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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 24 août 2022, n° 20/03950

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

M. Mellet, Mme Deguette

Avocats :

Me André , Me Leprêtre

TJ Evreux, du 24 nov. 2020, n° 19/02262

24 novembre 2020

EXPOSÉ DES FAITS ET LA PROCÉDURE

Le 1er mars 2017, M. [O] [W] a fait l'acquisition auprès de M. [G] [M] d'une motocyclette Bmw, immatriculée [Immatriculation 8].

Le 12 mai 2018, M. [O] [W] a revendu cette motocyclette à M. [V] [S] au prix de 11 500 euros, le véhicule affichant un kilométrage de 8 530 kilomètres.

Au mois de septembre 2018, M. [V] [S] a découvert, par l'intermédiaire du garage Bmw, que le kilométrage réel du véhicule était plus élevé de 6 678 kilomètres par rapport au kilométrage affiché au compteur.

Le 9 octobre 2018, M. [V] [S] a vainement demandé à M. [O] [W] de prendre en charge les frais de remplacement du compteur et sa reprogrammation par la société Bmw.

Une expertise amiable a été réalisée par le cabinet Créativ' le 31 janvier 2019 en présence du vendeur mais les parties n'ont pu trouver un accord à la suite de cette expertise.

Par acte d'huissier du 20 juin 2019, M. [V] [S] a assigné M. [O] [W] devant le tribunal judiciaire d'Evreux afin d'obtenir la résolution de la vente pour vice caché et la condamnation de ce dernier à réparer les préjudices subis.

Par acte d'huissier du 18 novembre 2019, M. [O] [W] a assigné M. [G] [M], son propre vendeur du véhicule, afin d'obtenir sa condamnation à le relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Par jugement contradictoire du 24 novembre 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- Débouté M. [V] [S] de ses demandes,

- Dit que l'appel en garantie de M. [O] [W] à l'encontre de M. [G] [M] était sans objet,

- Débouté les parties de leurs demandes formulées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [V] [S] aux dépens,

- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration reçu au greffe le 4 décembre 2020, M. [V] [S] a interjeté appel de la décision.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Moyens

Par dernières conclusions notifiées le 16 mars 2022 et signifiées à la partie non constituée le 23 mars 2022, M. [V] [S] demande l'infirmation de la décision entreprise et sollicite que la cour d'appel, au visa du décret n° 78-993 du 4 octobre 1978 pris pour l'application de la loi du 1er août sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services et en ce qui concerne les véhicules automobiles et des articles 16 du code de procédure civile, 1604, 1610, 1611 et 1641 du code civil, statuant à nouveau :

- À titre principal, juge recevable et bien-fondé son action en garantie des vices cachés,

- Ordonne la résolution de la vente du véhicule de marque Bmw, immatriculé [Immatriculation 8], intervenue le 12 mai 2018,

- Condamne M. [O] [W] à lui restituer la somme de 11 500 euros correspondant au prix de vente du véhicule et à titre subsidiaire, condamne ce dernier à lui payer la somme de 11 500 euros à titre de dommages et intérêts,

- Condamne M. [O] [W] à lui payer la somme de 1 106 euros au titre des frais d'assurance du véhicule litigieux,

- Condamne M. [O] [W] à lui payer la somme de 214,76 euros au titre des frais de carte grise,

- Condamne M. [O] [W] à prendre en charge les frais de restitution du véhicule,

- À titre subsidiaire, ordonne la résolution de la vente du véhicule de marque Bmw, immatriculé [Immatriculation 8], intervenue le 12 mai 2018, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme,

- Condamne M. [O] [W] à lui restituer la somme de 11 500 euros correspondant au prix de vente du véhicule,

- Condamne M. [O] [W] à lui payer la somme de 1 106 euros au titre des frais d'assurance du véhicule,

- Condamne M. [O] [W] à lui payer la somme de 214,76 euros en remboursement des frais de carte grise,

- Condamne M. [O] [W] à prendre en charge les frais de restitution du véhicule,

- Condamne ce dernier à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Il soutient essentiellement que le tribunal ne pouvait, sans rouvrir les débats, statuer sur l'antériorité du défaut par rapport à la vente ; que M. [G] [M], pour vendre la motocyclette, a forcément dû lui adjoindre un nouveau moteur puisqu'il n'avait acquis que le cadre ; qu'il s'agit d'un moteur volé ; qu'il n'aurait pas acquis le véhicule litigieux s'il avait connu le vice, alors que la motocyclette est interdite à la circulation et a ainsi perdu toute valeur marchande ; qu'il est établi qu'à la date de l'acquisition, le kilométrage indiqué sur le compteur, le certificat d'immatriculation ainsi que la déclaration de cession, était erroné et ne correspondait pas au kilométrage du véhicule lorsqu'il a été vendu ; qu'il s'agit subsidiairement d'un défaut de délivrance conforme.

