ses archives apparaissait bien tardive et ne semblait justifiée par aucun "projet d'exploitation déterminé" -précisant à ce dernier égard, que les droits d'exploitation de M. G. devaient se "concilier avec les procédures nécessaires pour la gestion et la conservation d'archives de l'importance du groupe pour des raisons pratiques et de sécurité"- ;

Que, par la suite, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a maintenu son refus de laisser M. G. accéder à ses archives et s'est, de plus, opposée, par lettre du 13 mars 2012, à mettre à la disposition de M. G. les diapositives originales, ou un scan haute définition de celles-ci, afin de pouvoir participer à une vente prestigieuse organisée le 15 avril 2012 ;

Que, dans le même temps, M. G. faisait condamner l'une des sociétés du groupe L. auquel appartient la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE pour avoir publié, sans son autorisation, deux photographies que cette dernière avait refusé de lui remettre ;

*

SUR LA PROCEDURE

Considérant que le 12 juin 2008 la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de voir constater son "droit à conserver le fonds photographique issu du travail de M. G. en qualité de reporter photographe, en exécution de son contrat de travail" ;

Que M. G. ayant soulevé l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit du tribunal de grande instance, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, par jugement du 23 octobre 2009, définitif, s'est déclaré compétent, après disjonction, pour statuer sur la propriété corporelle des supports matériels des photographies réalisées par M. G., durant la période de son contrat de travail, et détenues dans les archives du magazine LUI mais a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu'il soit statué sur les prétentions élevées par M. G. dans sa demande reconventionnelle, tendant à obtenir la mise à disposition des négatifs de ses photographies contenus dans les archives de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et à l'indemnisation du préjudice résultant de l'impossibilité pour lui d'exploiter ses droits d'auteur, en raison du refus opposé par la société à ses diverses demandes ;

Qu'à défaut de recours contre ce jugement, l'instance s'est poursuivie devant le conseil de prud'hommes qui a statué le 7 janvier 2013 sur les demandes des parties, par le jugement dont appel :

Que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a fait plaider devant le conseil que, pour les avoir entièrement financés, elle est propriétaire des supports corporels des photographies réalisées par M. G., en exécution de son contrat de travail; qu'en tout état de cause, elle a invoqué la prescription acquisitive trentenaire par l'effet de la possession sur tous les objets corporels qu'elle détient depuis 1965 ;

Que pour sa part, M. G. a contesté la propriété des droits corporels, invoquée sur ses photographies par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE -faisant valoir qu'il était le propriétaire de ces droits en vertu des articles 570 et 571 du code civil -; qu'il a contesté l'acquisition de la prescription et soutenu, en outre, que les parties étaient liées par un contrat de dépôt qui fonde sa demande de restitution et de dommages et intérêts, en cas de perte ;

Considérant que, par sa décision du 7 janvier 2013 assortie de l'exécution provisoire, le conseil de prud'hommes de Nanterre, en sa formation de départage :

- a estimé que sa compétence, déterminée par sa précédente décision, rendue le 23 octobre 2009, ne faisait pas obstacle à la demande de M. G. tendant à obtenir que lui soit remise par la société, une liste des clichés pris par lui, en exécution de son contrat de travail ;

- a accueilli la demande de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE tendant à se voir déclarée titulaire du droit de propriété corporelle sur les supports matériels des photographies réalisées par M. G. pendant la période contractuelle, après avoir écarté le moyen de prescription acquisitive invoqué par la société et rejeté la demande de M. G. fondée sur les articles 570 et 571 du code civil ;

- après s'être déclaré compétent pour en connaître, a également fait droit à la prétention de M. G., tendant à obtenir, de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, la remise d' une liste de ses clichés détenus dans les archives de celle-ci, qu'ils soient réalisés sous son nom ou sous ses pseudonymes ;

Que le premier président de cette cour, saisi par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, ayant rejeté, le 9 juillet 2013, la demande d'arrêt d'exécution provisoire de ce jugement, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a remis à M. G. :

- une liste des supports des photographies réalisées par lui entre le 1er avril 1965 et le 1er février 1989

- l'ensemble des planches contact des photographies publiées dans le magazine LUI, détenues dans ses archives

- les photocopies de l'ensemble des autres photographies de M. G. pendant la période contractuelles, intitulées "les doublons non édités" ;

