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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 17 février 2022, n° 21/019821

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Selarl AJ Associés (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Caillard

Conseillers :

Mme Chenot, Mme Delons

Avocats :

Me Devauchelle, Me Carpentier-Peron

TJ Tours, du 6 juill. 2021

6 juillet 2021

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

M. [O] [K], entrepreneur individuel, exerce une activité viticole sous l'enseigne Domaine [K] Dorléans, couvrant 24,5 hectares de vignes situés à [Localité 5].

Il a constitué en 2001 avec son épouse le Groupement foncier agricole (GFA) de Montgouverne qu'il dirige et qui est propriétaire des biens du Domaine [K] Dorléans auquel il donne la jouissance des vignes, terrains et bâtiments à usage agricole.

Le 30 juin 2021, M. [K] a établi une déclaration de cessation des paiements auprès du tribunal judiciaire de Tours en exposant :

- que le Domaine [K] Dorléans a rencontré des difficultés principalement liées à une baisse continue de la production et des récoltes suites aux aléas climatiques récurrents (grêle, gel et sécheresse) qui se sont accentués en 2016, aux événements des « gilets jaunes » qui ont significativement impacté à la baisse les ventes aux particuliers, aux travaux d'entretien des vignes qui ont débuté en 2020 et à la crise sanitaire liée au COVID-19 durant laquelle tout ou partie des activités de commercialisation des vins a cessé de même que la tenue des portes ouvertes des mois de mai et décembre 2019,

- que M. [K] et le GFA de Montgouverne ont sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation afin d'être assistés dans la négociation à mener avec leurs partenaires financiers, ce qui a conduit à une ordonnance du 28 mai 2018 rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance de Tours désignant Maître [Z] [C] en qualité de conciliateur et à un protocole signé avec les partenaires bancaires le 12 juin 2018 constaté par le Président du tribunal de grande instance de Tours par ordonnance du 2 juillet 2018, par lequel ces banques ont consenti à M. [O] [K] et au GFA de Montgouverne une franchise en capital sur 18 mois des remboursements des concours bancaires leur ayant été consentis respectivement, avec allongement d'autant de la durée de ces concours,

- que ce protocole de conciliation a fait l'objet d'avenants dont le dernier conclu le 11 mai 2021, par lequel les partenaires bancaires ont accepté de proroger les effets du protocole de conciliation jusqu'au 30 juin 2021,

- que lors d'une réunion le 24 juin 2021, M. [K] a informé les banques qu'il ne serait pas en mesure de reprendre l'amortissement des concours bancaires ayant été consentis à la date convenue, soit le 30 juin 2021.

Le 30 juin 2021, le GFA de Montgouverne a également déclaré la cessation de ses paiements et sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

Par jugement du 6 juillet 2021, le Tribunal Judiciaire de Tours a principalement :

- ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [K],

- désigné :

* la Selarl AJAssociés prise en la personne de Maître [Z] [C], administrateur judiciaire avec mission d'assistance,

* la Selarl [Adresse 9] prise en la personne de Maître [W] [R], mandataire judiciaire.

- fixé provisoirement la date de cessation de ses paiements au 1er janvier 2020.

M. [K] a formé appel de la décision par déclaration du 9 juillet 2021 en intimant la SELARL [Adresse 9] en qualité de mandataire et la SELARL AJAssociés en qualité d'administrateur, et en critiquant le jugement uniquement en ce qu'il a fixé provisoirement au 1er janvier 2020 la date de cessation des paiements et a rejeté les demandes de l'appelante tendant à voir fixer au 30 juin 2021 la date de cessation des paiements.

Dans ses dernières conclusions du 8 octobre 2021, il demande à la cour, au visa des dispositions des articles L. 631-1 et L. 631-8 du Code de commerce ainsi que la jurisprudence invoquée par l'appelant, de :

. Recevoir M. [K] en son appel et le déclarer bien fondé ;

. Infirmer et réformer partiellement le jugement rendu le 6 juillet 2021 par le Tribunal Judiciaire de Tours en ce qu'il a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 et en ce qu'il a rejeté la demande de l'appelant tendant à voir fixer au 30 juin 2021 la date de cessation de ses paiements.

Statuant à nouveau

. Fixer la date de cessation des paiements du GFA de Montgouverne au 30 juin 2021 ;

. Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Tours le 6 juillet 2021 pour le surplus.