Par dernières conclusions notifiées le 7 mars 2022 et signifiées le 15 mars 2022 à la partie non constituée, M. [O] [W] demande à la cour d'appel, au visa des articles 1103, 1603 et 1641 du code civil, de :

- À titre principal, confirmer le jugement dont appel,

- À titre subsidiaire, réduire les demandes de M. [V] [S] et condamner M. [G] [M] à le relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre lui,

- Condamner M. [V] [S] et M. [G] [M] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

- Aucun des défauts de la motocyclette invoqués par M. [V] [S] ne constitue un vice caché,

- Il n'est pas démontré que le défaut affectant le kilométrage serait antérieur à la vente,

- Il n'est pas démontré que la substitution du moteur est antérieure à la vente de la motocyclette par M. [O] [W] et par conséquent le vice caché n'est pas établi,

- M. [V] [S] n'apporte pas la preuve que le moteur substitué est d'origine délictueuse,

- La différence de kilométrage de 7 000 km, dont on ne sait pas quand elle est intervenue, ne constitue pas un défaut de conformité.

M. [G] [M] n'a pas constitué avocat. Celui n'ayant pas été cité à personne, il sera statué par défaut.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mars 2022.

Motivation

MOTIFS

Sur la demande en résolution de la vente et les demandes consécutives.

- Sur la garantie des vices cachés.

Après avoir rappelé les termes des dispositions des articles 1641 du code civil et 16 du code de procédure civile, le tribunal a considéré qu'à défaut de démonstration de l'antériorité du défaut de kilométrage invoqué par rapport à la vente, le défaut affectant le compteur ne constituait pas un vice caché ; que les pièces versées n'établissaient aucune impropriété à usage résultant du défaut tiré de l'existence d'un accident en 2016 ayant endommagé le véhicule ; que la présence d'un moteur non conforme aux données du constructeur n'était pas un vice caché en l'absence de preuve de l'existence du défaut avant la vente ; que le rapport d'expertise amiable ne pouvait suffire à établir l'existence du défaut tiré de l'origine délictueuse du moteur de substitution, aucune pièce objective en annexe du rapport ne venant corroborer les déclarations de l'expert sur ce point.

L'appelant reproche au premier juge de l'avoir débouté de sa demande en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés alors que la substitution du moteur d'origine par un moteur volé, antérieurement à la vente, constitue un vice caché rendant le véhicule impropre à son usage. Il invoque également devant la cour, comme en première instance, un accident de la circulation en 2016 ayant endommagé le véhicule mais sans en tirer les conséquences juridiques tenant à la garantie des vices cachés. Enfin, il allègue un défaut affectant le kilométrage affiché au compteur non pas sur le fondement de la garantie des vices cachés, comme en première instance, mais sur le fondement de la délivrance conforme.

Il incombe à l'acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères : un vice antérieur à la vente, rendant la chose impropre à sa destination et dont l'acheteur ne pouvait le déceler avant la vente.

Il est constant que M. [V] [S] a acquis le véhicule litigieux le 12 mai 2018 auprès de M. [O] [W] pour un prix de 11 500 euros, ce dernier ayant lui-même acquis le véhicule auprès de M. [G] [M] le 1er mars 2017.

L'appelant produit au soutien de ses prétentions le rapport d'expertise amiable établi par le cabinet Créativ' le 22 février 2019.

Aux termes de son rapport, l'expert indique que le numéro de série frappé sur le cadre du véhicule est conforme aux données figurant sur le certificat d'immatriculation. En revanche, il constate à la page 6 que le numéro figurant sur le moteur (29152072) provient d'un véhicule déclaré volé dont le numéro de série est WB10DO204FZ411615, immatriculé [Immatriculation 7].