*

SUR LA MOTIVATION

Sur la compétence du conseil de prud'hommes

Considérant que conformément au jugement définitif du 23 octobre 2009, le conseil de prud'hommes et, présentement, la cour ne sauraient connaître des demandes de M. G. tendant à l'indemnisation par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, du préjudice consécutif à la perte de certaines de ses photographies et à l'impossibilité d'en exploiter d'autres -en raison du refus que lui a opposé la société de les mettre à sa disposition- ;

Qu'en effet, en vertu de cette précédente décision -ayant autorité de chose jugée entre les parties, comme le rappelle la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE - la compétence du conseil de prud'hommes est désormais limitée à la détermination du propriétaire des droits corporels sur l'original des photographies de M. G. demeurées en possession de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ;

Q'il s'ensuit que doit être déclarée irrecevable devant le le conseil de prud'hommes, définitivement jugé incompétent, la demande de M. G. en paiement de dommages et intérêts formée contre la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ;

Que cependant l'autre demande de M. G. a trait à la restitution des originaux photographiques en possession de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ; que cette prétention apparaît nouvelle au regard des prétentions initiales de M. G. sur lesquelles le conseil a statué dans son jugement précité du 23 octobre 2009 ; qu' à l'époque, en effet, celui-ci n'avait été saisi que d'une demande de mise à disposition des négatifs détenus par l'entreprise de presse, aux fins d'exploitation de ses droits d'auteur par M. G., et la juridiction prud'homale avait estimé que cette question liée aux droits d'auteur relevait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ;

Que la demande de restitution des originaux des clichés apparaît, en revanche, directement et exclusivement liée à celle de la détermination du propriétaire de ces originaux dont elle est la conséquence immédiate ; qu'elle ressortit donc bien, au même titre que celle-ci, de la compétence prud'homale ;

*

Sur la prescription acquisitive

Considérant que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE oppose sa possession trentenaire à la revendication de M. G. ;

Que, certes, la durée de trente ans n'est pas contestable ; qu'en outre, les premiers juges ont, il est vrai, considéré à tort -ainsi que le souligne la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE - que la première lettre de réclamation de M. G., en date du 31 mai 1985, avait pu interrompre le délai de trente ans et empêcher, ainsi, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de prescrire le droit de propriété qu'il revendique ;

Qu'en effet une simple lettre, serait-elle, recommandée ne suffit pas à interrompre la prescription ;

Mais considérant que, pour produire son effet acquisitif, le délai de prescription doit être celui d'une possession non équivoque et à titre de propriétaire ;

Or considérant que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE qui ne conteste pas avoir reçu la correspondance précitée de M. G. ne pouvait, par là-même, ignorer que l'intéressé revendiquait un droit de propriété sur tout le matériel photographique en sa possession; que d'ailleurs, son propre comportement confirme qu'elle-même, n'était nullement assurée de sa qualité de propriétaire -ainsi que le montre l'insertion, dans le contrat de licence consenti à la société 1633, de la clause de non garantie qui excluait toute garantie quant aux droits sur le "matériel" de la propriété matérielle des supports ;

Considérant qu'il est ainsi établi que la possession alléguée par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE n'est ni non équivoque, ni à titre de propriétaire; que c'est en définitive à juste titre que le moyen de la prescription acquisitive dont se prévaut la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a été écarté par le conseil de prud'hommes ;

*

Sur la propriété des supports des photographies

Considérant que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE demande à la cour de confirmer la reconnaissance de son droit de propriété corporelle sur les clichés revendiqués par M. G., reconnu par les premiers juges ;

Que M. G. prie, au contraire, la cour de dire qu'il est propriétaire du support matériel de l'ensemble de ses oeuvres, pour la période du contrat de travail -laquelle a expiré, selon, lui dès le 21 avril 1987 et non le 1er février 1989 comme l'ont décidé les premiers juges- et que ce support a été remis à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE dans le cadre juridique d'un contrat de dépôt ;

°

Considérant que s'agissant des dates du contrat de travail ayant existé entre les parties, la cour fait siens les motifs pertinents et circonstanciés du conseil de prud'hommes qu'aucun élément en cause d'appel ne vient remettre en cause; qu'ainsi la date de fin des relations contractuelles à retenir est celle du 1er février 1989 ;

Considérant que pour juger la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, propriétaire des droits corporels sur les clichés des photographies réalisées par M. G., les premiers juges, à défaut de prescription, ont retenu que cette société avait financé la production desdits clichés dans le cadre juridique d'un contrat de travail ;

Que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE reprend cette argumentation en se fondant sur les dispositions de l'article L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle, instituant une séparation des propriétés intellectuelle et corporelle sur l'objet constitutif d'une oeuvre d'art ;

Que ce texte dispose :

"La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel.

