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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 22 février 2022, n° 20/02092

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fojac Holding (SARL), Kaufler Smo International (Sasu)

Défendeur :

Delicelight (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

Avocats :

Me Mercier, Me Herve

CA Rennes n° 20/02092

21 février 2022

FAITS ET PROCEDURE :

Le 30 novembre 2009, Z… a cédé à la société Triballat Noyal les 342 parts sociales qu'il détenait dans la société Delicelight.

La société Z… Holding (la socité Z…) détenait une créance en compte courant à l'égard de la société Delicelight pour un montant de 122.500 euros au 31 août 2009.

Le 30 novembre 2009, Y… a cédé ses parts sociales dans la société Delicelight à la société Triballat Noyal.

La société Fojac Holding (la société Fojac) détenait une créance en compte courant à l'égard de la société Delicelight pour un montant de 122.500 euros au 31 août 2009.

Le 30 novembre 2009, la société Emeraude Trading, absorbée par la société SMO International, a cédé à la société Triballat Noyal les 2.116 parts sociales qu'elle détenait dans la société Delicelight.

La société Kaufler SMO International (la société Kaufler) détenait une créance en compte courant à l'égard de la société Delicelight pour un montant de 168.460 euros au 31 août 2009 et une créance d'un montant de 17.000 euros.

Il était prévu par ces actes que les avances en compte courant devaient être remboursées par la société Delicelight ou ses ayants droits en trois versements de même montant au 31 décembre 2010, au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2012, « sous réserve que l'actif disponible soit, au jour de l 'exigibilité de l'échéance, supérieur au passif exigible ''.

L'échéance du 31 décembre 2011 n'ayant pas été honorée par la société Delicelight, les sociétés Z…, Fojac et Kaufler l'ont assignée en paiement.

Dans le cadre de cette première procédure, par arrêt du 2 décembre 2014 la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Vannes en date du 25 janvier 2013, qui avait fait droit aux demandes de paiement pour un total de 143.486,81 euros.

Cette décision a été cassée par arrêt du 31 janvier 2017 de la Cour de cassation (pourvoi nº15-14.734), l'affaire étant renvoyée devant la cour d'appel d'Angers.

Par arrêt du 23 janvier 2018, cette dernière a confirmé le jugement, substituant aux décisions de condamnation des décisions de fixation de créance du fait du placement en liquidation judiciaire de la société Delicelight survenue le 27 mai 2015.

Un pourvoi nº18-14.151 a été formé contre cette décision.

Par ailleurs, l'échéance du 31 décembre 2012 n'ayant pas non plus été payée, les sociétés Z…, Fojac et Kaufler ont assigné la société Delicelight en paiement.

A la suite du placement en liquidation judiciaire de la société Delicelight le 27 mai 2015, les sociétés Z…, Fojac et Kaufler ont déclaré leurs créances respectives et ont assigné en intervention forcée A… en sa qualité de liquidateur.

Par jugement du 15 avril 2016, le tribunal de commerce de Vannes a :

- Constaté qu'au 31 décembre 2012, le passif exigible de la société Delicelight était supérieur à l'actif disponible,

- Débouté en conséquence les sociétés Z…, Fojac et Kaufler, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Delicelight et de A…, ès qualités,

- Condamné les sociétés Z…, Fojac et Kaufler à payer à la liquidation judiciaire de la société Delicelight la somme de 1.000 euros, chacune, au titre des frais irrépétibles,

- Condamné solidairement les sociétés Z…, Fojac et Kaufler aux entiers dépens de l'instance,

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler ont interjeté appel le 3 juin 2016.

Par ordonnance du 25 avril 2019, prenant notamment en compte la procédure afférente à la première demande de paiement, le conseiller de la mise en état a :

- Déclaré irrecevables les conclusions de l'intimé du 24 juillet 2017 et du 2 août 2016,

- Ordonné le sursis à statuer sur le fond du litige jusqu'au prononcé par la Cour de cassation de son arrêt dans le pourvoi nº18-14.151,

- Ordonné la radiation du rôle de l'affaire et dit qu'elle sera réinscrite à la requête de la partie la plus diligente une fois rendu l'arrêt précité,

- Dit que les dépens de l'incident sont joints à ceux de l'arrêt qui sera rendu au fond,

- Rejeté les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 9 juillet 2019, la Cour de cassation a, par décision non spécialement motivée, rejeté le pourvoi nº18-14.151 formé contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers.

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler ont demandé la réinscription de l'affaire au rôle.

Les dernières conclusions des sociétés Z…, Fojac et Kaufler sont en date du 6 juillet 2020. L'avis du ministère public est en date du 10 décembre 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2021.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler demandent à la cour de :

- Infirmer dans son ensemble le jugement et statuant à nouveau :

A titre principal :

- Dire et juger que les comptes courants d'associés constituent un actif disponible de la société Delicelight,

En conséquence :

- Dire et juger qu'au 31 décembre 2012, l'actif disponible de la société Delicelight était supérieur à son passif exigible,

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que la clause litigieuse a été contractée sous une condition purement potestative,

En conséquence :

- Déclarer nulle la clause litigieuse,

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que la société Delicelight n'apporte aucun élément susceptible de justifier ses prétentions,

- Dire et juger que la société Delicelight ne démontre aucunement qu'à la date du 31 décembre 2012, son actif disponible ne lui permettait pas de faire face à son passif exigible,

- Dire et juger qu'à la date du 31 décembre 2012, l'actif disponible de la société Delicelight était bien supérieur à son passif exigible,

En tout état de cause :

- Dire et juger que l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Delicelight rend exigibles toutes ses dettes,

En conséquence et en toute hypothèse :

- Dire et juger que la société Delicelight est débitrice à l'égard de la société Kaufler de la somme de 61.820.15 euros, au titre de l'échéance devenue exigible au 31 décembre 2012,

- Fixer au passif de la société Delicelight la créance de la société Kaufler qui s'élève à la somme de 61.820.15 euros, outre les intérêts de retard à compter de la mise en demeure,

- Dire et juger que la société Delicelight est débitrice à l'égard de la société Fojac de la somme de 40.833.33 euros, au titre de l'échéance devenue exigible au 31 décembre 2012,

- Fixer au passif de la société Delicelight la créance de la société Fojac qui s'élève à 40.833.33 euros, outre les intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 2 janvier 2013,

- Dire et juger que la société Delicelight est débitrice à l'égard de la société Z… de la somme de 40.833.33 euros, au titre de l'échéance devenue exigible au 31 décembre 2012,

- Fixer au passif de la société Delicelight la créance de la société Z… Holding qui s'élève à 40.833.33 euros, outre les intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 2 janvier 2013,

- Dire et juger que le retard de paiement de la société Delicelight cause incontestablement un préjudice aux sociétés Z…, Fojac et Kaufler,

- Dire et juger que ces préjudices résident dans les intérêts de retard et les frais qu'elles ont dû engager pour pallier la défaillance de la société Delicelight,

- Fixer au passif de la société Delicelight la créance de la société Kaufler à hauteur de 6.981.84 euros, la créance de la société Fojac à hauteur de 11.278.84 euros et les créances de chacune des sociétés Z…, Fojac et Kaufler à hauteur de 12 .000 euros, au titre de l'indemnisation du préjudice que leur cause les retards de paiement de la société Delicelight,

- Condamner A…, ès qualités, à verser à chacune des sociétés Z…, Fojac et Kaufler la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Le condamner ès qualités aux entiers frais et dépens qui seront recouvrés conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile.

Le ministère public est d'avis de 'faire droit aux demandes formulées'.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur le remboursement des créances :

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler font valoir qu'à la date du 31 décembre 2012, la société Delicelight était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et était donc tenue de procéder aux remboursements des comptes courant.

Les soldes des comptes courant dont le remboursement n'a pas été demandé ne constituent pas des dettes exigibles. Ils n'en constituent pas pour autant un actif disponible.

La notion d'actif disponible correspond à la trésorerie d'une société, non à son actif tel que mentionné dans son bilan.

La société Delicelight a été placée en liquidation judiciaire le 27 mai 2015, la date de la cessation des paiements étant fixée au 5 février 2015.

La cessation des paiements correspond à la situation dans laquelle le débiteur ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible, c'est à dire à la condition prévue aux contrats permettant à la société Délicelight de ne pas procéder au paiement des soldes de compte courant.

La clause contractuelle comportait une obligation de remboursement, 'sous réserve que l'actif disponible soit, au jour de l'exigibilité de l'échéance, supérieur au passif exigible'.

C'est donc à la société Delicelight qu'il revenait, le cas échéant, de s'opposer au remboursement en justifiant qu'elle se trouvait dans la situation lui permettant d'y échapper. En décider autrement reviendrait par ailleurs à faire peser sur le créancier de l'obligation de paiement la charge d'une preuve impossible, seule la société Delicelight pouvant disposer des informations financières et d'état des créances exigibles nécessaires à l'appréciation d'une cessation des paiements.

La société Delicelight et A…, ès qualités, n'ont pas valablement conclu devant la cour. Ils sont réputés adopter les motifs du jugement.

Le tribunal a retenu que les parties étaient d'accord sur le montant de l'actif disponible au 31 décembre 2012, soit la somme de 321.171,50 euros. Le tribunal a retenu, au vu du bilan arrêté au 31

décembre 2012, un passif exigible de 233.065,71 euros auquel il a ajouté le montant de la condamnation prononcée par le tribunal de commerce de Vannes en date du 25 janvier 2013 pour la somme de 143.486,81 euros.

Le passif exigible correspond aux dettes certaines, liquide et exigibles. La dette afférente aux demandes de remboursements de compte courant du 31 décembre 2011 a été contestée dès l'origine par la société Delicelight. Les sociétés créancières l'ont assignée en paiement le 6 février 2012 et le tribunal a fait droit à leur demande par jugement du 25 janvier 2013.

Il apparaît ainsi qu'à la date du 31 décembre 2012, les créances correspondantes étaient contestées et non certaines. C'est à tort que le premier juge a ajouté ces créances au passif exigible.

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler ne contestent pas utilement pour le surplus les motifs par lesquels le tribunal a retenu un actif disponible de 321.171,50 euros et un passif exigible de 233.065,71 euros.

Il apparaît ainsi qu'à la date du 31 décembre 2012, le passif exigible était inférieur à l'actif disponible. Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler étaient donc en droit de demander les remboursements de leurs créances en compte courant. Il y aura lieu de fixer leurs créances respectives au passif aux montant demandés, outre intérêts au taux légal à compter des mises en demeure du 2 janvier 2013.

Le jugement sera infirmé.

Sur les demandes de dommages-intérêts :

Les sociétés Z…, Fojac et Kaufler demandent le paiement de dommages-intérêts au titre des frais qu'elles ont du engager pour pallier les défaillances dans le paiement des remboursements aux dates contractuellement prévues.

La société Kaufler se prévaut ainsi du paiement d'intérêts de créance Dailly. Elle produit un tableau établi sur papier libre et des avis d'opération de cession de créance portant sur une somme de 200.000 euros dès le mois de février 2012, soit avant l'exigibilité de fin décembre 2012. Elle ne justifie pas ainsi de lien direct entre le recours à ce mode de financement et le retard de remboursement de la créance de compte courant. Elle ne justifie pas que la vente d'un immeuble par l'une de ses filiales, personne morale dotée de son propre patrimoine, pour le prix de 586.000 euros, ait été en lien avec le défaut de paiement à l'échéance des remboursements de compte courant ni ait été en lien avec des remboursements anticipés de prêts pour des montants de près de 168.000 et 246.000 euros.

Elle ne justifie ainsi pas d'un préjudice résultant du retard dans le remboursement qui ne soit pas indemnisé par les intérêts de retard alloués supra.

De même, la société Fojac se prévaut d'un défaut de paiement de l'échéance d'un prêt en juin 2012, soit avant la date d'exigibilité du remboursement en cause dans la présente instance. Elle ne justifie par ailleurs pas d'un préjudice résultant du retard dans le remboursement qui ne soit pas indemnisé par les intérêts de retard alloués supra.

Enfin, la société Z… ne justifie pas non plus d'un préjudice résultant du retard dans le remboursement qui ne soit pas indemnisé par les intérêts de retard alloués supra.

Il y a lieu de rejeter les demandes de fixation au passif de dommages-intérêts.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner A…, ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Infirme le jugement,

Statuant de nouveau et y ajoutant :

- Fixe au passif de la société Delicelight la créance de la société Kaufler SMO International à la somme de 61.820.15 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2013,

- Fixe au passif de la société Delicelight la créance de la société Fojac Holding à la somme de 40.833.33 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2013,

- Fixe au passif de la société Delicelight la créance de la société Z… Holding à la somme de 40.833.33 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2013,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne A…, en sa qualité de liquidateur de la société Delicelight, aux dépens de première instance et d'appel.