CA Versailles, 12e ch., 12 mai 2022, n° 20/04229
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
S.A. EXTEND FRAGRANCES
Défendeur :
Société TEMPTING BRANDS NETHERLANDS BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur François THOMAS
Conseiller :
Mme Véronique MULLER
La société de droit néerlandais Tempting Brands Netherlands, ci-après société Tempting, poursuivant une activité de licence de marque, a déposé la marque verbale 'Marie-Antoinette':
- le 22 août 2014 pour le Benelux sous le n°1294642 pour les produits et services des classes 3, 9, 18 et 25,
- le 5 décembre 2014, comme marque internationale sous le n°1238820, en visant notamment les pays de l'Union Européenne, dont l'enregistrement pour la France a été inscrit le 24 juillet 2015.
Le 31 décembre 2014, la société française Extend Fragrances, qui a pour activité la vente de parfumerie et produits de beauté, a fait l'acquisition de la marque verbale française 'Marie-Antoinette', n°073532038, initialement déposée par la société américaine Fertile Biotech, en classes 3 et 44. Cette cession a été publiée le 14 janvier 2015.
Le 21 janvier 2015, la société Extend Fragrances a déposé la marque verbale de l'Union européenne 'Marie-Antoinette', n°013663968, en classes 3 et 5.
Le 1er avril 2015, la société Tempting a formé opposition contre ce dépôt en invoquant sa marque internationale.
Par décision du 14 octobre 2016, l'Office des marques de l'Union européenne a fait partiellement droit à cette demande en annulant la marque de la société Extend Fragrances pour certains produits dont les cosmétiques et parfums.
Avant cette décision, les sociétés se sont rapprochées afin d'engager des discussions sur la marque 'Marie-Antoinette' et, les 7 et 9 juillet 2015, ont signé un accord-cadre de divulgation mutuelle d'informations.
Le 17 juillet 2015, la société Tempting a déposé une marque brésilienne 'Marie-Antoinette' visant les produits de la classe 3.
Le 21 juillet 2015, la société Extend Fragrances a déposé la marque 'Marie-Antoinette' au Brésil au Paraguay, au Chili et en Malaisie, en revendiquant un droit de priorité fondé sur sa marque européenne.
Le 10 septembre 2015, la société Tempting lui a adressé une lettre lui rappelant les termes de l'accord-cadre et faisant injonction de retirer la demande de dépôt de marque pour le Brésil, ce que la société Extend Flagrances a refusé le 17 septembre 2015.
Un nouvel échange de courriers est intervenu entre leurs avocats, sans résultat.
Par acte du 22 mars 2016, la société Tempting a assigné la société Extend Fragrances devant le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement du 24 janvier 2018, a décliné sa compétence au profit du tribunal judiciaire de Nanterre.
Par jugement du 25 juin 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces n° 17, 18, 19 et 20 versées par la société Tempting ;
- Condamné la société Extend Fragrances à procéder, sous astreinte provisoire et temporaire de 500 € par jour de retard et par infraction constatée courant pendant un délai de six mois débutant à l'expiration d'un délai de trois mois débutant le jour de la signification du jugement, au retrait des dépôts des marques 'Marie-Antoinette' déposées au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Malaisie ;
- S'est réservé la liquidation de l'astreinte ;
- Rejeté les demandes plus amples ou contraires ;
- Condamné la société Extend Fragrances à payer à la société Tempting la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Fragrances aux dépens ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la décision dans toutes ses dispositions.
Par déclaration du 31 août 2020, la société Extend Fragrances a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2021, la société Extend Fragrances demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 25 juin 2020 en ce qu'il a :
/ Condamné la société Extend Fragrances à procéder, sous astreinte provisoire et temporaire de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée courant pendant un délai de six mois débutant à l'expiration d'un délai de trois mois débutant le jour de la signification du présent jugement, au retrait des dépôts des marques « Marie-Antoinette » déposées au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Malaisie ;
/ Rejeté les demandes plus amples ou contraires ;
/ Condamné la société Extend Fragrances à payer à la société Tempting Brands la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
/ Condamné la société Extend Fragrances aux dépens ;
Et statuant à nouveau,
- Déclarer mal fondée la société Tempting Brands en toutes ses demandes, fins et conclusions, l'en débouter ;
- Condamner la société Tempting Brands au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Tempting Brands aux entiers dépens de première instance comme d'appel, sans distraction.
