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Décisions

CA Douai, 1ere ch. sect. 2, 15 mars 2011, n° 09/08290

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

M. (J-L) FOULON

Défendeur :

M. (J) DELFOSSE, M. (Y) HALLIEZ, M. (P) LETENEUR

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Gisèle GOSSELIN

Conseillers :

Fabienne BONNEMAISON, Dominique DUPERRIER

Avoués :

Maître QUIGNON, SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, SCP THERY-LAURENT

Avocats :

Maître Amélie CAPON, Maître Christophe DOUTRIAUX, Maître DAUTRICOURT

CA Douai n° 09/08290

14 mars 2011

Par jugement du 19 Mars 2009, le Tribunal de Grande Instance de VALENCIENNES a débouté Jean-Louis FOULON de toutes ses demandes à l'encontre de Jérémy DELFOSSE et Yannick HALLIEZ, a dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes subsidiaires de ces derniers, a débouté Jean-Louis FOULON de se demandes à l'encontre de Pascal LETENEUR et l'a condamné à verser à ce dernier une indemnité de procédure de 1500€.

Jean-Louis FOULON a relevé appel le 23 Novembre 2009 de ce jugement dont il sollicite la réformation suivant conclusions déposées le 26 Novembre 2010 tendant à voir dire que Jérémy DELFOSSE et Yannick HALLIEZ ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur en utilisant et exploitant sans autorisation et sans faire mention de sa qualité d'auteur les plans réalisés par lui, de dire que Mr LETENEUR a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur en utilisant dans les mêmes conditions et en s'appropriant sans autorisation ses plans, interdire sous astreinte aux intéressés de faire usage de ces plans et de condamner solidairement les consorts DELFOSSE-HALLIEZ et Mr LETENEUR à lui verser une indemnité de 90 000€ en réparation de ses préjudices ainsi qu'une indemnité de procédure de 10 000€.

Suivant conclusions déposées le 21 Septembre 2010, Jérémy DELFOSSE et Yannick HALLIEZ (ci-après désignés les consorts DELFOSSE-HALLIEZ) sollicitent la confirmation du jugement entrepris sinon concluent au caractère excessif des honoraires réclamés par Mr FOULON et au rejet de ses demandes indemnitaires, s'engagent à ne faire aucune utilisation nouvelle des plans litigieux et réclament à l'intéressé une indemnité de procédure de 2500€.

Au terme de conclusions déposées le 9 Novembre 2010, Mr LETENEUR demande la confirmation du jugement entrepris, conclut à l'irrecevabilité sinon au débouté des demandes de Mr FOULON, à sa mise hors de cause et réclame à ce dernier une indemnité de procédure de 3000€.

L'affaire a été communiquée le 9 Novembre 2010 à Mr le Procureur Général et l'ordonnance de clôture est intervenue le 29 Novembre 2010.

SUR CE

Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement que les consorts DELFOSSE-HALLIEZ ont confié à Mr FOULON, architecte exerçant en Belgique, l'élaboration du projet architectural de la maison d'habitation qu'ils envisageaient de construire à Flines Lez Mortagne; que rendus destinataires de l'ensemble des plans, coupes, estimatifs conçus par l'intéressé, ils n'ont toutefois pas contracté avec cet architecte mais ont fait édifier un immeuble selon les plans de Mr FOULON.

Saisi par ce dernier d'une action en contrefaçon de droits d'auteur fondée sur les articles L 111-1, 122-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, exercée tant à l'encontre des consorts DELFOSSE-HALLIEZ que de Mr LETENEUR, l'architecte finalement choisi par ces derniers pour constituer et déposer le dossier de permis de construire, le Tribunal a rendu le jugement dont appel qui l'a débouté de ses demandes considérant que l'architecte ne caractérisait pas l'originalité ou l'esthétique particulière de son projet de nature à justifier la protection revendiquée.

Sur les droits de Mr FOULON à la protection de son oeuvre:

Rappelant que des plans architecturaux ont vocation à bénéficier d'une protection au titre des droits d'auteur dès lors qu'ils révèlent une originalité reflétant l'empreinte de la personnalité et la créativité de leur auteur, Mr FOULON excipe en appel de l'originalité des diverses propositions soumises aux consorts DELFOSSE-HALLIEZ par rapport aux maisons traditionnelles du Nord notamment en raison des dimensions de la maison, de l'emboîtement des deux parties qui la composent, de la forme des toits se terminant en méplat, du choix des matériaux utilisés, de la dimension et de l'emplacement des ouvertures donnant à la maison un style contemporain et traduisant une recherche esthétique et la créativité de l'auteur.

Les consorts DELFOSSE-HALLIEZ objectent successivement que les conditions posées par les articles L 122-1 et 3 du Code de la Propriété Intellectuelle visés par Mr FOULON ne sont pas applicables au cas d'espèce en ce qu'ils ont fait édifier un immeuble unique, à leur usage personnel, et se sont abstenus de toute exécution répétée des plans de Mr FOULON, d'ailleurs partiellement modifiés par leurs soins, que Mr FOULON ne rapporte pas la preuve de l'originalité de l'immeuble conçu par lui, au demeurant fort proche des modèles qu'ils lui avaient fournis et dont il lui demandaient de s'inspirer.

Mr LETENEUR fait sienne cette argumentation sur l'absence d'originalité de l'oeuvre conçue par Mr FOULON, similaire aux modèles proposés par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ.

La Cour rappelle à la suite du premier juge que les plans et croquis relatifs à l'architecture constituent des oeuvres de l'esprit (article L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle), qu'ils peuvent donc bénéficier de la protection des droits d'auteur telle que définie aux articles L 111-1 et suivants du dit code pourvu qu'ils soient originaux, et que selon l'article L 122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, constitue une reproduction de l'oeuvre l'édification d'un immeuble à partir de plans émanant d'un architecte de sorte que l'usage, même unique, non autorisé de tels plans constitue une contrefaçon des droits d'auteur, l'alinéa 2 de l'article L 122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle évoqué par les intimés n'ayant pas pour objet de faire de la répétition de la reproduction une condition de la contrefaçon mais d'étendre la protection légale à l'exécution répétée de plans ou projets type. .

En l'espèce, il est constant que les consorts DELFOSSE-HALLIEZ ont fait construire leur pavillon selon les plans conçus à leur demande par Mr FOULON sans avoir obtenu son autorisation et alors même que l'intéressé, à défaut de contrat régularisé entre les parties, leur avait expressément rappelé ses droits d'auteur sur les plans litigieux (son courrier du 8 Septembre 2005).

Les intimés soutiennent que les plans de Mr FOULON ne peuvent néanmoins bénéficier de la protection légale précitée à défaut d'une quelconque originalité et en veulent pour preuve les ressemblances entre son projet architectural et les modèles de maison communiquées par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ (le catalogue de la société belge HUYZENTRUYT, constructeur de maisons individuelles, et une maison photographiée par eux en Belgique) dont ils lui demandaient de s'inspirer.

La Cour rappelle cependant qu'une certaine ressemblance avec des maisons existantes (d'ailleurs voulue en l'espèce par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ) ne prive pas pour autant le projet architectural de son originalité dès lors que ce dernier traduit un apport créatif personnel de l'architecte et des choix esthétiques spécifiques.

La Cour estime à cet égard que le projet choisi par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ parmi les variantes proposées par Mr FOULON présentait une réelle originalité par rapport aux modèles de maisons contemporaines présentés par le maître de l'ouvrage notamment par l'agencement et la forme du garage, reproduction miniaturisée de l'habitation proprement dite, pourvue d'un toit similaire, lui conférant du fait de son implantation devant la façade côté rue de l'habitation une fonction esthétique particulière, à la différence des autres modèles faisant du garage un appendice ajouté de la façon la plus discrète possible dans l'ensemble architectural, le plus souvent d'ailleurs sur le côté de la maison.

Cette fonction esthétique est accentuée par l'implantation de la porte de garage, non pas comme dans les autres modèles sur la façade avant, côté rue, mais sur un versant latéral de sorte que l'affectation utilitaire de ce bâtiment s'en trouve estompée et qu'est ainsi reproduite en la prolongeant la façade en briques claires, lumineuse, de l'habitation du fait de la présence d'un mur plein formant la façade avant du garage.

La Cour ajoute qu'est tout-à-fait originale l'implantation, à l'angle de l'immeuble, de l'entrée de l'habitation, systématiquement implantée au centre de celle-ci dans les modèles présentés, la superposition de cette porte d'entrée et des baies vitrées du premier étage traduisant une recherche esthétique particulière.

La Cour considère, par suite, qu'en dépit d'une ressemblance certaine avec les modèles de maisons contemporaines fréquemment édifiés en Belgique contrastant fortement avec les maisons traditionnelles du Nord de la France , le projet de Mr FOULON révèle une recherche esthétique spécifique et porte la marque de son empreinte personnelle.

Celui-ci est donc recevable et fondé à solliciter la protection de ses droits d'auteur et la réparation des préjudices que lui occasionne la reproduction non autorisée de ses plans, étant observé que de par la construction réalisée (qui ne porte aucune mention du nom de l'architecte qui l'a conçu), le projet architectural de Mr FOULON se trouve exposé à la vue du public et est susceptible, à ce titre, d'être reproduit par les tiers .

Le jugement sera donc réformé de ce chef.

Sur la responsabilité des consorts DELFOSSE-HALLIEZ et de Mr LETENEUR:

S'agissant des consorts DELFOSSE-HALLIEZ :

Ceux-ci ont édifié un immeuble qui est une reproduction servile du projet architectural de Mr FOULON (son confrère Mr LETENEUR chargé de la constitution du dossier de permis de construire en convient et les consorts DELFOSSE-HALLIEZ n'établissent pas les modifications prétendument apportées à ce projet) , sans avoir sollicité et obtenu son autorisation, ni d'ailleurs réglé les honoraires réclamés par celui-ci à hauteur de 10 744€ TTC dans un courrier du 8 Septembre 2005 qui ne manquait pas de leur rappeler ses droits d'auteur sur les plans litigieux.

Leur responsabilité est donc totale.

S'agissant de Mr LETENEUR:

Chargé seulement par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ d'établir le dossier le dossier de permis de construire sur la base des plans de Mr FOULON, Mr LETENEUR prétend s'exonérer de toute responsabilité dans la mesure où ses clients ne l'ont pas informé de l'intervention d'un confrère, où l'ensemble des documents prétendument établis par Mr FOULON, qui auraient pu émaner d'un bureau d'études ou de l'entreprise chargée de la construction, ne portaient aucun tampon, cartouche ou signature de l'intéressé ( ceci le conduisant à émettre des doutes sur la paternité de son confrère sur les plans litigieux) et où la législation française n'impose pas l'intervention d'un architecte pour un immeuble de cette dimension, de sorte qu'on ne peut lui reprocher une utilisation en connaissance de cause de plans contrefaits .

La Cour rappelle que Mr LETENEUR s'est vu remettre par les consorts DELFOSSE-HALLIEZ une étude complète du projet architectural, comprenant tous plans utiles et estimatifs, ce dont il convient d'ailleurs en précisant qu'il n'a eu qu'à vérifier la conformité du projet aux règles locales d'urbanisme.

Cet architecte, qui admet que les règles déontologiques de sa profession lui imposaient d'informer de son intervention tout confrère dont il aurait reçu ainsi les plans et de s'assurer de son accord sur leur utilisation, ne prétend ni ne justifie s'être enquis auprès de ses clients de l'origine de ce projet architectural dont le caractère complet l'avait pourtant convaincu de l'intervention d'un professionnel: entreprise spécialisée, bureau d'études etc, ainsi qu'il en convient lui- même.

En tant que professionnel, Mr LETENEUR connaît le droit absolu, opposable à tous, des droits d'auteur de sorte que l'absence de toute indication de l'identité de l'auteur des plans litigieux, loin de pouvoir être considérée par lui comme une cause d'exonération de responsabilité en cas d'éventuelle revendication d'un tiers, devait au contraire l'inciter à une particulière vigilance et le conduire à exiger, avant toute intervention, des éclaircissements de ses clients.

En apposant son cachet professionnel sur l'ensemble des plans litigieux, sans poser aucune question sur leur provenance, et en constituant ainsi le dossier de permis de construire qui allait permettre aux consorts DELFOSSE-HALLIEZ de mener à terme leur projet contrefaisant, Mr LETENEUR a commis une négligence grave qui engage sa responsabilité envers son confrère et justifie sa condamnation à réparation in solidum avec les consorts DELFOSSE-HALLIEZ.

Sur les préjudices subis:

Mr FOULON fait à juste titre observer qu'il subit à la fois un préjudice patrimonial et un préjudice moral:

- un préjudice patrimonial en ce que les consorts DELFOSSE-HALLIEZ se sont appropriés les plans litigieux sans rémunérer l'architecte de son travail d'élaboration du projet architectural dont le coût annoncé par Mr FOULON avant tout litige oscillait, selon leurs dires, entre 8000 et 11 000€ (selon qu'ils acceptaient ou non une absence de facturation).

La Cour exclut par contre le préjudice lié à la perte d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète en l'absence d'éléments accréditant l'idée que les consorts DELFOSSE-HALLIEZ se proposaient de missionner Mr FOULON à cette fin ( Mr LETENEUR ne sera d'ailleurs chargé que du dossier de permis de construire et il n'est pas justifié de l'intervention d'un autre architecte lors de la construction)

Ce préjudice patrimonial sera donc fixé à 10 000€, étant observé que les consorts DELFOSSE-HALLIEZ qui se réfèrent aux usages français selon lesquels la rémunération des architectes au stade du projet n'excède pas 3% du prix HT de la construction, se gardent bien de fournir des éléments sur le coût de leur immeuble.

-un préjudice moral que la Cour estime devoir chiffrer à 8000€ au vu des circonstances de l'espèce.

Sur les demandes accessoires:

Il sera fait, en tant que de besoin, interdiction aux consorts DELFOSSE-HALLIEZ et à Mr LETENEUR de faire une quelconque utilisation nouvelle des plans de Mr FOULON sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mr FOULON exclusivement et suivant modalités prévues au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau:

Déclare Mr FOULON recevable et fondé en son action en contrefaçon de droits d'auteur exercée à l'encontre des consorts DELFOSSE-HALLIEZ et de Mr LETENEUR.

Condamne in solidum les consorts DELFOSSE-HALLIEZ et Mr LETENEUR à verser à Mr FOULON:

-une somme de 10 000€ en réparation de son préjudice patrimonial

-une somme de 8000€ en réparation de son préjudice moral

-une indemnité de procédure de 3000€

-le coût des constats de Maîtres DARRAS et RUSSO des 5 Mai et 6 Octobre 2006

Fait interdiction aux consorts DELFOSSE-HALLIEZ et Mr LETENEUR de faire utilisation des plans de Mr FOULON.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne in solidum les consorts DELFOSSE-HALLIEZ et Mr LETENEUR aux dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement au profit de Maître QUIGNON conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.