Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.245
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Brahic-Lambrey
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 septembre 2020), la société SR-STC a été mise en redressement judiciaire le 2 février 2011, un plan de redressement étant adopté le 20 juillet 2011. Elle a été mise en liquidation judiciaire le 25 février 2015 à la suite de la résolution de ce plan, la société MJ Synergie étant désignée liquidateur.
2. Le liquidateur a recherché la responsabilité solidaire pour insuffisance d'actif de la société Sous traitance industrielle et agricole (SOTIAG) et de la société Nirrep, toutes deux administratrices de la société SR-STC, de M. [V] [O], président des sociétés SR-STC et SOTIAG et gérant de la société Nirrep, Mme [S], épouse [O], à titre personnel et en sa qualité de représentant permanent de la société SOTIAG, et M. [T] [O], à titre personnel et en sa qualité de représentant permanent de la société Nirrep, et a demandé que soit prononcée à leur encontre une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, le troisième moyen, le quatrième moyen, pris en sa première branche, et les cinquième et sixième moyens du pourvoi principal, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La société MJ Synergie, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de M. [V] [O] à une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer, alors « que le dirigeant qui a fait des biens ou du crédit de l'entreprise visée par la procédure un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement peut faire l'objet d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer ; que cette sanction est encourue en cas d'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire ; qu'il n'est pas requis que cet usage ait causé par lui-même l'ouverture de la procédure collective ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par substitution de motifs, qu'il n'était pas possible de prononcer une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer à l'encontre de M. [O], dès lors que "les paiements préférentiels réalisés par M. [O], pour être la source de sa condamnation à combler l'insuffisance d'actif qui en résulte, ne peuvent ainsi motiver le prononcé d'une sanction commerciale, en ce qu'ils ne sont pas à l'origine de la liquidation judiciaire et de l'échec du plan" ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'ouverture de la liquidation judiciaire permettait le prononcé d'une sanction à l'encontre de M. [O], peu important que la faute consistant dans un paiement préférentiel, constatée par la cour d'appel, ait ou non été à l'origine de cette ouverture, la cour d'appel a violé les articles L. 653-1 et L. 653-4 3° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 653-4, 3°, et L. 653-8 du code de commerce :
5. Il résulte de ces textes que la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer peut sanctionner le dirigeant qui fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, sans qu'il soit exigé, en outre, que cet usage soit à l'origine de la résolution du plan dont la personne morale bénéficiait et de sa liquidation judiciaire.
6. Pour rejeter la demande de sanction professionnelle du liquidateur, l'arrêt relève que les paiements préférentiels opérés par M. [V] [O] ne peuvent justifier le prononcé d'une telle sanction en ce qu'ils ne sont pas à l'origine de la liquidation judiciaire et de l'échec du plan.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas écarté l'existence d'un usage contraire à l'intérêt de la société SR-STC et a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. M. [V] [O] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la société SR-STC, la somme de 33 880,86 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif, alors :
1°/ « qu'un dirigeant ne peut être condamné à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif que s'il est établi un lien de causalité entre la faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; qu'en se bornant à énoncer, pour condamner M. [V] [O] à payer la somme de 33 880,86 euros à titre de contribution de l'insuffisance d'actif au titre d'une faute tenant à des paiements préférentiels pour ce montant, que "le caractère préférentiel des paiements qu'il avait opérés conduisait à retenir un préjudice de la collectivité des créanciers correspondant au total des factures couvertes, lesquelles ne bénéficiaient d'aucun privilège", la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant à établir l'existence d'un lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016, applicable à la cause ;
2°/ que le montant de l'insuffisance d'actif ne peut être mis en tout ou partie à la charge du dirigeant que lorsque sa faute a contribué à cette insuffisance d'actif ; qu'à supposer adoptés les motifs des premiers juges aux termes desquels l'une des raisons principales ayant conduit à l'insuffisance d'actif résidait dans des paiements préférentiels au profit des actionnaires, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé concrètement en quoi la faute de gestion retenue avait contribué à l'insuffisance d'actif, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016, applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
9. Il résulte de ce texte que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal ne peut décider que cette insuffisance d'actif sera supportée en tout ou partie par le dirigeant, qu'en cas de faute de gestion de celui-ci y ayant contribué.
10. Pour retenir la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [V] [O], l'arrêt retient que le caractère préférentiel des paiements qu'il a opérés conduit à retenir un préjudice de la collectivité des créanciers correspondant au total des factures couvertes, lesquelles ne bénéficiaient d'aucun privilège.
11. En se déterminant ainsi, sans caractériser, si ce n'est par un motif impropre, le lien de causalité entre cette faute de gestion, qu'elle retenait, et l'insuffisance d'actif de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [V] [O] à payer à la société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la société SR-STC, la somme de 33 880,86 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif, outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, ordonne la capitalisation des intérêts prévue par années entières conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, et pour la première fois le 21 septembre 2021 et confirme le jugement du 11 septembre 2019 du tribunal de commerce de Roanne en ce qu'il a rejeté la demande de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer de M. [V] [O], l'arrêt rendu le 24 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom.