CA Montpellier, 4e ch., 6 juillet 2022, n° 19/04961
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Coc Environnement (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
Mme Youl-Pailhes, M. Denjean
Avocats :
Me Laporte, Me Garrigue, Me Nicole, Me Pugliese, Me Cases
FAITS ET PROCÉDURE
Le 28 novembre 2003, la Sarl Coc Environnement, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de cuves en divers matériaux, et M. [X] [H], agent commercial multicartes, ont signé un contrat d'agent commercial commençant à courir à compter du 1er janvier 2004 pour une durée indéterminée et portant sur un secteur géographique.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 janvier 2014 adressé à M. [H], la société Coc Environnement a résilié le contrat d'agent commercial de ce dernier pour faute grave.
Par courriers recommandés avec accusé de réception en date des 13 mai, 20 juin et 17 juillet 2014, M. [H] a vainement mis en demeure la société Coc Environnement de lui payer les sommes dues au titre de la rupture du contrat d'agent commercial en l'absence de faute grave.
Par acte d'huissier en date du 18 novembre 2014, M. [H] a fait assigner la société Coc Environnement devant le Tribunal de grande instance de Béziers aux fins notamment de le voir condamner à lui payer une indemnité de rupture et de préavis ainsi que des dommages et intérêts à la suite de la rupture abusive de son contrat d'agent commercial.
Par jugement contradictoire en date du 27 juin 2019, le tribunal de grande instance de Béziers a :
Jugé que M. [H] a manqué à ses obligations contractuelles et a commis une faute grave entraînant la rupture de son contrat d'agent commercial par la société Coc Environnement.
Débouté M. [H] de l'intégralité de ses demandes. Débouté la société Coc Environnement de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Condamné M. [H] à verser à la Société Coc Environnement une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Condamné M. [H] aux dépens de l'instance.
Vu la déclaration d'appel par M. [H] en date du 15 juillet 2019.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Par dernières conclusions déposées via le RPVA le 1er avril 2020, M. [H] demande à la cour de :
Dire et juger M. [H] recevable en son appel à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Béziers le 27 juin 2019. L'en dire bien fondé. Réformer la décision entreprise.
Au visa des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, de :
Condamner la société Coc Environnement à payer à M. [H] : La somme de 86 640 euros à titre d'indemnité de fin de contrat. La somme de 11 670 euros à titre d'indemnité de préavis.
La somme de 10 000 euros à titre de préjudice moral.
Débouter la société Coc Environnement des demandes formulées dans le cadre de son appel incident.
Condamner la société Coc Environnement au paiement d'une indemnité de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, il expose :
Sur la notion de « produit concurrent », que l'article 9 du contrat sur l'obligation de non-concurrence vise l'engagement futur du mandataire au service d'entreprises vendant ou fabriquant des produits identiques ; et sur la notion de « catalogue », qu'aucun élément du dossier ne permet de penser que les parties auraient entendu se référer à une autre définition du mot que celle usuellement admise, de sorte qu'il ne peut lui être reproché en l'espèce un manquement à l'obligation de non-concurrence.
Subsidiairement, sur l'accord tacite de la société Coc Environnement, que la simple constatation d'une situation de concurrence n'est pas suffisante pour retenir la qualification de faute grave.
En réponse aux conclusions de la société Coc Environnement :
Sur le non-respect du principe du contradictoire, que si la société Coc Environnement reproche un défaut de communication de pièces au concluant, la cour n'est saisie d'aucune demande relative à ce grief. Sur la demande relative aux dommages et intérêts pour procédure abusive, que les demandes formulées sur ce point par la société Coc Environnement sont sans fondement.
Par conclusions déposées via le RPVA le 2 janvier 2020, la société Coc Environnement demande à la cour, au visa de l'article L 134-13 du code de commerce, de l'article 1134 code civil dans son ancienne rédaction, de :
Dire et juger l'appel diligenté par M. [H] infondé. Confirmer le jugement rendu le 27 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Béziers, en ce qu'il a :
Jugé que M. [H] a manqué à ses obligations contractuelles et a commis une faute grave entraînant la rupture de son contrat d'agent commercial par la société Coc Environnement. Débouté M. [H] de l'intégralité de ses demandes.
Condamné M. [H] à verser à la société Coc Environnement une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Condamné M. [H] aux dépens de l'instance.
D'infirmer le jugement rendu le 27 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Béziers, en ce qu'il a débouté la société Coc Environnement de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Statuant à nouveau, de condamner M. [H] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. En tout état de cause, de condamner M. [H] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laisser les dépens à son entière charge.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir :
A titre liminaire, sur le non-respect du principe du contradictoire, que l'appelant a refusé de communiquer des pièces en sa possession malgré injonction du juge de la mise en état, ce qui constitue une atteinte à la manifestation de la vérité puisque la société se trouve dans l'impossibilité de prouver la concurrence des produits litigieux, cette rétention déloyale des pièces étant même révélatrice des manquements de l'appelant à ses obligations de non concurrence.
A titre principal, sur l'attitude fautive de M. [H] dans l'exécution de son contrat, et tout d'abord sur le non-respect de la clause de non-concurrence, qu'il ne fait aucun doute que les sociétés avec lesquelles il est en relation contractuelle sont concurrentes de la société Coc Environnement ; ensuite, sur la déloyauté, que conformément à l'article L. 134-13 du code de commerce et au contrat d'agent commercial, réparation n'est pas due en cas de faute grave de l'agent commercial, et que le comportement déloyal constitue une faute grave excluant le droit à l'indemnité légalement prévue en cas de rupture du contrat et s'oppose au paiement de l'indemnité de préavis puisqu'elle permet au mandant de mettre immédiatement fin au contrat d'agent commercial, que la déloyauté est caractérisée en l'espèce par le fait que M. [H] était l'agent de plusieurs entreprises concurrentes entre elles, et qu'il a par ailleurs accepté la représentation d'une société concurrente sans accord préalable du mandant.
Sur l'appel incident, concernant la réparation du préjudice de la société Coc Environnement, que la procédure intentée par M. [H] est abusive et tend uniquement à lui nuire, que cette procédure a causé un préjudice financier et moral à la société en raison de sa longueur consécutive à l'absence de communication de pièces.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 15 mars 2022.
MOTIFS
Selon l'article 134-13 du code de commerce, l'indemnité compensatrice du préjudice subi n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent.
Seule la faute grave, c'est-à-dire celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, est privatrice de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale et il appartient au mandant de rapporter la preuve d'une telle faute.
Selon l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
L'objet du contrat signé le 28 novembre 2003 entre les parties, défini à l'article 3, est le suivant :
« Le mandant confie à l'agent en exclusivité les produits existants dans le catalogue ainsi que la gestion des clients actuels de COC ENVIRONNEMENT à la date de la signature du présent contrat. L'agent s'engage à accepter la représentation de futurs produits appelés à substituer des produits actuels devenus obsolètes ou en complément de gamme des produits existants déjà dans notre catalogue. »
Selon l'article 5 du contrat : « l'agent s'engage à ne pas accepter une représentation d'un groupe ou du département d'un groupe directement concurrent, sauf accord préalable du mandant. »
Par lettre recommandée du 20 janvier 2014, la société mandante a rompu le contrat d'agent commercial aux motifs suivants : « vous nous confirmez sur vos courriers mails en date du 8 et 13 janvier 2014 que vous commercialisez des produits concurrents aux nôtres, et ce depuis 2011 et que prétendez maintenir ces activités. Malgré nos différents courriers conciliateurs des mois de décembre et janvier vous maintenez votre position de rester dans le sillage de la société COC avec des produits concurrents.
Cette double activité explique certainement les non consécutions des objectifs de vente que vous nous remettez chaque année et qui sont repris sur le tableau ci-dessous. A signaler, la baisse alarmante du chiffre d'affaires de la gamme assainissement collectif, comme sur celle des séparateurs hydrocarbures en acier, et signaler que vous êtes le seul collaborateur qui a baissé son C/A en 2013. Je vous rappelle les conditions de non-concurrence signées sur votre contrat et vous informe.. »
M. [H] entend voir conférer à l'objet du contrat une interprétation restrictive limitée à la représentation des produits existants au catalogue, tels qu'ils figurent dans les supports papiers produits aux débats et conteste le sens qu'a retenu le premier juge pour qui les obligations du mandataire s'étendaient à l'ensemble des produits commercialisés par la société COC destinés au stockage de liquides. Il tire de l'article 9 du contrat une exigence d'identité entre les produits figurant au catalogue et les produits commercialisés par d'autres.