Les conclusions du rapport d'expertise sont corroborées par l'annexe n° 6 du rapport et le certificat de situation administrative du véhicule immatriculé [Immatriculation 7] (pièce n° 11) dont il ressort que le moteur substitué correspond à un véhicule déclaré volé de marque Bmw S1000R.

L'appelant démontre donc que le moteur originel a été remplacé par le moteur d'un véhicule déclaré volé.

M. [V] [S] démontre en outre que la substitution est antérieure à la vente du 12 mai 2018.

Il résulte des attestations dressées par la société Mpr et M. [F] que M. [G] [M] avait acquis le cadre de la moto uniquement. Au vu de cet élément, et compte tenu de l'absence de dénégation de M. [G] [M], qui n'a pas constitué, la cour considère comme établi qu'il a installé le moteur litigieux antérieurement à la revente.

Toutefois, la substitution du moteur d'origine ne rend pas en elle-même le véhicule impropre à son usage, M. [S] ne se plaignant d'aucun dysfonctionnement mécanique sur le moteur substitué.

M. [S], qui soutient que le véhicule ne pourrait pas circuler, ne produit aucune pièce relative à la situation juridique ou administrative du véhicule vendu pour justifier de son retrait de la circulation.

Il allègue par ailleurs une impossibilité de revendre le véhicule litigieux, celui-ci n'étant pas conforme aux normes du constructeur. Ce moyen est cependant sans emport puisque le moteur substitué, bien qu'issu d'un véhicule déclaré volé, est issu d'une motocyclette de marque Bmw S1000R.

En toute hypothèse, l'usage ou la destination normale d'un véhicule d'occasion est de rouler sans risque pour la sécurité des personnes et, dès lors qu'il assure ce service à raison de l'absence de vice mécanique, les perspectives de revente n'entrent pas dans les prévisions de l'article 1641 du code civil.

L'appelant ne démontre donc pas que les conditions d'application de ce texte seraient réunies.

M. [V] [S] doit donc être débouté de sa demande en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le jugement n'appelle pas d'infirmation à cet égard.

- Sur l'obligation de délivrance conforme.

M. [V] [S] invoque, à titre subsidiaire, l'existence d'un défaut de délivrance conforme portant sur le kilométrage du véhicule.

Il se fonde sur le rapport d'expertise amiable pour soutenir que le kilométrage affiché par le compteur (10 280 kilomètres) au jour de l'expertise, le 31 janvier 2019, ne correspondait pas au kilométrage réel du véhicule (17 158 kilomètres), cet écart étant antérieur à la vente du 12 mai 2018.

Il soutient par ailleurs que le véhicule acquis auprès de M. [O] [W] avait déjà roulé avant sa mise en circulation, le 9 juillet 2015, s'agissant d'un véhicule de démonstration, qui a ensuite été vendu par Bmw.

Il ajoute que la motocyclette a fait l'objet de réparations, le 8 juillet 2015, avant d'être mise en circulation, le véhicule affichant à cette date 8 778 kilomètres au compteur, ce qui démontre que le kilométrage indiqué dans la déclaration de cession (8 530 kilomètres) ne correspondait pas au kilométrage réel du véhicule.

En application de l'article 1603 du code civil, le vendeur est tenu de délivrer à l'acheteur la chose convenue.

Lorsque la chose livrée présente un défaut de conformité, l'acquéreur peut demander la résolution de la vente, en application de l'article 1610 du code civil, et s'il résulte un préjudice du défaut de délivrance conforme, le vendeur doit être condamné à le réparer selon l'article 1611 du même code.

En l'espèce, le véhicule litigieux affichait un kilométrage au compteur de 8 530 kilomètres lors de la vente du 12 mai 2018, ainsi qu'il est mentionné sur la déclaration de cession dressée le jour même.

Il est en outre précisé, sous la rubrique relative au kilométrage, que le kilométrage total parcouru s'il s'agit d'un véhicule acquis neuf par le vendeur ou dont le kilométrage réel peut être justifié. Sinon, indiquer le kilométrage inscrit au compteur suivi de la mention "non garanti".

En l'espèce, les parties sont convenues, dans la déclaration de cession, de ne pas cocher la mention "non garanti". Le kilométrage renseigné est donc présumé correspondre au kilométrage réel du véhicule.