Il fait valoir que par principe, lorsque l'ouverture de la procédure intervient sur déclaration de cessation des paiements du débiteur, le tribunal fixe la date de cessation des paiements à la date de cette déclaration ou de celle figurant sur cette déclaration et en tout cas, ne peut la fixer à une date antérieure au jugement d'ouverture sans rapprocher l'actif disponible du passif exigible. Il soutient qu'il ne s'en est pas remis à justice sur la date de cessation des paiements puisqu'il proposait dans sa déclaration de cessation des paiements de la fixer au 30 juin 2021, et que le tribunal a fixé la cessation des paiements au 1er janvier 2020 sans confronter l'actif disponible et le passif exigible de M. [K], à cette date et sans motivation précise sur ce point puisqu'il indique que la date de cessation des paiements « apparaît effective » au 1er janvier 2020.

Il ajoute que l'avenant no 3 ayant reporté les effets du protocole de conciliation jusqu'au 30 juin 2021 constitue un moratoire tel que visé par les dispositions de l'article L. 631-1 du Code de commerce, et que c'est donc bien au 30 juin 2021 que la dette bancaire pesant sur lui est devenue exigible. Il précise que son passif comprend aussi les loyers dus au GFA de Montgouverne et les salaires de ses employeurs mais que ces loyers ont fait l'objet d'un gel expressément consenti au [Adresse 7] dans le cadre de la conciliation, et que les salaires ont été intégralement payés jusqu'au 30 juin 2021.

Il en déduit que la date de cessation des paiements doit être fixée au 30 juin 2021 par infirmation du jugement.

La SELARL [Adresse 9], ès qualités de mandataire de M. [K], à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte du 13 septembre 2021 délivré à personne morale et les conclusions de l'appelant par acte du 11 octobre 2021 délivré à personne morale, n'a pas constitué avocat.

Elle a indiqué par courrier du 20 octobre 2021 ne pas disposer d'une trésorerie suffisante pour assurer sa représentation, en précisant que le passif est constitué de dettes bancaires qui n'étaient pas exigibles avant que M. [K] ne puisse honorer ses engagements fin juin 2021 et qu'il ressort des déclarations de créances de nature fiscales et sociales qui n'ont pas encore été vérifiées que des retards de paiement existent depuis fin 2019 et début 2020, sans qu'il soit possible à ce stade de dire si ces créanciers ont accordé des délais de paiement. Elle ajoute s'en rapporter à la décision de la cour quant à la fixation de la date de cessation des paiements.

La SELARL AJAssociés, ès qualités d'administrateur de M. [K], à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte du 13 septembre 2021 délivré à personne morale et les conclusions de l'appelant par acte du 12 octobre 2021 délivré à personne morale, n'a pas constitué avocat.

Elle a indiqué par courrier du 5 novembre 2021 ne pas disposer de trésorerie suffisante pour assurer sa représentation et a joint le bilan économique et social établi dans ce dossier.

Par message du 25 novembre 2021, la cour a demandé à l'appelant s'il disposait déjà du bilan économique et social envoyé par l'administrateur judiciaire et lui a transmis la copie des courriers des 20 octobre et 5 novembre 2021 adressés par le mandataire judiciaire et l'administrateur judiciaire.

Par courrier du 29 novembre 2021, l'appelant a également transmis la copie du rapport économique et social.

La procédure a été transmise le 9 septembre 2021 au Ministère public qui par avis du 28 octobre 2021 communiqué en copie pour information au conseil de l'appelant le 2 novembre 2021 a requis l'infirmation partielle du jugement en ce qu'il a fait remonter la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 alors que le tribunal de disposait pas d'élément de rapprochement du passif exigible avec l'actif disponible à cette date précise, la date de cessation des paiements devant dès lors être fixée au 30 juin 2021, date d'ouverture de la procédure.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 4 novembre 2021.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 4 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'article L. 631-1 du Code de commerce prévoit :

« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que des réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part des créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en état de cessation des paiements.

La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30 ».

L'article L. 631-8 du Code de commerce précise :

« 1°) Le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d'ouverture de la procédure.

2°) Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l'article L. 611-8 ».

Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle fixe la date de cessation des paiements, de procéder à une comparaison du passif exigible et de l'actif disponible pour déterminer cette date.

Il ressort du bilan économique et social dressé par l'administrateur judiciaire que les difficultés de M. [K] sont dues à une baisse continue de la production et des récoltes résultant des évènements des "gilets jaunes" et de la crise sanitaire liée au Covid 19, et n'ont pu être résorbées en dépit d'une procédure de conciliation et l'établissement d'accords avec les banques pour reporter la date d'exigibilité des créances bancaires.

Il résulte aussi de ce bilan et des courriers du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire que le passif de M. [K] est en premier lieu constitué des emprunts qu'il a souscrit auprès de plusieurs banques, la Caisse d'épargne Loire Centre, le Crédit mutuel, la Société générale, la banque [Y] et la société HSBC afin de financer les investissements en plantations et matériels. Selon protocole d'accord conclu le 12 juin 2018 avec le GFA et M. [K], ces banques ont accepté de consentir à M. [K] une franchise en capital sur 18 mois des remboursements des concours bancaires avec allongement de leur durée

Ces mêmes parties ont ensuite prolongé les effets du protocole de conciliation par avenant signé le 12 juin 2020 jusqu'en mars 2021, puis par avenant no 3 conclu le 11 mai 2021 jusqu'au 30 juin 2021, ces deux avenants étant constatés par ordonnances du tribunal. A la suite d'une nouvelle réunion avec les banques partenaires, M. [K] les a informées qu'il ne pouvait reprendre l'amortissement des prêts au 30 juin 2021 et qu'il allait solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

En conséquence, les créances bancaires liées aux prêts ne sont devenues exigibles qu'à compter du 30 juin 2021 et non avant, compte tenu des effets du protocole de conciliation prorogés par avenant.

En second lieu, le passif de M. [K] comprend aussi les fermages dus au GFA de Montgouverne. Il ressort toutefois de l'avenant no 3 signé le 11 mai 2021 que certaines des banques signataires, notamment la banque [Y] (page 9 de l'avenant), ont soumis leur accord au maintien du gel du paiement des fermages au GFA de Montgouverne à compter du 1ère janvier 2019 et a minima jusqu'au 30 juin 2021, et que par attestation du 24 mars 2021 annexée à l'avenant no 3 susvisé (annexe 8), M. [K] a procédé au gel des fermages dus au GFA de Montgouverne avec une minoration des intérêts et assurance à compter du 1er janvier 2019, prolongé jusqu'au 30 juin 2021.

Ce gel des fermages faisant partie des modalités du protocole d'accord dont les effets ont été prorogés jusqu'au 30 juin 2021 par avenant du 11 mai 2021 auquel il a été conféré force exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Tours en date du 20 mai 2021, il s'en déduit que la dette de loyers à l'égard du GFA n'a été exigible qu'au 30 juin 2021.

L'état des créances déclarées, au sujet desquelles le mandataire judiciaire a précisé dans son courrier du 20 octobre 2021 qu'elle n'avait pas encore été vérifiées, n'est pas versé aux débats.

Il ressort de la demande d'ouverture de la procédure collective régularisée par M. [K] le 30 juin 2021, d'une part qu'il a déclaré un passif échu et exigible à hauteur de 65.574,22€ à l'égard de la MSA Berry Touraine, de 1471,20€ à l'égard du Trésor public (TVA) et de 273.986,78€ à l'égard des fournisseurs, d'autre part que l'état de la trésorerie s'élève à la somme de 197.205,18€.

Le passif exigible mentionné par le débiteur à hauteur de 341.032,20€ (hors créances bancaires et fermages) est donc supérieur à l'actif disponible mentionné à hauteur de 197.205,18€ mais aucune pièce, en l'état de la procédure soumise à la cour, ne permet de connaître la date à laquelle les dettes sociales fiscales et de fournisseurs sont devenues exigibles.

Il est seulement établi par l'état récapitulatif des inscriptions délivré le 12 juillet 2021 qu'à cette date, seule une opération de crédit-bail en matière mobilière faisait l'objet d'une inscription, et qu'en revanche, aucun privilège de sécurité sociale ou du trésor ou nantissement du fonds de commerce ou autre n'était inscrit.

En conséquence, le tribunal ne pouvait fixer à titre provisoire la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 alors que les pièces produites ne permettaient pas de connaître le montant du passif exigible à cette date, qui ne pouvait en tout hypothèse comprendre les dettes dues à l'égard des banques et du GFA de Montgouverne, ni celui de l'actif disponible et qu'il n'était donc pas possible de comparer ces deux montants.

Le jugement doit dès lors être infirmé sur ce chef et la date de cessation des paiements doit être fixée, à titre provisoire, au 30 juin 2021 date de la demande d'ouverture du redressement judiciaire.

Il n'y a pas lieu de confirmer le surplus du jugement puisque la déclaration d'appel ne porte que sur le chef du jugement ayant fixé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 et que la cour n'est donc pas saisie des autres chefs du jugement.

Il y a lieu d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé provisoirement au 1er janvier 2020 la date de cessation des paiements ;

Statuant à nouveau sur le seul chef critiqué et infirmé, et y ajoutant,

- Fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 30 juin 2021 ;

- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.