La cour ne peut le suivre dans cette interprétation restrictive puisque selon les dispositions de l'article 1161 ancien du code civil, « Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier. »
Ainsi, l'objet de la convention de représentation ne saurait se limiter aux seuls produits figurant au catalogue papier tels qu'envisagés par l'article 3 qui les définit au regard de l'exclusivité ou non, en faisant abstraction des stipulations de l'article 5 qui interdit l'exercice d'une représentation au profit d'un groupe directement concurrent, notion infiniment plus large que celle du produit.
L'article 9 du contrat définit une clause de non-concurrence une fois le contrat rompu et compte tenu de son objet limité, est nécessairement plus restrictif en envisageant une identité des produits.
Le premier juge a alors pu valablement considérer que M. [H] ne pouvait commercialiser au profit de sociétés concurrentes des produits destinés au stockage des liquides sans requérir une autorisation préalable de son mandant.
Il importe alors de définir si M. [H] a commercialisé des produits figurant au catalogue tel qu'ainsi interprété au profit des sociétés Montery, Agrex et Ser, que la société COC désigne comme directement concurrentes au sens de l'article 5 du contrat.
Au-delà d'une discussion inopérante en l'absence de tout moyen articulé quant à d'éventuelles dissimulations de pièces par M. [H] dont il est loisible de comprendre qu'il ne souhaitait pas s'incriminer au-delà de ce qu'il reconnaissait dans ses conclusions, il appartient à la seule société COC de rapporter cette preuve.
Elle articule ce débat autour de la reconnaissance par M. [H] de ce que la société COC vendait des cuves de stockage en acier qu'il commercialisait par ailleurs au profit d'autres sociétés. La cour trouve cependant dans l'extrait des écritures de M. [H] dont la société s'empare une réserve temporelle puisque ce n'est qu'à compter de 2012 que de telles cuves de stockage acier figurent au catalogue. C'est en mars 2012 que la société COC a la pleine révélation de la déloyauté dont elle accuse son agent lorsque la société Point P lui adresse par erreur une commande d'une réserve à incendie passée par M. [H] au profit de la société Montery dont il est alors révélé qu'elle commercialisait des cuves destinés au stockage de liquide, furent elles en acier plutôt qu'en polyester ou polyéthylène.
Il y a donc eu infraction de M. [H] à l'interdiction stipulée à l'article 5 du contrat puisqu'il n'a pas requis l'autorisation préalable de la société COC de représenter une société directement concurrente.
Toutefois, pour caractériser une faute grave dans l'exécution du mandat, laquelle rend impossible la continuation du contrat, encore faut-il que le mandant n'ait pas toléré le comportement de son mandataire pendant un trop long laps de temps. Il apparaît qu'en l'espèce des échanges ont eu lieu sur ce point en mars 2012 puis que les relations sont restées en l'état jusqu'en décembre 2013 avant que la société COC ne prenne l'initiative de la rupture en janvier 2014.
La société COC savait dès mars 2012 à travers l'erreur d'aiguillage de la commande passée par la société Point P que M. [H] représentait la société Montery directement concurrente. Les parties ont discuté de cette situation et la société COC a accepté au moins tacitement que M. [H] continue à représenter la société concurrente, au moins pour une certaine gamme de cuves en acier qu'elle ne commercialisait pas elle- même. Ce n'est que 22 mois plus tard que la société COC prend l'initiative de la rupture dont la véritable cause se trouve dans le refus de M. [H] d'accepter la signature d'une déclaration sur l'honneur valant de jure signature d'un avenant au contrat.
Dans de telles circonstances, la gravité de la faute n'est pas caractérisée et le jugement sera réformé.
La société COC ne discute pas, fusse à titre subsidiaire, le montant de l'indemnité réclamée par M. [H] ni celui de l'indemnité de préavis. Il sera en conséquence fait droit à une demande d'indemnisation de la rupture à hauteur de deux années de commissions, soit 86 640€, outre 11 670€ au titre de l'indemnité de préavis.
M. [H] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice indemnisable en sus, les conditions de la rupture ne présentant pas de caractère vexatoire propre à générer le préjudice moral qu'il invoque.
La reconnaissance du bien fondé de l'appel de M. [H] exclut tout abus de procédure et toute indemnité subséquente.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société COC environnement supportera les dépens de première instance et d'appel. PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Condamne la société COC Environnement à payer à M. [X] [H] la somme de 86 640€ à titre d'indemnité de fin de contrat et celle de 11 670€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
Déboute les parties de toutes autres demandes,
Condamne la société COC Environnement à payer à M. [X] [H] la somme de 5 000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société COC Environnement aux dépens de première instance et d'appel.