CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 28 mars 2022, n° 21/001341
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Section Labuthie (Sté)
Défendeur :
La Marina (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desjardins
Conseillers :
Mme Cledat, Mme Defoy
Avocats :
Me Roth, Me Candelon-Berrueta
FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 24 septembre 2018, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 9 septembre 2019,le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a ordonné l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion santé, ci-après Agrexam, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 26 juillet 2018 et désigné Maître [H] [F], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur.
Par jugement du 30 avril 2019, le tribunal de grande instance a ordonné le report de la date de cessation des paiements au 4 juillet 2018, à la demande du liquidateur.
M. [L] [G], ancien cadre et créancier de l'Agrexam en vertu d'un arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 4 juillet 2018 ayant condamné son ancien employeur à lui payer la somme totale de 547.779 euros, a formé tierce opposition à l'encontre du jugement du 30 avril 2019 par assignation à jour fixe du 28 juin 2019.
Par jugement du 18 décembre 2020, exécutoire par provision, le tribunal l'a :
- déclaré recevable en sa tierce opposition,
- débouté de celle-ci,
- condamné à payer à Maître [F] ès qualités de liquidateur de l'Agrexam la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [G] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 1er février 2021, en limitant son appel aux chefs de jugement relatifs au rejet de ses demandes et à sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître [F] ès qualités a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 15 mars 2021.
Par réquisitions du 31 août 2021, le parquet général a requis la confirmation du jugement déféré.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2021 et les parties ont été autorisées à déposer leurs dossiers au greffe jusqu'au 24 janvier 2022, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 28 mars 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ M. [L] [G], appelant :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er mai 2021 par lesquelles l'appelant demande à la cour :
- de déclarer sa tierce opposition recevable sur le fondement de l'article 583 du code de procédure civile et de "l'arrêt de la cour de cassation du 14 juin 2017",
- de confirmer la recevabilité de sa tierce opposition,
- de juger que la date de cessation des paiements est définitivement fixée au 26 juillet 2018 et bénéficie de l'autorité de la chose jugée au regard de l'article 122 du code de procédure civile et de l'arrêt de la cour d'appel du 9 septembre 2019,
- de rétracter le jugement du 30 avril 2019 en ce qu'il a modifié la date de cessation des paiements et de maintenir la date de cessation des paiements au 26 juillet 2018,
- à titre subsidiaire, au visa de l'article 771 alinéa 4 du code de procédure civile :
- de juger que le prétendu redressement Urssaf de près de 300.000 euros concernant les années 2015 et 2016 était connu de l'association Agrexam et du tribunal à la date de prononcé du jugement de liquidation judiciaire,
- de rappeler que le redressement Urssaf a été annulé par le directeur de la CGSS de Guadeloupe par courrier du 18 juin 2018 pour les années 2015 et 2016,
- de juger qu'il n'existe aucune créance de la CGSS pour l'année 2017,
- de juger que la créance de 390.000 euros de M. [G] et les saisies-attribution afférentes étaient connues de l'association Agrexam et du tribunal à la date du prononcé du jugement de liquidation judiciaire,
- de déclarer en conséquence irrecevable la demande de Maître [F] ès qualités en l'absence de faits nouveaux,
- de rétracter le jugement du 30 avril 2019 en ce qu'il a modifié au 4 juillet 2018 la date de cessation des paiements fixée par le jugement du 24 septembre 2018 au 26 juillet 2018 et de maintenir la date de cessation des paiements au 26 juillet 2018,
- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour estimerait nécessaire de prendre en compte des faits nouveaux résultant de :
- la dotation Cnam à l'Agrexam de 1.800.000 notifiée le 18 février 2018 et volontairement masquée par le président de l'Agrexam,
- l'annulation du redressement Urssaf pour les créances sociales 2015 et 2016 par le directeur de la CGSS le 18 juin 2018 volontairement occultée par le directeur de l'Agrexam,
- l'absence de créances sociales pour l'année 2017 occultées par le président de l'Agrexam,
- le transfert de la somme de 200.000 euros du compte officiel BNP association Agrexam à un compte particulier [Z] [T] le 16 juillet 2018 volontairement masqué par le président de l'Agrexam,
- de juger dans ce cas que l'association Agrexam présentait un actif de 780.000 euros au moment du prononcé du jugement de liquidation judiciaire du 24 septembre 2018,
- d'infirmer la décision entreprise et de rétracter le jugement du 30 avril 2019 en ce qu'il a modifié au 4 juillet 2018 la date de cessation des paiements du jugement du 24 septembre 2018 fixée initialement au 26 juillet 2018,
- d'infirmer la décision entreprise et de reporter la date de cessation des paiements du 26 juillet 2018 à la date du jugement de liquidation judiciaire, soit le 24 septembre 2018,
- de débouter Maître [F] ès qualités de l'ensemble de ses moyens de défense, fins et conclusions,
- d'infirmer la décision entreprise et de condamner Maître [F] ès qualités de liquidateur à l'indemniser à hauteur de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Maître [F] ès qualités de liquidateur aux entiers dépens recouvrés par Maître Roth conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
2/ Maître [H] [F] ès qualités de liquidateur de l'association Agrexam, intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er juillet 2021 par lesquelles l'intimée demande à la cour :
- de lui donner acte qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour sur l'erreur d'identification du ministère public dans la déclaration d'appel de M. [G],
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
- de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [G] recevable et de le déclarer irrecevable comme n'exerçant pas un droit propre, distinct et autonome des droits de la masse des créanciers d'une part, et d'autre part comme n'apportant pas la preuve de ce que son action aurait une incidence sur le principe, le montant et la place de sa créance dans la masse des créanciers, sur le fondement des articles L.641-4 et L.620-20 du code de commerce,
- subsidiairement, de le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- ajoutant aux condamnations à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens du premier juge, de condamner M. [G] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la Selarl Candelon-Berrueta conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur l'erreur d'identification du ministère public dans la déclaration d'appel :
Aux termes de ses conclusions, Maître [F] relève que M. [G] a intimé dans sa déclaration d'appel M. Le Procureur de la République de Basse-Terre alors que le jugement a été rendu par le tribunal de Pointe-à-Pitre.
Elle précise néanmoins en page 5 de ses conclusions que cette faute lourde est sans incidence dans la mesure où le parquet général est amené à intervenir en cause d'appel.
Il convient d'ailleurs de relever que c'est bien le parquet général qui, en cause d'appel, a requis la confirmation du jugement déféré.
Dès lors, aucune conséquence ne saurait en l'état être tirée de cette erreur matérielle.
Sur la recevabilité de la tierce opposition :
Conformément aux dispositions des articles L. 641-1 et L. 631-8 du code de commerce, la date de cessation des paiements ne peut être reportée qu'à la demande du liquidateur ou du ministère public, le débiteur entendu ou appelé. Le mandataire judiciaire ayant seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers en vertu de l'article L.622-20, la demande d'un créancier relative au report de la date de cessation des paiements serait irrecevable, ainsi que le souligne Maître [F].
Néanmoins, il est parfaitement constant qu'un créancier informé d'un jugement de report de la date de cessation des paiements, qui est susceptible d'avoir une incidence sur ses droits en application des dispositions des articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de commerce, a un intérêt à former tierce-opposition à cette décision.
Maître [F] soutient aux termes de ses conclusions que la décision de report de la date de cessation des paiements n'est pas de nature à avoir une incidence sur les droits propres de M. [G] puisque sa créance née de l'arrêt rendu le 4 juillet 2018 n'est pas discutable et que seules les mesures d'exécution forcées mises en oeuvre en juillet et en août 2018 pour assurer le recouvrement de cette créance pourraient être remises en cause.
Cependant, l'article L. 632-2 dispose que peuvent être annulées les saisies-attributions pratiquées par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.
Or, en l'espèce, M. [G] a fait pratiquer des saisies-attributions le 26 juillet 2018, le 7 août 2018 et le 10 août 2018 en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 4 juillet 2018.
Si les saisies-attributions réalisées en août 2018 sont en tout état de cause susceptibles d'être annulées, que la date de cessation des paiements soit fixée au 26 juillet ou au 4 juillet 2018, la saisie-attribution pratiquée le 26 juillet 2018 est susceptible d'être remise en cause en cas de report de la date de cessation des paiements.
C'est d'ailleurs pour cette raison que Maître [F] a assigné M. [G] le 16 mai 2019 afin de voir annuler l'ensemble de ces mesures d'exécution forcée.
En conséquence, l'appelant disposait bien d'un injtérêt propre à former tierce-opposition au jugement de report de la date de cessation des paiements du 30 avril 2019 qui était susceptible d'avoir une incidence sur ses droits en application de L. 632-2 du code de commerce.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré sa tierce-opposition recevable.
Sur la recevabilité de la demande de report de la date de cessation des paiements:
M. [G] soutient que la demande présentée par le liquidateur judiciaire à ce titre est irrecevable, d'une part car elle aurait dû être présentée à la cour d'appel saisie de l'appel sur la décision d'ouverture en raison de l'effet dévolutif de l'appel, d'autre part car aucun fait nouveau ne justifie cette modification et enfin car la cour d'appel a confirmé la date de cessation des paiements fixée au 26 juillet 2018 en vertu d'un arrêt qui bénéficie de l'autorité de la chose jugée.
En ce qui concerne le premier moyen, il est parfaitement constant que Maître [F] a saisi le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre d'une demande de report de la date de cessation des paiements en faisant assigner le débiteur le 1er février 2019, alors que la procédure d'appel à l'encontre du jugement d'ouverture était toujours pendante devant la cour d'appel qui n'a rendu son arrêt que le 9 septembre 2019.
Cependant, le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire était exécutoire par provision. Dès lors, le premier président de la cour d'appel ayant rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire par arrêt du 7 novembre 2018, la procédure de liquidation judiciaire s'est poursuivie et le tribunal de grande instance était compétent pour statuer sur la demande de report de la date de cessation des paiements nonobstant l'appel en cours.
En ce qui concerne le second moyen, l'article L. 631-8 du code de commerce ne subordonne pas la recevabilité de la demande de report de la date de cessation des paiements à l'existence de faits nouveaux.
Dès lors, le liquidateur peut valablement solliciter le report sur la base d'une nouvelle analyse des éléments déjà connus et ce report pourra être ordonné si l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible était caractérisée à la nouvelle date proposée.
En dernier lieu, si l'arrêt de la cour d'appel du 9 novembre 2019 a confirmé le jugement d'ouverture du 24 septembre 2019 en toutes ses dispositions, il convient de relever que chacune de ces décisions précisait expressément que la date de cessation des paiements n'était fixée au 26 juillet 2018 que provisoirement.
En conséquence, l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt n'est pas non plus de nature à s'opposer à la recevabilité de la demande de report formée par Maître [F].
Sur le bien-fondé de la demande de report de la date de cessation des paiements:
Conformément aux dispositions de l'article L. 631-1 du code de commerce, l'état de cessation des paiements est défini comme l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
Pour débouter M. [G] de sa tierce-opposition, les premiers juges ont retenu que dès le 4 juillet 2018, date de l'arrêt exécutoire de la cour d'appel ayant condamné l'Agrexam à payer à l'appelant la somme de 547.779 euros, l'association se trouvait dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, au regard de cette seule dette.
Pour contester cette analyse, M. [G] soutient que l'actif de l'association s'élevait en réalité à 1.050.000 euros correspondant à la dotation CGSS qui n'avait pas encore été versée pour l'année 2018 et à la somme de 200.000 euros qui n'avait été transférée au profit de M. [T] que le 18 juillet 2018.
Cependant, il est parfaitement établi que la dotation de la CGSS n'était versée que mensuellement, sous réserve de la poursuite de l'activité de l'association. En conséquence, la somme de 1.050.000 euros restant à verser au titre de l'année 2018 ne constituait aucunement un actif disponible à la date du 4 juillet 2018.
Par ailleurs, même en retenant que la somme de 200.000 euros constituait encore un actif disponible au 4 juillet 2018, puisqu'elle n'a été transférée que le 18 juillet, M. [G] ne démontre pas que l'actif disponible permettait à l'association de faire face à un passif exigible de 547.779 euros à cette date.
Dans son arrêt du 9 septembre 2019, la cour d'appel avait d'ailleurs relevé à ce titre que l'actif disponible au 31 juillet 2018, déduction faite des 200.000 euros précités, ne s'élevait qu'à 92.297 euros, les dotations mensuelles de la CGSS de 150.000 euros ne permettant globalement que de couvrir les charges courantes, ce qui permet de retenir que l'actif disponible ne pouvait en aucun cas excéder les 300.000 euros au 4 juillet 2018.
Si M. [G] soutient aux termes de ses écritures que l'Agrexam aurait droit à un remboursement d'indu de 500.000 euros au titre de cotisations pour les années 2016 à 2018, la réalité de cette créance ne saurait se déduire de la seule pièce no13 qu'il vise et verse aux débats, qui est une mise en demeure adressée par ses soins à Maître [F] d'avoir à se désister de l'action relative au report de la date de cessation des paiements à défaut de quoi il engagerait une procédure pénale à son encontre. En tout état de cause, l'existence d'une créance à recouvrer ne constitue en rien un actif disponible.
Compte tenu de l'importance de la seule créance de M. [G], qui constituait un passif exigible dès le 4 juillet 2018 puisqu'un éventuel pourvoi en cassation n'aurait pas été suspensif d'exécution, il est indifférent que la CGSS ait partiellement annulé un redressement en juin 2018 ou que M. [G] ait accepté en septembre 2018 de cantonner ses saisies à la somme de 300.000 euros dès lors que l'état de cessation des paiements était caractérisé depuis le 4 juillet 2018.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa tierce-opposition.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [G], qui succombe à l'instance d'appel, sera condamné aux entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Candelon-Berrueta, qui en a fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il sera également condamné à payer à Maître [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de l'Agrexam la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et débouté de sa propre demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. [L] [G] recevable en sa tierce opposition,
Déboute M. [L] [G] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la demande de report de la date de cessation des paiements formée par Maître [F] ès qualités de liquidateur de l'association Agrexam,
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [L] [G] à payer à Maître [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de l'association Agrexam la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [L] [G] de sa propre demande à ce titre,
Condamne M. [L] [G] aux entiers dépens de l'instance d'appel,
Dit que les dépens pourront être recouvrés par la Selarl Candelon-Berrueta conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.