Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 août 2022, n° 19/06513

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Savas (SAS)

Défendeur :

GM Distribution (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

Avocats :

Me Lemee, Me Raffy, Me Werquin

T. com. Bordeaux, du 29 nov. 2019, n° 20…

29 novembre 2019

EXPOSE DU LITIGE :

La société Savas a pour activité le commerce de gros de vins et spiritueux. Elle a entretenu à partir de 2010 des relations contractuelles avec la société GM Distribution, qui commercialisait ses produits.

Par exploit d'huissier du 06 juillet 2018, après vaine mise en demeure, la société GM Distribution a assigné la société Savas devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de la voir condamner à lui communiquer les relevés de commissions pour le 1er trimestre 2016 et le 4ème trimestre 2015 et la foire aux vins Scachap, à lui régler le montant des commissions y afférent et la somme provisionnelle de 10 000 euros ainsi qu'une indemnité de rupture d'un montant de 21 373,32 euros et la somme de 10 000 euros en indemnité pour comportement déloyal.

Par jugement contradictoire du 29 novembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Débouté la société Savas de l'ensemble de ses demandes,

- Débouté la société GM Distribution de sa demande de relevés de commissions,

- Débouté la société GM Distribution de sa demande de commissions,

- Condamné la société Savas à verser à la société GM Distribution la somme de 18 894,94 euros,

- Dit n'y avoir lieu à faire application de l'exécution provisoire,

- Condamné la société Savas à verser à la société GM Distribution la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Savas aux dépens.

La société Savas a relevé appel du jugement par déclaration du 11 décembre 2019 énonçant les chefs du jugement expressément critiqués, intimant la société GM Distribution.

Le 23 janvier 2020, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui n'en ont pas accepté le principe.

La société GM Distribution a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à voir enjoindre à la société Savas de communiquer l'ensemble des pièces dont elle entendait faire état dans l'instance (relevés comptables certifiés conformes permettant la détermination des commissions 4e trimestre 2015 et 1ertrimestre 2016 ainsi que ses relevés Fav Scachap pour la période 2010 à 2016 inclus) qui a été rejetée par ordonnance du 29 octobre 2020.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 12 mai 2022 par le RPVA auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Savas demande à la cour de :

- La juger bien fondée en son appel,

- Juger qu'elle et la société GM Distribution n'étaient pas liées par un contrat d'agent commercial et que de ce fait l'indemnité de rupture spécifique de l'article L. 134-11 du code de commerce n'est pas due,

- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société GM Distribution la somme de 18 894,94 euros, ainsi qu'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Statuant à nouveau sur ces deux points et en toute hypothèse,

- Débouter la société GM Distribution de toutes ses prétentions, fins et demandes,

- Condamner la société GM Distribution à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts, en raison des actes de concurrence déloyale auxquelles elle s'est livrée,

- Condamner la société GM Distribution à lui payer 5 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel à recouvrer par Me Lemee, avocat au barreau de Bordeaux.

La société Savas fait valoir que le statut d'agent commercial ne s'applique pas aux relations la liant à la société GM Distribution qui n'était qu'un simple intermédiaire ; que l'application du statut ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination donnée à la convention qu'il appartient au juge du fond d'apprécier si les conditions d'application du régime spécifique des agents commerciaux étaient réunies ; que la société GM Distribution échoue à rapporter cette preuve qui lui incombe ; qu'elle n'avait pas le pouvoir de négocier qui est pourtant un critère déterminant ; subsidiairement, que les demandes avant le 06 juillet 2013 sont prescrites ; que la période de calcul est incohérente ; reconventionnellement, que l'intimée a commis des actes de concurrence déloyale qui lui ont causé un lourd préjudice.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 08 avril 2020 par le RPVA auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société GM Distribution demande à la cour de :

- La dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes et l'y accueillant,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Savas à lui payer l'indemnité de rupture selon facture FA 160000430 de 21 733,32 euros,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'ayant débouté la société Savas de ses demandes,

- Confirmer le jugement entrepris ayant condamné la société Savas au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,

- Réformer le jugement et assortir la condamnation à paiement de la somme de 21 733,32 euros des intérêts moratoires depuis le 11 juillet 2016 outre anatocisme des intérêts à compter de la date du présent exploit introductif d'instance,

