CA Toulouse, 2e ch., 6 avril 2022, n° 21/02937
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ellipse (SAS)
Défendeur :
SCP LGA (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, M. Balista
La société Ellipse est une holding détenue par MM. V. et P., à hauteur de 37,5% chacun. Le complément de 25%, détenu par le groupe V. entreprises, et la part de M. V. ont été cédés à la société Jazz détenue par M. V..
La société Ellipse détient la totalité du capital des sociétés suivantes: la SAS Sphère, la SAS V2l Conception et la SA ICE Immobilier conseil environnement, la SARL Elite immobilier, la SAS Agences, la SARL Créatec, et la SAS Ellipse financement, les sociétés ICE et Sphère détenant indirectement la totalité du capital de 9 autres sociétés.
Par jugement du 23 juin 2015, le tribunal de commerce de Périgueux a ouvert une procédure de sauvegarde des sociétés V2I conception SAS, SNC Espace couture,SNC Actipole des Platières (détenues par ICE) et les sociétés Ponchonniere et Les colombieres détenues par la société Sphère.
La société V2I a bénéficié d'un plan de sauvegarde arrêté par jugement du 2 juin 2016, résolu par jugement du 4 octobre suivant ayant également prononcé la liquidation judiciaire de la société. Son dirigeant a demandé l'ouverture d'une procédure de liquidation envers la société Ellipse.
La société Ellipse a été mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Périgueux en date du 18 octobre 2016, la date de cessation des paiements étant fixée au 30 juin 2016 et la société P.-L.-D.B. désignée liquidateur.
Par jugement du 13 décembre 2016, ce tribunal a étendu la liquidation judiciaire aux sociétés Sphere et ICE.
A la requête du liquidateur, par ordonnance du 12 janvier 2017, le juge-commissaire a ordonné une expertise et désigné Monsieur M. afin, notamment de donner au tribunal les éléments lui permettant de fixer la date de cessation des paiements de sociétés Ellipse et V2I conception.
L'expert a dépose son rapport le 25 novembre 2017.
Le liquidateur a assigné la société Ellipse en report de la date de cessation des paiements au 30 avril 2015.
Par jugement contradictoire du 20 novembre 2018, le tribunal de commerce de Périgueux a :
- reporté au 30 avril 2015, la date de cessation des paiements de la société Ellipse,
- enjoint au greffier d'effectuer les publicités légales.
- dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de procédure collective.
Sur appel de la société Ellipse, par arrêt du 18 septembre 2019, la cour d'appel de Bordeaux a:
- confirmé le jugement du tribunal de commerce de Périgueux en date du 20 novembre 2018 en toutes ses dispositions,
y ajoutant
- dit que les dépens seront pris en frais de liquidation judiciaire.
Par arrêt du 18 septembre 2019, la cour d'appel de Bordeaux a:
- confirmé le jugement du tribunal de commerce de Périgueux en date du 20 novembre 2018 en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- dit que les dépens seraient pris en frais de liquidation judiciaire.
La société Ellipse a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt en date du 5 mai 2021, la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, les a renvoyées devant la cour d'appel de Toulouse et a condamné la société LGA, en qualité de liquidateur de la société Ellipse aux dépens.
Par déclaration en date du 29 juin 2021, la SAS Ellipse a saisi la cour d'appel de Toulouse.
Par conclusions notifiées le 16 juillet 2021, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Ellipse demande à la cour au visa des articles L.631-8 du Code de Commerce et 1353 du Code civil, de:
- Dire et juger son appel recevable et bien fondé, la recevoir en ses présentes conclusions et y faire droit,
- Constater que le liquidateur, ès qualités, ne justifie pas, qu'au 30 avril 2015, elle se trouvait dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible,
- Réformer le jugement rendu le 20 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Périgueux,
- En conséquence, fixer définitivement la date de cessation des paiements de la société Ellipse au 30 juin 2016,
- Débouter la Société LGA ès qualités de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- Dire et juger que les frais et dépens seront passés en frais privilégiés de procédure.
Par conclusions notifiées le 14 septembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la société LGA en sa qualité de liquidateur de la SAS Ellipse demande à la cour au visa des articles L. 631-1, L. 631- 8 et L. 641-1 du Code de Commerce de:
- Confirmer le jugement entrepris ayant reporté la date de cessation des paiements de la société Ellipse au 30 avril 2015.
- Ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.
Par avis transmis par le RPVA le 17 janvier 2022, le ministère public sollicite l'infirmation du jugement du 20 novembre 2018, estimant que la SCP LGA ne démontre pas que la société Ellipse était en cessation des paiements au 30 avril 2020.
MOTIFS :
Il appartient au liquidateur, demandeur à l'action, de rapporter la preuve que la société Ellipse était dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à la date du 30 avril 2015.
Pour ce faire, le liquidateur soutient sur la base du rapport d'expertise établi par M.Jacques M. qu'à cette date, le passif fournisseur s'élevait à 117.090 € auquel il convient d'ajouter la créance des organismes sociaux pour 10.869 €, soit 127.959 € alors que l'actif disponible s'élevait à 10.117 €;
La société Ellipse conteste tant le montant du passif fournisseur que sa dette à l'égard des organismes sociaux et soutient que pour apprécier le montant de l'actif disponible, il y a lieu de prendre en compte les créances détenues sur ses filiales et l'excédent de trésorerie dont ces dernières disposaient à cette date, susceptible de constituer pour elle une réserve de liquidités compte tenu d'une convention de trésorerie qui la liait aux sociétés du groupe.
- Sur le passif exigible :
Pour l'appréciation du passif exigible, il y a lieu de prendre en compte le passif échu et impayé, quand bien même son recouvrement n'est pas poursuivi par le créancier, à condition que ce dernier n'ait pas accordé au débiteur un moratoire pour le réglement de sa dette.
Pour établir le montant du passif exigible à la somme de 127.959 €, l'expert expose avoir écarté le découvert autorisé et les factures fournisseur non échues, qu'il avait retenues dans son pré-rapport.
La société Ellipse conteste néanmoins l'exigibilité de plusieurs des créances figurant à l'état des créances dont le liquidateur fait état pour calculer le montant du passif exigible.
- sur la créance Boulazac Basket Dordogne (BBD) :
Le liquidateur soutient que cette créance constatée par ordonnance portant injonction de payer en date du 6 octobre 2016, résulte de l'état des créances versé aux débats dans sa version du 14 février 2019 et a été reconnue par le débiteur qui a signé la liste des créances.
S'il n'y a pas lieu, comme le fait à tort la société Ellipse, de retenir que sa dette n'est devenue exigible qu'à la date à laquelle le créancier a obtenu un titre exécutoire, le liquidateur ne produit néanmoins aucune pièce de nature à établir que la créance déclarée dans le cadre de la procédure collective était d'ores et déjà exigible au 30 avril 2015.
- Sur la créance Diapason :
Le tribunal après avoir constaté qu'elle avait fait l'objet d'un avoir puis d'un abandon et qu'elle n'avait pas été déclarée, a estimé que ces événements étaient sans incidence sur son exigibilité à la date du 30 avril.
La société Ellipse produit néanmoins une attestation par laquelle Madame P.-P., en qualité de gérante de la société Diapason, atteste que les factures de son cabinet ont toutes fait l'objet d'un moratoire au début de l'année 2015, avant d'être abandonnées, ce dont il y a lieu de déduire que le 30 avril 2015, cette facture n'était pas exigible.
- sur la créance CMV :
La dette de 4.176 € contractée au profit de la société CMV faisait partie de la liste des créances remises par le débiteur lui-même. Le liquidateur justifie par la production d'une facture du 13 septembre 2013 de son exigibilité au 30 avril 2015. Formalisé le 29 avril 2019, soit 4 années plus tard, la renonciation de CMV à réclamer le bénéfice de sa créance déclarée au passif, est sans incidence sur l'appréciation de son exigibilité à la date à laquelle le liquidateur entend faire reporter l'état de cessation des paiements.
- sur la créance SCI Egalité :
La SCI, bailleresse de la société Ellipse a déclaré au passif une créance de 42.205, 71 correspondant aux loyers d'août 2014 à août 2016, avant que Monsieur V., gérant de la société Ellipse mais également de la SCI Egalité n'informe le liquidateur par courrier du 13 février 2017 de ce qu'il abandonnait cette créance. Aucun des éléments débattus ne permet d'affirmer que la société Ellipse bénéficiait au mois d'avril 2015 d'un moratoire pour le paiement de sa dette de loyer, ce qui ne peut être déduit de l'absence de poursuite à cette date et le tribunal a retenu à juste titre que pour l'appréciation du montant du passif exigible au 30 avril 2015, il n'y avait pas lieu de prendre en compte l'abandon intervenu postérieurement. A la lecture de l'extrait du grand livre de la SCI, sa créance sur Ellipse au titre des loyers impayés au mois d'avril 2015 s'établissait à la somme de 32.871, 77 €, qui doit être prise en compte dans l'appréciation du passif exigible.
- sur les autres créances invoquées en compte par le liquidateur :
L'exigibilité au 30 avril 2015 de la facture La Brégère déclarée au passif n'est pas démontrée par l'extrait du Grand Livre de cette dernière qui ne comporte pour le compte Client Ellipse aucune écriture antérieure au 1er octobre 2015.
Si la société Bureau Système 87 a déclaré une créance de 886, 49 €, seules deux factures à échéances du 8 avril 2015 pour un montant total de 207, 53 € étaient exigibles le 30 avril 2015.
Enfin, les créances Périscope, SCI Bevipai, ITLB et P. invoquées par le liquidateur, ne sont, selon les termes même des conclusions de ce dernier, devenues exigibles que postérieurement au 30 avril 2015.
L'expert a fixé à la somme de 10.689 € la créance des organismes sociaux au 30 avril 2015.
La société Ellipse justifie néanmoins par la production de son relevé bancaire Banque Populaire Centre Aquitaine d'un ordre de virement donné le 30 avril 2015 avec une date de valeur au 5 mai au profit de l'AG2R pour un montant de 9.577 € dont elle soutient, sans être contestée par le liquidateur, que n'ayant pas été pris en compte par l'expert, il doit être déduit du montant du passif dû aux organismes sociaux, lequel s'établit en conséquence à la somme 1.292 €.
Le montant du passif exigible à cette date doit donc être fixé à a somme de 32.871, 77€ + 4.176 € + 207, 53€ + 1.292 € soit 38.547,30 €.
- sur l'actif disponible :
L'actif disponible est composé des liquidités et valeurs immédiatement réalisables. Les créances clients ne constituent donc pas des actifs disponibles, sauf lorsqu'elles sont exigibles immédiatement ou à très court terme mais, dans le cadre d'un groupe de sociétés, les créances sur les sociétés du groupe constituent des actifs disponibles à la condition que les sociétés débitrices soient en mesure de régler leurs dettes intergroupe.
Enfin, il doit être tenu compte des liquidités dont la société peut disposer en application d'une convention de trésorerie conclue avec ses filiales, dès lors qu'il s'agit d'un actif immédiatement disponible.
L'expert a fixé l'actif disponible à la somme de 10.117 € sans prendre en compte la créance de la société Ellipse sur les sociétés du groupe pour 3.604.374 €.
Les parties admettent en premier lieu que pour ce faire, il n'a pas pris en considération le compte Banque Populaire Aquitaine de la société Ellipse dont le solde était au 30 avril 2015 créditeur de 897, 74 €.
La société Ellipse relève en second lieu qu'étant elle-même débitrice des sociétés du groupe au 30 avril 2015 pour 2.950.330 € ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert, le solde en sa faveur s'établissait à 654.044 € et soutient que la situation des sociétés débitrices leur permettait d'honorer leur dette.
Elle verse aux débats les relevés de compte Crédit Agricole Charente Périgord et Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique de la société V2I Conception, créditeurs au 30 avril 2015 de 151.234, 11,ainsi que les relevés de compte des sociétés Actipole de la Fonderie, Biocenose, Couture, les chauvets 73, les gilets 24, Ice et Actipole des Platières, ses filiales, créditeurs à la même date de la somme de 26.378, 31 €.
Elle établit ainsi d'une part que le solde largement créditeur des comptes bancaires de la société V2l lui permettait d'honorer sa dette à l'égard de sa société holding et d'autre part que les soldes créditeurs des filiales constituaient une trésorerie excédentaire dont la société Ellipse, société-mère avait vocation à bénéficier compte tenu de la convention de gestion centralisée de trésorerie du 30 septembre 2011, dont l'article 2.1 autorisait Ellipse, société centralisatrice, à recevoir, 'sous forme d'avances, de la part des société filiales présentant des excédents de trésorerie, les fonds correspondant aux dits excédents'.
C'est à tort que le liquidateur, sans contester qu'Ellipse était créancière de V2I et avait vocation à bénéficier des excédents de trésorerie en application de la convention susvisée, soutient que la société V2I ne pouvait, ni régler sa dette, ni fournir de quelconques liquidités compte tenu de son état de cessation des paiements à cette date.
En effet, la sauvegarde de V2I a été ouverte le 23 juin 2015, son plan de sauvegarde a été arrêté par jugement du 2 juin 2016 et la cessation des paiements fixée au 4 octobre 2016, date de la résolution du plan, n'a fait l'objet d'aucun report.
Si l'expert judiciaire, également chargé de donner des éléments permettant au tribunal de fixer la date de cessation des paiements de la société V2I, a estimé que dès le 30 septembre 2014, cette société était en état de cessation des paiements, son analyse, contestée par l'appelante au même titre que l'analyse de sa propre situation, et qui procède largement d'une appréciation comptable de la situation de la société dont le passif exigible n'est pas identifié précisément au sein du passif comptable, est largement contredite par les éléments versés au dossier et notamment les relevés de compte susvisés. L'examen du compte BPACA de la société Ellipse, qui n'a pas été exploité par l'expert, laisse en outre apparaître que les sociétés filiales ont réglé leurs redevances tout au long de l'année 2015 et que, notamment, la société V2I a réglé à ce titre à Ellipse 25.000 € le 4 mai, 25.000 € le 1er juin et 20.000 € le 3 août 2015.
Ainsi, au 30 avril 2015, la société Ellipse était en mesure d'obtenir de V2I, qui était en situation de faire face à cette demande sans délai, le remboursement partiel de sa dette, voire la mise à disposition des liquidités constituées par son excédent de trésorerie, qui constituaient pour la société holding un actif disponible lui permettant de faire face à son passif exigible limité à 38.547,30 €.
Dès lors, la démonstration de l'état de cessation des paiements de la société Ellipse au 30 avril 2015, n'est pas rapportée par le liquidateur.
Le jugement doit en conséquence être infirmé en ce qu'il a accueilli sa demande.
Partie perdante, le liquidateur supportera les dépens.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre du liquidateur ès qualités.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après en avoir délibéré, publiquement par mise à disposition au greffe,
Vu l'arrêt de la cour de cassation du 5 mai 2021,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau du chef infirmé ;
Déboute la société LGA en sa qualité de liquidateur de la SAS Ellipse de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne la société LGA en sa qualité de liquidateur de la SAS Ellipse aux dépens de première instance et d'appel.