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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 24 juin 2021, n° 20/03534

LYON

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esparbès

Conseillers :

Mme Homs, Mme Clerc

TJ Lyon, du 26 juin 2020, n° 20/03534

26 juin 2020

EXPOSE DU LITIGE

Par arrêt avant-dire droit du 18 février 2021 auquel il est expressément référé, la cour :

- en constatant que Mme X était recevable à saisir le premier juge en sa qualité de gérante de la SCI Bellevue [la SCI] et qu'elle est en droit d'interjeter appel du jugement déféré du 26 juin 2020 rejetant au fond sa demande d'ouverture de la liquidation judiciaire de la SCI sollicitée sur sa déclaration de cessation des paiements du 14 mai 2020,

- et en révoquant la clôture,

a:

- rouvert les débats à l'audience du 20 mai 2021 afin que les deux parties désignées appelante et intimée dans l'acte d'appel concluent, par des conclusions récapitulatives et utiles, et dans le respect de la contradiction sur les interrogations visées dans la motivation de l'arrêt (nullité, irrecevabilité) et sur les invitations relatives à la désignation d'un mandataire ad'hoc et/ou à l'entrée en médiation judiciaire,

- fixé un calendrier pour les échanges d'écritures entre les parties et les observations du ministère public,

- réservé les demandes et les dépens.

Par nouvelles conclusions n° 5 déposées le 31 mars 2021 fondées sur les articles L. 631-4, L. 640-1 et L. 631-4 du code de commerce ainsi que 566 du code de procédure civile, la SCI prise en la personne de sa cogérante Mme X demande à la cour de':

- lui donner acte qu'elle s'en rapporte à la discussion de la cour sur la question de nullité du jugement déféré,

- vu l'arrêt avant-dire droit qui constate sa parfaite qualité à agir et à interjeter appel,

- la juger bien fondée en ses demandes, fins et prétention,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir,

- et rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- juger irrecevable la prétendue exception de procédure soulevée par M. Y ès qualités de cogérant de la SCI visant à voir déclarer irrecevable sa déclaration d'appel,

- déclarer son appel bien fondé,

- à titre principal,

- déclarer son appel recevable à l'encontre du jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure collective en l'absence de caractérisation d'un état de cessation des paiements,

- l'annuler ou l'infirmer de ce chef et statuant à nouveau,

- juger que Mme X détient dans les comptes de la SCI une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 960.413 € tel qu'il ressort de l'ensemble des bilans établis depuis l'origine par l'expert-comptable mandaté par M. Y et approuvé en assemblée générale par ce dernier,

- juger que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [...] détient dans les comptes de la SCI une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 19.446,76€ selon décompte de copropriété arrêté au 7 juillet 2020,

- juger que la somme de 940.450€ correspondant au montant du compte courant d'associé de la société Participation n'est pas un actif disponible, faute de pouvoir être mobilisable immédiatement,

- juger que la SCI est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et se trouve par conséquent être en état de cessation des paiements,

- constater son état de cessation des paiements à la date du 6 février 2020,

- juger que son redressement est manifestement impossible,

- prononcer en conséquence l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI,

- désigner tout liquidateur judiciaire qu'il plaira à la cour,

- à titre subsidiaire,

- juger qu'une mesure de médiation apparaît vaine,

- juger que « Maître » X ès qualités de cogérante de la SCI a accompli les diligences et formalités lui incombant,

- juger qu'elle s'en rapporte ainsi à l'avis de la cour s'agissant de l'opportunité et de l'intérêt de procéder à la désignation d'un mandataire ad'hoc,

- en toute hypothèse, si un mandataire ad'hoc était nommé, lui donner la mission suivante':

- rembourser dans le délai de 2 semaines à compter de la décision à venir, le compte courant de Mme X tel qu'il apparaît au bilan clos au 31 décembre 2019 présenté par M. Y,

- à défaut de liquidité suffisante pour ce faire, signer dans un délai de 2 semaines à compter de l'expiration du délai susvisé, un mandat de vente du bien immobilier appartenant à la SCI à un prix fixé selon les expertises produites aux débats,

- procéder à la liquidation amiable de la SCI,

- à défaut de régularisation d'un compromis de vente du bien dans un délai de 3 mois suivant la signature du mandat de vente, procéder au dépôt d'une demande d'ouverture de procédure de liquidation judiciaire de la SCI,

- en tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des fins et prétentions de la SCI représentée par M. Y,

- et dire que les dépens seront employés en frais privilégiés.