- Réformer le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau,

- Condamner la société Savas à lui payer, à défaut de production des relevés permettant le calcul des commissions dues pour les commissions 4e trimestre 2015 et 1er trimestre 2016 et des relevés Fav Scachap pour la période 2010 à 2016 inclus, la somme de 10 000 euros,

- Lui donner acte de ce qu'elle se réserve donc tous droits et actions contre M. [M] au titre de son courrier du 19 septembre 2016,

- Condamner la société Savas à lui payer une indemnité de 10 000 euros pour appel abusif, dénigrement injustifié et préjudice moral,

- Condamner la société Savas à lui payer la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en la présente instance et aux entiers dépens dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de la SCP Michel Puybaraud, Maître Michel Puybaraud, avocat au barreau de Bordeaux, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Débouter la société Savas de toutes demandes contraires et plus amples.

La société GM Distribution fait valoir que l'accord entre les parties était bien celui d'agent commercial ; que les contrats n'ont pas été signés, mais qu'ils ont été appliqués ; que la société Savas elle-même en reconnaît d'existence ; qu'elle a exécuté un contrat d'agent commercial qui a fait naître un droit à commission, lequel ne peut être quantifié qu'en fonction des relevés de commissions établi par le mandant ; que le comportement déloyal de la société Savas justifie l'octroi d'une indemnité liée à la rupture unilatérale du contrat et d'une indemnité complémentaire ; que l'action en concurrence déloyale est prescrite depuis le 04 octobre 2015.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 17 mai 2022 et l'audience fixée au 07 juin 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande principale :

La société GM Distribution, qui revendique la qualité d'agent commercial, demande :

- À défaut de communication des relevés permettant le calcul des commissions, une somme de 10 000 euros pour la période 2010 à 2016 inclus ;

- Une indemnité de rupture de 2 ans soit 21 373,32 euros ;

- 10 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif, dénigrement injustifié et préjudice moral.

Elle fonde ses demandes sur les dispositions des articles L. 134-1 à L. 134-17 du code de commerce qui régissent le statut d'agent commercial, et notamment sur celles :

- De l'article L. 134-6, qui dispose que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention (') ;

- Des articles L. 134-12 et L. 134-13, qui prévoient que sauf faute grave de l'une des parties ou cas de force majeure, en cas de cessation des relations, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

La société Savas soutient quant à elle que la société GM Distribution ne peut prétendre au statut d'agent commercial.

Le tribunal a considéré que la société GM Distribution était agent commercial au motif que la société Savas le reconnaissait elle-même dans son courrier du 25 septembre 2009, et qu'elle avait payé pendant plusieurs années les factures de commissions jusqu'en 2015.

L'article L. 134-1 alinéa 1er du code de commerce définit l'agent commercial comme un mandataire qui, à titre de profession indépendante, ('), est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats (') au nom et pour le compte de commerçants...

C'est à la partie qui revendique le statut d'agent commercial de prouver qu'elle disposait du pouvoir sinon de conclure les contrats, du moins de les négocier au nom et pour le compte de son mandant.

En l'espèce, aucun contrat écrit n'a été régularisé entre les parties. La société GM Distribution fait valoir que le contrat écrit a été discuté mais qu'ils ont finalement opté pour des modalités verbales et le recours aux usages de la profession ainsi qu'il ressort des échanges et courriels ; que les contrats, même s'ils n'ont pas été signés, ont été appliqués par la société Savas qui en reconnaît-elle même l'existence (pièce 9 de l'intimée).

C'est cependant à bon droit que l'appelante fait valoir que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée, de sorte que même si le terme d'agent commercial est évoqué dans les courriers et factures, la nature des relations entre les parties doit s'apprécier exclusivement au regard des conditions d'application du régime spécifique des agents commerciaux.

Il incombe en conséquence à la société GM Distribution de prouver qu'elle a exercé son activité dans les conditions requises par l'article L. 134-1.

Or les pièces produites aux débats ne permettent pas de rapporter cette preuve. C'est ainsi à bon droit que la société Savas relève :

- Que non seulement la société GM Distribution n'est pas immatriculée au registre spécial prévu à cet effet (article R. 134-6 du code de commerce), mais que son activité, selon son extrait Kbis, est celle d’« autres intermédiaires du commerce (...) » (pièce 1a de l'intimée) ;

- Que les "projets de contrats" produits (pièces 2 et 8 de l'intimée), qui ne sont ni signés ni de date certaine, s'intitulent "contrats de prestations de services" ;

- Qu'il ressort des mails et relevés comptables mentionnant "prestations de services" qu'elles ne se sont jamais mises d'accord sur les modalités d'un contrat d'agent commercial ;

- Que les pièces produites par l'intimée mentionnent des taux différents et variables selon les factures ;

- Que l'intimée ne justifie pas du pouvoir de négocier, qui constitue pourtant un critère déterminant ; qu'elle ne produit aucun listing de clients ni échange de mails ni rapports sur les contrats conclus ni reporting sur le démarchage.

