Cass. com., 13 janvier 2021, n° 18-21.860
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Ponsot
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Alain Bénabent
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 juin 2018), M. V..., gérant majoritaire, et sa compagne, Mme K..., ont consenti le 21 juillet 2014 une promesse de cession de l'intégralité des parts de la société Mécanique de précision de Méreau (la société) à M. H... pour le prix de 8 000 euros, montant nominal du capital social.
2. La promesse de cession comportait notamment une condition portant sur l'acquisition, par la société, du fonds artisanal de mécanique de précision de M. V..., que la société exploitait dans le cadre d'une location-gérance, pour le prix de 242 000 euros, montant ultérieurement ramené à 212 000 euros.
3. Le 29 octobre 2014, l'assemblée générale de la société a décidé d'octroyer à M. V..., au titre de ses fonctions de dirigeant, une prime de 83 000 euros, puis, le 24 novembre, une autre prime au titre d'un rappel de salaire, d'un montant de 3 049,94 euros.
4. Par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, les parties ont réitéré la promesse de cession, en précisant dans l'acte qu'aux termes de l'assemblée générale du 29 octobre 2014, il avait été accordé à M. V... une prime exceptionnelle de 83 000 euros.
5. Devenu dirigeant de la société, M. H... a refusé de verser les sommes allouées à M. V... par les assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014, estimant que l'octroi de ces primes constituait un acte anormal de gestion, mettant en péril les intérêts de la société.
6. M. V... a assigné la société en paiement d'une somme totale de 84 623,05 euros. M. H... est intervenu volontairement à l'instance et a demandé l'annulation des résolutions du 29 octobre 2014 et du 24 novembre 2014 comme procédant d'un abus de majorité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. M. V... fait grief à l'arrêt d'annuler les résolutions des 29 octobre et 24 novembre 2014 lui attribuant des primes exceptionnelles, et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que les juges sont tenus de répondre aux moyens qui les saisissent ; qu'en l'espèce, M. V... faisait valoir que l'abus de majorité suppose de constater que la délibération adoptée en assemblée générale l'a été contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité, et que cette seconde condition manquait nécessairement lorsque la résolution avait été adoptée à l'unanimité des associés ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que l'abus de majorité suppose de constater que la délibération adoptée en assemblée générale l'a été contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ; qu'en l'espèce, il était constant, ainsi que le faisait valoir M. V..., que les délibérations litigieuses avaient été adoptées à l'unanimité des associés, de sorte que l'associée minoritaire avait lui-même estimé que son intérêt n'était pas lésé par cette décision ; qu'en jugeant néanmoins que ces délibérations procédaient d'un abus de majorité, la cour d'appel a violé les articles 1832, 1833 et 1844-1 du code civil ;
3°/ que, subsidiairement, l'abus de majorité suppose de constater que la délibération adoptée en assemblée générale l'a été contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ; qu'en se bornant à relever en l'espèce que les délibérations litigieuses étaient contraire à l'intérêt social, sans constater qu'elles avaient été adoptées dans l'unique dessein de favoriser M. V... au détriment, non pas seulement de la société, mais également des autres associés, la cour d'appel a de toute façon privé sa décision de base légale au regard des articles 1832, 1833 et 1844-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir analysé les comptes de la société des exercices 2012 et 2013, l'arrêt retient que les délibérations litigieuses ont eu pour effet d'octroyer au dirigeant de la société, dans les quelques mois séparant l'engagement de cession des titres et sa réalisation, des primes exceptionnelles représentant treize fois le résultat annuel de la société, et en déduit, pour annuler ces décisions, que ces primes constituent des rémunérations abusives comme étant manifestement excessives et contraires à l'intérêt social. Il résulte de ces motifs que la cour d'appel n'a pas annulé les deux résolutions en se fondant sur l'existence d'un abus de majorité, et il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir caractérisé les conditions d'application d'un tel abus.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 235-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises :
11. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
12. Il résulte du second qu'une délibération de l'assemblée générale des associés d'une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu'en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l'intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d'un ou plusieurs autres associés.
13. Pour annuler les délibérations adoptées les 29 octobre et 24 novembre 2014, l'arrêt retient que les primes allouées à M. V... constituent des rémunérations abusives comme étant manifestement excessives et contraires à l'intérêt social.
14. En statuant ainsi, sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l'intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s'imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats, ni relever l'existence d'une fraude ou d'un abus de droit commis par un ou plusieurs associés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.