Par nouvelles conclusions n° 6 déposées le 21 avril 2021, au visa des articles L. 631-1 et suivants, L. 640-1 et suivants du code de commerce, 1842, 1843-4 et 1848 du code civil ainsi que 1, 2, 4, 5, 12, 32-1, 122, 123, 547, 562, 901 et 954 du code de procédure civile, la SCI représentée par son cogérant M. Y demande à la cour de :

- la juger bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,

- in limine litis, juger que la SCI intervient à la fois en qualité d'appelante et en qualité d'intimée dans le cadre de la procédure d'appel et en conséquence, juger que l'appel interjeté suivant déclaration n° 20/02556 du 7 juillet 2020 est irrecevable en raison de l'identité des parties,

- juger que la SCI représentée par Mme X n'a pas régulièrement saisi la cour d'appel de ses prétentions,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI,

- l'infirmer en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tiré du défaut de qualité à agir de Mme X,

- et statuant à nouveau, juger Mme X irrecevable en sa demande de voir prononcer une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI pour défaut de qualité à agir,

- juger qu'une mesure de médiation et la désignation d'un mandataire ad'hoc apparaissent vaines,

- à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la SCI n'est pas en état de cessation des paiements,

- et en ce qu'il a débouté la SCI représentée par Mme X de sa demande d'ouverture de procédure de liquidation judiciaire formée à son encontre,

- l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et statuant à nouveau, condamner Mme X à lui payer la somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- à titre subsidiaire, juger que son redressement judiciaire n'est pas manifestement impossible et prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SCI,

- en toutes hypothèses, condamner Mme X à lui payer la somme de 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- et aux entiers dépens.

Le 6 avril 2021, le ministère public a dit ne pas avoir d'observations.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé d'une part, que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et, d'autre part, que l'arrêt du 18 février 2021 a été prononcé avant-dire droit de sorte que son dispositif n'a pas d'autorité de chose jugée.

Sur la qualité à agir de Mme X ès qualités de cogérante de la SCI

Ce point doit être préalablement tranché pour statuer ensuite sur les autres questions, et ce, sans aucune référence possible aux règles déontologiques d'avocat que la cour n'a pas en l'espèce le pouvoir d'appliquer.

Comme a pu le relever, sans statuer, l'arrêt avant-dire droit, il ressort de l'extrait KBis de la SCI que Mme X et M. Y ont chacun la qualité de «gérant» et que sont associés Mme X et la société TGL Participations devenue société Participations (représentée par M. Y), en conformité avec ses statuts.

En cette qualité de cogérante [ce terme de cogérant étant employé par les deux parties] et en application de l'article R. 631-1 du code de commerce, Mme X était fondée à représenter la SCI devant le tribunal afin de formuler une demande d'ouverture de la procédure collective de cette société, sans exigence de requérir l'assentiment préalable de l'autre cogérant (M. Y), ce qui n'est prévu ni légalement, ni statutairement.

La déclaration de cessation des paiements a, selon son examen, été déposée par Mme X, non pas en sa qualité d'associée, contrairement à ce que soutient M. Y ès qualités en interprétant à tort un courriel du 20 mai 2020 et des extraits de conclusions du conseil adverse, mais en sa qualité de gérante, à laquelle s'assimile celle de «dirigeante d'une société» qu'elle a expressément notée en correspondance avec l'annotation du bas de page de l'imprimé de déclaration (qui visait plutôt le cas, différent, d'une EURL).

Cette mention (dirigeante de société) ne porte pas à confusion, même au regard de la clause de l'article 16.4. des statuts soulignée par l'intimée, stipulant que « La signature sociale est donnée par l'apposition de la signature du ou des gérants, de l'un ou de plusieurs d'entre eux, précédée de la mention «Pour la société SCI», complétée par l'une des expressions suivantes: «Le gérant», «Un gérant» ou «Les gérants», puisque l'intégralité du dossier de déclaration fait bien ressortir que la demande est portée par la dirigeante de la SCI, sans aucune ambiguïté ni sur sa qualité ni sur la société visée, et sans rapport avec d'autres sociétés que Mme X peut gérer, telles que notées par l'intimée.

Il n'était pas plus requis de la déclarante qu'elle mentionne expressément l'existence d'un cogérant, ce qui ressortait au demeurant des statuts communiqués, entre autres pièces, dans la déclaration de cessation des paiements.

Est par ailleurs indifférente la circonstance que la procédure collective ait pour finalité, selon la déclarante, le remboursement des dettes de la SCI dont font effectivement partie les comptes courants des associés à savoir non seulement celui de Mme X mais aussi celui de la société Participations dont le gérant est M. Y, les mobiles du requérant à l'ouverture étant inopérants.

Il est en conséquence jugé que Mme X ès qualités de cogérante a saisi régulièrement le tribunal et, protestant contre sa décision qui, sur le fond, a rejeté sa demande d'ouverture de la liquidation judiciaire de la SCI, qu'elle avait aussi qualité pour former appel.

Sur la nullité du jugement

La demande d'ouverture d'une procédure collective, régie par des règles d'ordre public, au bénéfice d'un «'débiteur'» fondée sur les articles L.640-1 et suivants dont L.640-4, ainsi que L.641-1 qui renvoie notamment à L.621-1, encore R.631-1 par renvoi de R.640-1 du code de commerce, engagée par son représentant légal, porteur et signataire de la déclaration de l'état de cessation des paiements, en l'espèce Mme X ès qualités de cogérante comme jugé précédemment, n'exige pas l'identification d'un adversaire qui n'a pas plus à être reçu en des prétentions contraires et indemnitaires.