Par dernières conclusions notifiées le 22 avril 2021, la société Tempting demande à la cour de :
- Confirmer en tout point le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 25 juin 2020;
Au surplus,
- Condamner la société Extend Fragrances à verser à la société Tempting Brands la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Extend Fragrances aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 janvier 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
La cour constate que le jugement dont appel n'est pas contesté en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir certaines pièces écartées des débats.
De même n'est-il contesté en ce qu'il a retenu que le litige devait être tranché conformément aux règles fixées par la loi du royaume des Pays-Bas en ce compris la reconnaissance par celle-ci des dispositions du droit de l'Union Européenne et du droit international, la cour observant que la société Extend Flagrances vise dans ses développements des dispositions du droit néerlandais.
Sur la demande principale
La société Extend Flagrances soutient que l'accord intervenu entre les parties ne concerne que la marque Marie-Antoinette dans l'Union Européenne et que les discussions ne sont intervenues que dans ce cadre, ce d'autant que la société Tempting n'est titulaire d'aucun enregistrement de la marque Marie-Antoinette au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Malaisie.
Elle souligne le fait que la clause est unilatérale car elle ne pèse que sur une partie, et que le contrat a été rédigé sans l'accord des avocats respectifs des parties, de sorte que la clause doit être interprétée strictement.
La société Extend Flagrances relève que, la société Tempting n'a transmis aucune information confidentielle telle que visée par la clause en question, elle-même était autorisée à suspendre ses propres obligations, en ce compris celle de déposer la marque Marie-Antoinette.
La société Tempting rappelle les dispositions applicables du droit néerlandais, et avance que la notion de bonne foi dans l'exécution des contrats est universelle. Elle fait état des engagements entre sociétés, et du fait que les discussions d'affaires entre les sociétés portaient sur la marque Marie-Antoinette, sans précision de territoire et/ou de numéro de marque, ce dont elle déduit que le dépôt de cette marque par l'appelante pour le Brésil, le Chili, le Paraguay et la Malaisie est intervenu en violation des engagements contractuels. Elle indique demander qu'il soit ordonné à la société Extend Flagrances de retirer ses dépôts pris sans respecter l'accord.
Elle relève que la société Extend Flagrances est un professionnel qui ne saurait s'être engagée sans comprendre les termes de l'accord la liant.
***
L'accord cadre pour la divulgation mutuelle d'informations, signé les 7 et 9 juillet 2015 par les sociétés Extend Flagrances et Tempting prévoit notamment, en son point 3, que la société (Extend Flagances) 's'engage de ne déposer aucune marque qui fait l'objet des discussions d'affaires entre les parties' (traduction).
Le point 14 de l'accord prévoit qu'il est régi à tous les égards par les lois des Pays-Bas.
L'article 6.5.4 du code civil néerlandais porte sur les effets légaux des accords, il prévoit qu'un accord a non seulement les effets juridiques convenus entre les parties, mais aussi ceux qui, en raison de la nature de l'accord, découlent de la loi, et l'usage ou des principes de raison et d'équité.
Il convient, en droit néerlandais, de prendre en considération les circonstances dans lesquelles un contrat a été signé, et ses termes doivent notamment être appréciés en considérant si les parties étaient ou non assistées d'un avocat lors de la conclusion de l'accord.
L'accord précité ne cite pas particulièrement la marque Marie-Antoinette, ni ne fixe un cadre géographique limitant son application.
Si la société Extend Flagrances souligne qu'elle est seule contrainte par l'engagement de ne pas déposer de marque, les autres dispositions du contrat engagent les deux parties à l'accord.
Si l'appelante met en avant le fait qu'elle n'était pas assistée d'un avocat lorsqu'elle a pris cet engagement, de sorte que ces termes doivent être appréciés strictement, il n'en demeure pas moins qu'elle est un professionnel qui a pu mesurer l'engagement qu'elle prenait en signant ce document.
