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Décisions

Cass. 2e civ., 9 décembre 1999, n° 97-21.074

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Buffet

Rapporteur :

M. Guerder

Avocat général :

M. Kessous

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Piwnica et Molinié, SCP Rouvière et Boutet, Me Bouthors

Paris, du 18 nov. 1997

18 novembre 1997

Donne acte à Mme Inès de X... de la reprise de l'instance engagée par son mari, décédé ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un film intitulé " Les Voleurs d'organes ", réalisé par Mme A... et Mme Y..., a été présenté au public le 12 mai 1994, diffusé par la chaîne de télévision Planète pendant la semaine du 19 au 25 septembre 1994, et par la chaîne de télévision M6 le 8 janvier 1995 ; que s'estimant diffamés par ce reportage, l'institut X... de America (l'Institut) et M. Barraquer Z... ont fait assigner en réparation de leur préjudice, devant le tribunal de grande instance de Paris, par actes d'huissier des 16 août, 30 septembre, 4 et 24 octobre 1994, et 12 janvier 1995, la société Capa Press, producteur du film, les réalisateurs du film, ainsi que les sociétés Planète Câble et Métropole Télévision M6 ; que le Tribunal a déclaré irrecevable l'action de M. Barraquer Z..., débouté l'institut de ses demandes relatives à la diffusion sur Planète, et déclaré prescrite l'action concernant la diffusion sur M6 ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré, sur le fondement de l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, les actions engagées par l'Institut et par M. Barraquer Z... irrecevables, alors, selon le moyen, que, d'une part, suivant les dispositions de l'article 6-1° de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des articles 422, 425, 427 et 428, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, l'assignation introductive d'une instance civile en matière de presse n'a pas à être préalablement notifiée par le demandeur au ministère public ; qu'en imposant pareille diligence exclusivement prévue par l'article 53, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 pour la citation qu'il incombe au plaignant de notifier tant au prévenu qu'au ministère public devant le tribunal correctionnel, la cour d'appel a violé les textes précités ; que, d'autre part, en modifiant ainsi sans raison et de manière imprévisible les règles de procédure applicables depuis un siècle aux procès de presse portés devant le juge civil, la cour d'appel a derechef méconnu les dispositions de l'article 6-1° de la Convention européenne sur la prévisibilité des règles processuelles en cours dans le cadre d'un procès équitable ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 que l'assignation délivrée à la requête du plaignant doit préciser et qualifier le fait invoqué, indiquer le texte de loi applicable à la demande, contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et être notifiée au ministère public ;

Et attendu qu'en retenant que ledit article est applicable à l'action civile introduite devant la juridiction civile, dès lors qu'aucun texte législatif n'en écarte l'application devant cette juridiction, l'arrêt, qui n'a pas méconnu le droit à un procès équitable, a fait l'exacte application des textes visés au moyen, et du principe de l'égalité des armes dans les procès relatifs aux infractions de presse ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 73 et 74, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que dans les instances civiles en réparation d'infractions de presse, l'exception de nullité de l'assignation doit être invoquée avant toute défense au fond ;

Attendu que, selon l'arrêt, les défendeurs ont excipé pour la première fois, devant la cour d'appel, de la nullité des assignations pour défaut de notification au ministère public ;

Attendu que pour accueillir cette exception, et déclarer irrecevables les actions engagées par l'Institut et par M. Barraquer Z..., l'arrêt relève que le régime des exceptions de nullité applicable devant la juridiction civile est organisé par les dispositions des articles 112 à 121 du nouveau Code de procédure civile de sorte que ne sauraient ici recevoir application celles de l'article 385 du Code de procédure pénale ; que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 institue des formalités substantielles d'ordre public dont l'inobservation sanctionnée par " la nullité de la poursuite " ne saurait être assimilée à un simple vice de forme mais constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte introductif ; qu'en vertu des articles 118 et 119 du nouveau Code de procédure civile, l'exception de nullité fondée sur cette irrégularité peut être invoquée pour la première fois en cause d'appel, sans que la partie qui s'en prévaut doive justifier d'un grief ; que les assignations délivrées à la demande de M. Barraquer Z... et de l'Institut n'ont pas été notifiées au ministère public ; que ces assignations, nulles au regard des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, n'ont pu valablement saisir le Tribunal, ni interrompre la prescription, dont le délai est expiré ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'exception de nullité était irrecevable devant elle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt n° 33 rendu le 18 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.