L'acquéreur de cet objet n'est investi, du fait de cette acquisition, d'aucun des droits prévus par le présent code, sauf dans les cas prévus par les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 123-4. Ces droits subsistent en la personne de l'auteur ou de ses ayants droit qui, pourtant, ne pourront exiger du propriétaire de l'objet matériel la mise à leur disposition de cet objet pour l'exercice desdits droits. Néanmoins, en cas d'abus notoire du propriétaire empêchant l'exercice du droit de divulgation, le tribunal de grande instance peut prendre toute mesure appropriée, conformément aux dispositions de l'article L. 121-3" ;

Considérant que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE soutient qu'ayant financé la production des photographies de M. G., elle doit être assimilée à l'acquéreur visé par l'article L. 111-3 ci-dessus ;

Mais considérant que, comme le fait plaider, M. G. la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE n'a pas acquis ses photographies ; qu'elle lui a donné, seulement, les moyens de les réaliser dans le cadre du contrat de travail qui les liait ; qu' à défaut de stipulation particulière prévoyant qu'elle devenait propriétaire du support matériel de ses photographies, elle ne peut être reconnue, de plein droit, titulaire de cette qualité ;

Qu'il importe peu que les photographies aient été réalisées dans le cadre d'un contrat de travail; qu'en effet, la fourniture des moyens techniques et matériels, ainsi donnés par la société de presse à son photographe salarié, est nécessaire et participe à l'exécution de la prestation de travail de celui-ci, consistant en la prise de clichés ;

Que le financement dont se prévaut la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE faisait, dès lors, partie des conditions de travail de M. G. et des obligations envers lui de son employeur ; qu'en l'absence de stipulations contraires, le droit de propriété corporelle sur les clichés ne saurait, lui, sauf stipulations contraires, être régi par le contrat de travail dont il n'est pas l'objet ;

Considérant qu'en l'absence de disposition particulière et en application du principe de la séparation des propriétés corporelle et intellectuelle, la détermination du propriétaire des supports matériels revendiqués doit donc être recherchée par la mise en oeuvre des dispositions des articles 570 et 571 du code civil, relatives à l'accession mobilière et plus particulièrement, à la spécification, c'est à dire, la fabrication d'une chose nouvelle à partir de deux autres choses, appartenant à des propriétaires différents ;

Qu'en vertu de ces textes, si une chose a été faite par "une personne quelconque" avec une matière appartenant à une autre et que sa "main d'oeuvre" surpasse de beaucoup la valeur de la matière employée, cette personne est réputée propriétaire de la chose nouvelle ;

Que, contrairement à ce que soutient la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, ces textes visant toutes les choses mobilières ont vocation à régir, aussi, les oeuvres d'art ; que la dualité de droits -corporels et incorporels- reconnue par le code de la propriété intellectuelle renvoie le juge - en l'absence de disposition de ce code applicable- aux dispositions communes du code civil, pour déterminer le droit de propriété corporel sur ces oeuvres ; que, pour justifier son propre droit corporel, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE n'hésite d'ailleurs pas, elle-même, à invoquer les dispositions de ce même code sur la prescription mobilière ;

Or considérant qu'il n'est pas contestable que le support matériel des photographies réalisées par M. G. est d'une valeur bien supérieure à celle des frais de pellicule, de développement et de tirage exposés par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE puisque la pellicule vierge, à l'origine, devient par l'intervention d'un photographe renommé comme M. G., le support d'une oeuvre, elle-même, créatrice de droits intellectuels ;

Considérant qu'ainsi, c'est à bon droit que M. G. revendique la propriété matérielle des clichés litigieux ;

Considérant toutefois que la règle émise par l'article 572 précité ne constitue qu'une présomption , un "exemple", comme l'a rappelé le conseil de prud'hommes, de sorte que la cour doit encore vérifier si, dans les débats et pièces des parties, existent des éléments, susceptibles, ou non, de renverser cette présomption et d'établir que, par leur comportement, les parties n'ont pas exprimé de commune intention contraire à cette présomption ;

Et considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats et des propres conclusions de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE , ainsi que des attestations qu'elle produit (Mmes J. S. et M.G.), qu'en sa qualité d'entreprise -et non d'agence- de presse, c'était essentiellement la publication des clichés et non leur acquisition et leur conservation qui lui importait; qu' elle se défend, d'ailleurs, d'avoir une photothèque et d'avoir assumé pour ses photographes, un tel service ;