En l'espèce, M. Y s'est présenté devant le premier juge ès qualités de cogérant de la SCI sans avoir été appelé par la demanderesse ni convoqué par la juridiction, ayant été informé de l'audience par un échange de courriers entre conseils ainsi qu'il résulte de la lettre du 25 mai 2020 versée au débat. Sans exciper d'une qualité d'intervenant volontaire, impossible à tenir dès lors qu'il ne venait pas au soutien de la demande, il a présenté en se positionnant comme adversaire de la requérante des moyens contraires et des prétentions propres, pour s'opposer à la demande afin d'ouverture de liquidation judiciaire de la SCI en soutenant une fin de non-recevoir (tirée de l'absence selon lui de la qualité à agir de Mme X) et pour former des demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'indemnité de procédure.

En statuant sur la demande d'ouverture de procédure collective qui lui était soumise après avoir discuté non seulement les moyens développés par la demanderesse mais aussi ceux formulés par M. Y ès qualités, et en statuant sur les prétentions de ce dernier, qui n'était pas partie au sens des articles 4, 30 et 31 du code de procédure civile, le premier juge, induit en erreur par le positionnement pris par l'intimée, a commis un excès de pouvoir, ce qu'il appartient à la cour de relever, contrairement au dire de l'intimée, et ce qui conduit à l'annulation du jugement.

L'acte de saisine du tribunal, régulièrement porté comme jugé précédemment par Mme X ès qualités de cogérante de la SCI, n'étant toutefois pas affecté, il appartient à la cour de statuer plus avant par suite de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur l'irrecevabilité de l'appel principal

Aux termes de la déclaration d'appel, la SCI représentée par Mme X cogérante a intimé la même SCI représentée par M. Y cogérant. Cette intimation pose question.

En effet, en application du principe d'unicité, qui était déjà applicable devant le premier juge, une même personne morale ne peut figurer en qualité d'appelante et en qualité d'intimée, même représentée par une personne physique différente (l'un et l'autre des gérants), surtout dans le cadre de ce contentieux particulier d'ouverture de procédure collective sollicitée par un représentant légal de société par une déclaration de cessation des paiements, ce qui n'implique pas la présence d'une autre partie obligatoire au sens de l'article 547 du code de procédure civile, comme le serait une demande d'ouverture par assignation de la part d'un créancier.

L'appel principal formé par Mme X ès qualités de cogérante de la SCI à l'encontre de la même SCI est par conséquent irrecevable, la demande de l'appelante arguant d'une exception de procédure alors que cette irrecevabilité résulte d'une fin de non-recevoir étant rejetée.

Il n'y a donc pas lieu de statuer plus avant sur cet appel principal et notamment sur la demande d'ouverture de procédure collective à l'encontre de la SCI.

Sur l'appel incident

La SCI en la personne de M. Y cogérant a certes été intimée par l'acte d'appel comme elle le souligne en insistant sur sa qualité de partie, mais cette intimation n'est liée qu'au fait que l'appelante a été contrainte par le positionnement pris par cette dernière devant le premier juge puis l'appréciation erronée qu'en a tiré cette juridiction.

Pour autant, en rappelant que la cour a précédemment jugé l'irrecevabilité de l'appel principal, à quoi tendait également la première partie de l'appel incident de l'intimée, cette dernière, sur sa seconde partie d'appel incident, doit être déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'indemnité de procédure, de plus sollicitées à l'encontre de «Mme X», dès lors que cette dernière n'est pas partie à la procédure à titre personnel.

Sur les mesures de médiation et mandat ad'hoc

Au vu du désaccord des parties, il n'y a lieu de prévoir ni médiation judiciaire, ni mandat ad'hoc.

Sur les dépens de première instance et d'appel

Ils sont mis à la charge de la SCI.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt avant-dire droit du 18 février 2021,

Jugeant que Mme X ès qualités de cogérante de la SCI Bellevue avait qualité à saisir le premier juge en ouverture de procédure collective et avait qualité pour interjeter appel du jugement déféré du 26 juin 2020 qui a rejeté au fond sa demande d'ouverture de la liquidation judiciaire de la SCI Bellevue sollicitée sur sa déclaration de cessation des paiements du 14 mai 2020,

Annule le jugement déféré et statuant sur l'effet dévolutif de l'appel,

Juge irrecevable l'appel principal de la SCI Bellevue formé par Mme X ès qualités de cogérante à l'encontre de la même SCI Bellevue représentée par M. Y cogérant,

Déboute la SCI Bellevue représentée par M. Y ès qualités de cogérant de ses demandes en dommages-intérêts et indemnité de procédure formées contre Mme X,

Dit n'y avoir lieu à ordonner médiation judiciaire et mandat ad'hoc,

Impute les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SCI Bellevue.