Aux termes de son rapport, l'expert constate que le kilométrage affiché au compteur (10 280 kilomètres), ne correspond pas au kilométrage enregistré dans les mémoires du calculateur (17 158), ce qui représente une différence de 6 878 kilomètres.

Cette inexactitude du compteur kilométrique est confirmée par la capture d'écran du certificat de révision du 29 septembre 2018, jointe au courrier de M. [V] [S] du 9 octobre 2018.

Il s'ensuit qu'en vendant un véhicule dont le kilométrage annoncé sur la déclaration de cession ne correspond pas à celui réellement parcouru, M. [O] [W] a effectivement manqué à son obligation de délivrer une chose conforme aux stipulations contractuelles.

Celui-ci est mal fondé à soutenir que la différence de 6 878 kilomètres serait insuffisante pour caractériser un défaut de délivrance conforme, dès lors qu'elle représente les 2/3 du kilométrage affiché, en considération duquel le prix a été convenu.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [V] [S] de ses demandes.

Il convient de prononcer la résolution de la vente, de condamner M. [O] [W] à restituer à l'acquéreur le prix de vente d'un montant de 11 500 euros et M. [V] [S] à restituer le véhicule.

M. [O] [W] sera également tenu d'indemniser M. [V] [S] des préjudices accessoires à la non-conformité, soit la somme de 214,76 euros correspondant au coût de la carte grise.

Il ne sera cependant pas fait droit à la demande de remboursement des primes d'assurances postérieures à la vente puisque M. [V] [S] ne justifie pas de leur paiement, celui-ci se contentant de produire un avis d'échéance de la société Amv Assurance pour la période du 12 mai 2019 au 11 mai 2020 pour un montant de 666 euros.

La dette de restitution est quérable et non portable, conformément au droit commun, et il n'y a donc pas lieu de condamner M. [O] [W] à payer des frais de restitution : le véhicule doit être mis à sa disposition.

Sur l'appel en garantie.

M. [O] [W], vendeur intermédiaire, sollicite d'être garanti par son propre vendeur, M. [G] [M], de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Il soutient que le défaut de kilométrage était existant lorsqu'il a acquis le véhicule auprès de M. [G] [M] le 1er mars 2017, ce défaut ayant pour origine les réparations consécutives à l'accident du 9 juin 2016.

M. [G] [M], non constitué, ne conteste pas ce point.

Toutefois, le vendeur intermédiaire ne peut pas se faire garantir par son propre vendeur de l'obligation de restitution du prix de vente au sous-acquéreur dès lors qu'il ne s'agit pas d'un préjudice indemnisable.

La garantie ne peut donc porter que sur les dommages et intérêts accordés au sous-acquéreur en complément de la résolution de la vente.

Il convient donc d'accorder recours et garantie à M. [O] [W] à l'encontre de M. [G] [M] pour les frais de carte grise qu'il a été condamné à payer à M. [V] [S] pour la somme de 214,76 euros, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les dispositions de première instance relatives aux dépens seront infirmées.

M. [G] [M] succombe à l'instance et sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable de condamner M. [O] [W] à payer à M. [V] [S] la somme de 3 000 euros, sous garantie de M. [G] [M], tandis que ce dernier sera condamné à payer à M. [O] [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt par défaut, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Infirme la décision querellée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Prononce la résolution de la vente conclue le 12 mai 2018 entre M. [V] [S] et M. [O] [W] portant sur la motocyclette Bmw S1000R, immatriculée [Immatriculation 8],

Condamne M. [O] [W] à payer à M. [V] [S] la somme de 11 500 euros au titre de la restitution du prix de vente,

Condamne M. [O] [W] à payer à M. [V] [S] la somme de 214,76 euros au titre des frais de carte grise,

Déboute M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts au titre des frais d'assurance du véhicule,

Déboute M. [V] [S] de sa demande de prise en charge des frais de restitution du véhicule,

Condamne M. [G] [M], son propre vendeur à garantir M. [O] [W], vendeur intermédiaire, pour les frais de carte grise qu'il a été condamné à payer à M. [V] [S] à hauteur de la somme de 214,76 euros,

Condamne M. [O] [W] à payer à M. [V] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [G] [M] à garantir M. [V] [S] de cette condamnation,

Condamne M. [G] [M] à payer à M. [O] [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [G] [M] aux dépens de première instance et d'appel.