Qu'une fois le tirage choisi pour la publication - parmi ceux qui avaient été effectués à partir de l'ensemble des photographies de M. G. - les pellicules et photographies diverses prises par le photographe étaient souvent laissées en possession de ceux-ci ;

Que, de même, si Mme J. qui a longtemps supervisé le service des archives photos du magazine LUI affirme qu'elle faisait "la guerre" aux photographes pour qu'ils lui restituent, les négatifs et les tirages, conservés chez eux, force est de constater que la molle tolérance, ainsi manifestée auprès des intéressés, est peu compatible avec l'affirmation du droit de propriété que revendique la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ;

Que, d'ailleurs, Mme J., entendue dans le cadre de l'affaire pénale de contrefaçon opposant M. G. à la société 1633, indiquait aussi aux enquêteurs, le 26 juillet 2002, "Pour tout ce qui est paru nous sommes copropriétaires et pour le fonds non exploité, c'est une question de négociation, ce sont les usages de la presse" ;

Considérant qu'en définitive, il ressort des éléments ci-dessus que, selon la pratique suivie entre les parties, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE -qui n'avait pas pour activité de conserver les photographies de M. G.- ne manifestait en pratique aucun comportement laissant supposer qu'elle s'estimait propriétaire des clichés, alors que ceux-ci pouvaient demeurer en possession du photographe ;

Que l'absence d'organisation au sein de la société éditrice d'une procédure de récupération et de conservation systématiques des clichés litigieux, témoigne de ce que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et M. G. n'avaient pas entendu confier à celle-ci la propriété des droits corporels sur ces clichés ; que ces droits étaient donc attribués à M. G. ;

°

Considérant que la conclusion qui précède conduit à débouter la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de sa demande visant à lui voir reconnaître ce droit de propriété ; que le jugement dont appel ayant accueilli cette prétention sera donc infirmé sur ce point ;

Considérant qu'il résulte aussi de cette conclusion que M. G. ne peut sérieusement prétendre à l'existence d'un contrat de dépôt conclu avec la société, quant aux divers clichés réalisés par lui; qu'en effet, la pratique ci-dessus exclut que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE se soit vu confier par M. G. le soin de conserver ces clichés; qu'en droit, aucun écrit en ce sens n'a jamais été signé par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et il n'est justifié d'aucun élément démontrant que celle-ci ait donné son accord ;

Considérant qu'en revanche, en vertu de son droit de propriété corporelle M. G. s'avère bien fondé en sa demande de restitution des originaux de ses photographies que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, elle-même, a admis détenir dans l'inventaire qu'elle a fait dresser selon constat d'huissier du 8 juillet 2013 ;

Que la terminologie "d'originaux des photographies" n'est pas précisément définie par M. G. mais doit s'entendre des éléments à partir desquels la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a ou aurait pu -si elle ne l'a pas fait- effectuer des tirages des photographies de M. G. ;

Considérant qu'au regard du peu de coopération manifesté jusqu'à ce jour par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, l'astreinte requise sera ordonnée comme dit au dispositif ;

*

Considérant que la demande de restitution formée par M. G. étant accueillie, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes avait ordonné à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE la remise d'une liste de ses photographies ; que cette remise sera donc confirmée, étant précisé qu'elle est devenue sans objet puisque la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE a exécuté cette disposition du jugement ;

Considérant que la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Qu'en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure elle versera à M. G. la somme de 5000 €, en sus de celle allouée, à ce titre, en première instance ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris, à l'exception des dispositions relatives aux dates de la période contractuelle, à la remise par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE d'une liste des clichés de M. G. en sa possession pris, aux frais irrépétibles de M. G. et aux dépens ;

Statuant à nouveau, pour le surplus,

Dit que M. G. est propriétaire du support matériel des photographies qu'il a réalisées pendant l'exécution de son contrat de travail le liant à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ;

Ordonne, en conséquence, à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE -sous astreinte de 500 € par jour de retard, commençant à courir trois mois après la notification du présent arrêt- de restituer l'ensemble des originaux des photographies mentionnées dans l'inventaire dressé selon procès-verbal d'huissier du 8 juillet 2013 ;

Se réserve la compétence pour liquider le cas échéant l'astreinte ;

Déclare irrecevables ou mal fondées toutes autres demandes de M. G. ;

Déclare la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE mal fondée en ses demandes, l'en déboute ;

Condamne la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 5000 euros, au profit de M. G., en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure.