CA Rennes, 3e ch. com., 7 juin 2022, n° 21/07675
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Pôle de Recouvrement Spécialisé d'Ille-et-Vilaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet
Avocats :
Me Berthelot, Me Luet
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 13 octobre 2021, le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé d'Ille-et-Vilaine (le comptable du PRS), titulaire d'une créance d'un montant de 143.546,85 euros à l'encontre de M. [E], a assigné ce dernier devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 15 novembre 2021, le tribunal a notamment :
- Ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [E],
- Désigné M. [B] en qualité de juge commissaire,
- Désigné M. [K] en qualité de mandataire judiciaire,
- Fixé au 15 mai 2022 la fin de la période d'observation,
- Fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 15 mai 2020, compte tenu des dettes fiscales,
- Ordonné la publicité prévue par la loi et l'emploi des dépens en frais de redressement judiciaire.
M. [E] a interjeté appel, enregistré sous le numéro 21/07675, le 8 décembre 2021. Il a régularisé un second appel le 13 décembre 2021, enregistré sous le numéro 21/07762.
Le 21 décembre 2021, M. [E] a demandé la jonction des deux instances.
Dans l'affaire n° 21/07675, les dernières conclusions de M. [E] sont en date du 23 mars 2022. Les dernières conclusions du PRS sont en date du 22 février 2022.
Dans l'affaire n° 21/07762, les dernières conclusions de M. [E] sont en date du 1er février 2022. L'avis du ministère public est en date du 10 mars 2022. Le PRS et M. [K] es qualités n'ont pas constitué avocat.
Dans chaque affaire, l'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
Dans l'affaire n° 21/07675 :
M. [E] demande à la cour de :
- Ordonner la jonction entre les deux instances formalisées par les deux déclarations d'appel contre le jugement :
- Première déclaration d'appel n°21/07234 déposée au greffe le 8 décembre 2021,
- Déclaration d'appel n°21/07304 déposée au greffe le 13 décembre 2021,
- Inifirmer le jugement en ce qu'il a :
- Ouvert à l'encontre de l'appelant une procédure de redressement judiciaire,
- Désigné un juge commissaire,
- Désigné M. [K] en qualité de mandataire judiciaire,
- Fixé au 15 mai 2022 la fin de la période d'observation,
- Fixé provisoirement au 15 mai 2020 la date de cessation des paiements,
- Ordonné la publicité prévue par la loi et l'emploi des dépens en frais de redressement judiciaire,
- Débouter le comptable du PRS de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner le comptable du PRS aux dépens de première instance et d'appel.
Le PRS demande à la cour de :
- Confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
Y additant :
- Condamner M. [E] à régler au comptable du PRS la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [E] aux dépens d'appel.
Dans l'affaire n° 21/07762 :
M. [E] demande à la cour de :
- Ordonner la jonction entre les deux instances formalisées par les deux déclarations d'appel contre le jugement :
- Première déclaration d'appel n°21/07234 déposée au greffe le 8 décembre 2021,
- Déclaration d'appel n°21/07304 déposée au greffe le 13 décembre 2021,
- Inifirmer le jugement en ce qu'il a :
- Ouvert à l'encontre de l'appelant une procédure de redressement judiciaire,
- Désigné un juge commissaire,
- Désigné M. [K] en qualité de mandataire judiciaire,
- Fixé au 15 mai 2022 la fin de la période d'observation,
- Fixé provisoirement au 15 mai 2020 la date de cessation des paiements,
- Ordonné la publicité prévue par la loi et l'emploi des dépens en frais de redressement judiciaire,
- Débouter le comptable du PRS de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner le comptable du PRS aux dépens de première instance et d'appel.
Le ministère public est d'avis de confirmer le jugement.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la jonction d'instances :
La déclaration d'appel déposée le 13 décembre 2021 (21/07762) avait pour objet de régulariser l'appel interjeté le 8 décembre 2021 (21/07675).
Ces deux instances ont strictement le même objet. Il existe donc entre elles un lien tel qu'il est de bonne justice d'en ordonner la jonction, par application de l'article 367 du code de procédure civile.
Les deux instances seront réunies sous le seul numéro 21/07762.
Sur le redressement judiciaire :
À titre liminaire, M. [E] expose que, n'ayant pas été atteint par l'assignation du PRS, il n'a pas pu comparaître en première instance et faire valoir ses arguments. Il apparaît cependant que l'huissier de justice chargé de délivrer l'assignation a dressé un procès-verbal de recherches infructueuses. Ce procès-verbal relate avec précision les diligences accomplies par l'huissier : déplacement sur place ainsi qu'à l'adresse personnelle de M. [E], prise de contact avec les services du terrain des gens du voyage, recherches sur internet et l'annuaire électronique. Les diligences relatées sont suffisantes. L'acte de délivrance de l'assignation était régulier.
En tout état de cause, M. [E] n'attache aucune conséquence à l'éventuelle irrégularité affectant les modalités de remise de l'assignation puisqu'il ne formule, au dispositif de ses conclusions, aucune demande à ce titre.
La procédure de redressement judiciaire est ouverte à tout débiteur commerçant ou artisan en cessation des paiements ; la cessation des paiements se caractérise par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible :
Article L631-1 du code de commerce :
Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30.
Il résulte de l'article L. 631-5 du code de commerce que la procédure de redressement judiciaire peut être ouverte à la demande d'un créancier, par voie d'assignation, quelle que soit la nature de sa créance.
En application des articles L. 631-1 et L. 631-8 du code de commerce, la date de cessation des paiements peut être reportée, sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement.
Pour apprécier l'état de cessation des paiement il convient d'analyser la capacité du débiteur à faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
C'est au créancier qui demande l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire qu'il revient de prouver la cessation des paiements du débiteur.
En principe, une dette faisant l'objet d'un recours doit être considérée comme incertaine et ne peut être incluse dans le passif exigible du débiteur.
Cependant, les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues par le livre des procédures fiscales. Il ne relève donc pas de la compétence du juge saisi de la demande d'ouverture d'une procédure collective formée contre un redevable de se prononcer sur l'existence ou le montant des créances fiscales à inclure dans le passif exigible afin d'apprécier la cessation des paiements de ce redevable.
Le passif exigible :
M. [E] conteste le montant de son passif, et notamment le montant de la créance du PRS. Il estime qu'une large partie de cette créance résulte de l'influence néfaste et des agissements délictueux de son père, condamné pénalement. Il ajoute qu'il n'a commencé son activité qu'en 2018.
De tels arguments ne sauraient aboutir.
Il résulte des termes d'un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes du 29 septembre 2021 que M. [E] a lui-même été déclaré coupable de travail dissimulé et de blanchiment des délits d'escroquerie, de travail dissimulé et d'abus de faiblesse et qu'à l'occasion de l'audience du 9 juin 2021, M. [E] a reconnu avoir exercé, entre le 1er janvier 2014 et le 17 octobre 2017, de manière intentionnelle et dans un but lucratif, une activité de vente de tapis et de travaux d'entretien sans déclarer à l'administration fiscale les sommes perçues à cette occasion.
M. [E] est donc malvenu à affirmer qu'il n'a commencé son activité qu'en 2018 et que les sommes dues à l'administration fiscale résulteraient d'infractions commises par son père.
Surtout, il appartenait à M. [E] de contester, dans les conditions prévues par le livre des procédures fiscales, le principe ou le montant de la créance déclarée par le comptable du PRS.
M. [E] a formé une contestation le 5 janvier 2022 auprès de la Direction générale des finances publiques de Rennes. Cette contestation a été rejetée le 31 janvier 2022.
Le 23 mars 2022, M. [E] a formulé une demande de réexamen aux termes de laquelle il a développé les mêmes arguments. Il n'est pas établi que le PRS soit revenu sur sa décision ou qu'un recours ait été initié devant le juge de l'impôt.
Le 30 septembre 2019, M. [E] a signé une reconnaissance de dette, admettant être redevable des sommes suivantes :
- 89.869 euros au titre de la TVA pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2016,
- 55.447,85 euros au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2014 à 2016.
Cette reconnaissance de dette prévoyait en outre que M. [E] s'engageait à verser la somme de 150 euros par mois dans l'attente du dépôt de sa réclamation auprès des services fiscaux. À ce jour, le comptable du PRS affirme que M. [E] a réglé la somme de 1.650 euros, ce que ce dernier ne conteste pas.
Pour sa part, le comptable du PRS produit :
- Des mises en demeure de déclarer adressées à M. [E] le 5 avril 2018,
- Une proposition de rectification des sommes dues au titre de la TVA et de l'impôt sur le revenu en date du 11 juin 2018 suite au contrôle fiscal,
- Un avis de mise en recouvrement en date du 31 août 2018 concernant la créance de TVA,
- Une mise en demeure de payer en date du 21 septembre 2018 concernant la créance de TVA,
- Un rappel de TVA après vérification des recettes professionnelles de M. [E] et de sa compagne en date du 6 novembre 2018,
- Un avis de situation fiscale établi le 26 juin 2021, mentionnant le numéro de rôle de la créance du PRS au titre de l'impôt sur le revenu.
Le comptable du PRS justifie des numéros de rôle et d'AMR de ses créances. Il est ainsi justifié des titres exécutoires fondant sa créance. Celle-ci sera ajoutée au passif de M. [E].
En tenant compte de la créance déclarée à la procédure collective par l'URSSAF de Bretagne, le passif de M. [E] doit être arrêté à la somme de 162.958,85 euros (143.546,85 + 19.412 euros).
L'actif disponible :
Le comptable du PRS produit :
- Un avis à tiers détenteur concernant la créance de TVA, adressé à la société AXA Banque et à la société Financière des paiements électroniques le 7 novembre 2018, retourné au Trésor Public le 23 novembre 2018 sans qu'aucune somme ait pu être versée, le compte de M. [E] présentant un solde débiteur,
- Un avis à tiers détenteur concernant la créance de TVA, adressé à la société AXA Banque le 21 mars 2019, retourné au Trésor Public le 6 avril 2019 sans qu'aucune somme ait pu être versée, le compte de M. [E] présentant un solde débiteur.
Il résulte de ces documents que, depuis le 23 novembre 2018 au moins, M. [E] ne dispose d'aucun actif bancaire.
Le rapport du mandataire judiciaire du 13 janvier 2022 indique que M. [E] a affirmé ne détenir que quelques matériels nécessaires à son activité. Il précise en outre que M. [E] serait propriétaire d'une parcelle de terrain sise à [Localité 7]. La valeur de cette parcelle n'est pas précisée. Il est cependant peu probable, compte tenu du montant des créances du PRS et de l'URSSAF, que le terrain à lui seul permette à M. [E] de faire face au passif. En tout état de cause, ces éléments ne constituent pas un actif disponible.
Au vu de ces éléments, il apparaît que l'actif de M. [E] ne lui permet manifestement pas de faire face à son passif exigible avec son passif disponible.
M. [E] produit :
- Un relevé de situation de l'URSSAF du 15 décembre 2021, faisant état d'un chiffres d'affaires d'un montant de 11.345 euros en 2018, 35.385 euros en 2019, 37.475 euros en 2020 et 0 euro en 2021,
- Un tableau récapitulatif élaboré le 30 novembre 2021, faisant état d'une somme de 66.890 euros de recettes et d'un résultat net avant imposition de 29.714 euros,
- Un déclaration trimestrielle de chiffre d'affaire réalisée auprès de l'URSSAF, faisant état d'un chiffre d'affaires d'un montant global, pour l'année 2021, de 66.890 euros (21.825 + 12.265 + 19.300 + 13.500 euros),
- Un relevé de compte bancaire n°49385891502 ouvert auprès de la société AXA Banque, présentant, au 31 mars 2021, un solde créditeur de la somme de 763,60 euros.
De tels éléments ne permettent pas de contredire l'état de cessation des paiements caractérisé supra.
M. [E] ne produit pas davantage d'éléments permettant d'augmenter la valeur de son actif disponible au jour où la cour statue.
Il apparaît donc, en l'état des éléments dont dispose la cour, que l'actif de M. [E] ne lui permet manifestement pas de faire face à son passif, ce, au moins depuis le 23 novembre 2018. La cessation des paiements est caractérisée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de M. [E].
La date de cessation des paiements ne pouvant être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements de M. [E] au 15 mai 2020.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de rejeter la demande formée par le comptable du PRS au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de dire que les dépens d'appel seront pris en frais privilégiés de procédure.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- Joint la procédure n°21/07675 à la procédure n°21/07762,
- Confirme le jugement,
Y ajoutant :
- Rejette les autres demandes des parties,
- Dit que les dépens d'appel seront pris en frais privilégiés de la procédure collective.