L'appelante peut ainsi soutenir sans être contredite que c'est elle qui fixait les prix et les modalités de vente et signait tous les contrats, et que la société GM Distribution était un simple intermédiaire.

En conséquence l'intimée, qui ne rapporte pas la preuve contraire, ne peut revendiquer le statut d'agent commercial, de sorte qu'elle ne peut prétendre ni au versement de commissions, ni à celui d'une indemnité de rupture sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement qui a rejeté, bien que pour d'autres motifs, la demande au titre des commissions, et de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société Savas à payer à la société GM Distribution la somme de 18 894,94 euros au titre de l'indemnité compensatrice.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts :

La société Savas réitère devant la cour sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 150 000 euros en faisant valoir que par l'intermédiaire de M. [E], qu'elle a embauché en CDD à compter du 1er juin 2002 en qualité de cadre commercial chargé de la prospection d'une nouvelle clientèle et de la vente de ses produits puis dans le cadre d'un CDI en qualité de directeur commercial, et qui a démissionné le 08 juin 2010 pour devenir associé de la société GM Distribution, l'intimée s'est livrée entre 2008 et 2010 à des actes de concurrence déloyale consistant à tromper la clientèle sur le bénéficiaire des ventes, qui ont entraîné une baisse de 2,1 M de son chiffre d'affaires alors que dans le même temps celui de la société GM Distribution est passé de 2,2M en 2009 à 3,2 M en 2010. Elle produit au soutien de ses allégations deux documents de synthèse de son chiffre d'affaires et de celui de la société GM Distribution (ses pièces 3 et 4) et une attestation de M. [M] (ses pièces 5 et 7).

En réponse à la société GM Distribution qui oppose d'abord, au visa de l'article L. 110-4 du code de commerce, la prescription de cette demande, la société Savas soutient que la prescription n'est pas acquise, les actes s'étant renouvelés. Cependant le fait sur lequel elle fonde sa demande, à l'exclusion de tout autre, date de 2009. Et s'il est confirmé par l'attestation de M. [M], force est de constater qu'interrogé sur ce grief le 25 septembre 2009, M. [E] a répondu par un courrier du 03 octobre dont la société Savas a accusé réception dans un courrier du 21 octobre (pièces 9, 10 et 11 de l'intimée) qu'elle a conclu en émettant le désir de 'voir se rétablir le climat antérieur', ce qui s'apparente à un classement sans que l'appelante justifie d'incidents postérieurs, l'intimée étant par ailleurs fondée à soutenir qu'en tout état de cause, les quatre pièces produites par l'appelante sont insuffisantes à établir le démarchage et le détournement de clients comme le lien de causalité avec le préjudice allégué.

La demande reconventionnelle ayant été formée plus de cinq ans après les faits sur lesquels elle se fonde, elle sera déclarée irrecevable comme prescrite.

sur les autres demandes :

La société GM Distribution renouvelle devant la cour sa demande de dommages et intérêts pour un montant de 10 000 euros pour appel abusif, dénigrement injustifié et préjudice moral.

Le tribunal l'a déboutée de cette demande au motif qu'elle ne prouvait aucune faute ni préjudice. La société Savas étant accueillie en son appel, il convient de plus fort de confirmer le jugement et de rejeter la demande.

Sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Savas les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de l'appel. Le jugement qui l'a condamnée au paiement d'une indemnité à ce titre sera infirmé, et la société GM Distribution condamnée à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GM Distribution sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 29 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Bordeaux sauf en ce qu'il a débouté la société GM Distribution de ses demandes au titre des commissions,

Statuant à nouveau sur le surplus,

Déboute la société GM Distribution de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture,

Déclare irrecevable la demande reconventionnelle de la société Savas,

Condamne la société GM Distribution à payer à la société Savas la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société GM Distribution aux entiers dépens dont recouvrement direct, pour ceux d'appel, au profit de Me Lemee, avocat au barreau de Bordeaux, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.