Il est à relever que dans un échange de courriels intervenus avant le 16 juin 2015 soit avant la signature de l'accord cadre, le dirigeant de la société Extend Flagrances écrit qu'il lui avait été 'indiqué par notre conseil en propriété intellectuelle que vous souhaitez avoir une discussion directe avec nous au sujet de la marque Marie-Antoinette' (traduction) ce qui établit que cette société était alors conseillée et éclairée sur l'objet des discussions, dans le cadre desquelles est intervenue la conclusion de l'accord.
La société Extend Flagrances ne fait pas état ni ne justifie d'une pression qui aurait été exercée sur elle par la société Tempting, ainsi que le jugement l'a relevé, comme il a mentionné que la conclusion de cet accord est intervenue alors que les discussions engagées entre les deux sociétés portaient sur la marque Marie-Antoinette, et que les termes de cet accord n'ont pas limité à l'Union Européenne le territoire dans lequel la société Extend Flagrances s'était engagée à ne pas déposer de marque.
Il sera rappelé que la société Tempting est notamment titulaire d'une marque internationale Marie-Antoinette n°1238820, au vu de laquelle elle avait fait le 1er avril 2015 opposition contre le dépôt de la marque de l'Union européenne 'Marie-Antoinette' de la société Extend Flagrances, de sorte que les discussions pouvaient porter sur l'ensemble des pays visés par cette marque internationale antérieure. Il sera au surplus mentionné que la société Extend Flagrances ne justifie en rien que l'intention des parties aurait été de limiter les négociations aux seules limites de l'Union Européenne, ce que l'accord n'indique pas.
Il est établi que la société Extend Flagrances a, le 21 juillet 2015, déposé la marque Marie-Antoinette, au Brésil sous la référence 909708746, au Chili sous le n°1163187, au Paraguay sous le n°31814, en Malaisie sous le n°2015061740.
Le dépôt de ces marques par la société Extend Flagrances, alors qu'elle avait pris l'engagement de ne pas déposer de marques faisant l'objet de discussions entre les parties, ce qui était le cas de la marque Marie-Antoinette, constitue dès lors une violation de cet engagement, quand bien même ces dépôts son intervenus dans des pays non visés par la marque internationale initiale de la société Tempting.
L'engagement pris par la société Extend Flagrances dans l'accord cadre était clair et ne pouvait être interprété autrement, le fait que cette clause soit unilatérale ne pouvant lui donner un sens autre que celui d'une interdiction de dépôt, non limitée géographiquement, ce qui n'apparaît pas contraire aux principes de caractère raisonnable et d'équité au vu desquels les engagements doivent être appréciés en droit néerlandais.
Le fait, allégué par la société Extend Flagrances, que la société Tempting n'aurait pas respecté ses obligations découlant de l'accord en ne lui ayant transmis aucune information confidentielle, résulte des seuls dires de la société Extend Flagrances, qui ne justifie pas avoir sollicité de la société Tempting la transmission d'informations que celle-ci ne lui aurait pas communiquées dans le cadre de l'application de l'accord.
Dès lors, il apparaît que la société Extend Flagrances ne pouvait, moins de 15 jours après la signature de l'accord des 7 et 9 juillet 2015 la liant à la société Tempting, procéder au dépôt de la marque Marie-Antoinette au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Malaisie, et ne peut soutenir qu'elle était fondée à suspendre l'exécution de la clause 3.
La société Tempting était donc fondée à solliciter sa condamnation à procéder au retrait des dépôts des marques selon les dispositions arrêtées par le jugement, qui sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Au vu de ce qui précède, les autres dispositions du jugement seront confirmées, notamment s'agissant de la condamnation de la société Extend Flagrances au paiement des dépens et frais irrépétibles.
Succombant en son appel, la société Extend Flagrances sera également condamnée au paiement des dépens d'appel, et au versement à la société Tempting de la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 25 juin 2020,
y ajoutant,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société Extend Fragrances à verser à la société Tempting Brands la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur Hugo BELLANCOURT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.