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Décisions

Cass. 2e civ., 23 mai 2001, n° 99-13.263

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Buffet

Rapporteur :

M. Guerder

Avocat général :

M. Kessous

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Versailles, du 7 janv. 1999

7 janvier 1999

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le journal Y... a publié, dans son numéro daté des 16 au 22 décembre 1995, un article intitulé " Z... : ruiné, abandonné, on le laisse crever dans l'oubli " ; que s'estimant diffamé, M. Z... a fait assigner devant le tribunal de grande instance, par acte d'huissier du 8 mars 1996, la société A..., aux droits de laquelle est venue la société X... (la société), éditrice du journal, en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité de l'assignation prise du défaut de notification de cet acte au ministère public, alors, selon le moyen, que la notification de l'assignation au ministère public prévue par l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 a pour objet d'informer de l'action le ministère public, qui est considéré par ce texte comme nécessairement joint à la procédure ; que le défaut de notification et d'appel du Parquet à la cause constitue donc non une nullité de procédure mais une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause ; que la cour d'appel a ainsi violé les articles 122, 123 du nouveau Code de procédure civile, 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu qu'il résulte des articles 53 de la loi du 29 juillet 1881, 73 et 74, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile que dans les instances civiles en réparation d'infractions de presse, l'exception de nullité de l'assignation doit être invoquée avant toute défense au fond ;

Qu'ayant relevé que l'exception n'avait été invoquée en l'espèce qu'en appel, c'est à bon droit que l'arrêt l'a déclarée irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de prescription invoquée en défense et prise de la tardiveté des premières conclusions, alors, selon le moyen, que le placement de l'assignation, simple acte d'administration judiciaire qui a pour but d'informer le Tribunal de l'existence de l'action lancée, et qui n'est pas connu du défendeur ayant reçu l'assignation, n'a pas pour objet ni pour effet de poursuivre l'action de façon contradictoire ; qu'ainsi, ce placement n'est pas interruptif de prescription ; que les premières conclusions ayant été déposées plus de 3 mois après l'assignation elle-même, l'action était prescrite et que la cour d'appel a violé l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 757 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que dans les instances civiles en réparation des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881, constitue un " acte de poursuite ", au sens de l'article 65 de ladite loi, tout acte de la procédure par lequel le demandeur manifeste à son adversaire l'intention de continuer l'action engagée, même si cet acte n'est pas porté à la connaissance de la partie adverse elle-même ;

Et attendu que l'arrêt retient que le placement de l'assignation est un acte de procédure qui manifeste à la partie intimée l'intention de poursuivre l'action initiée à son encontre ; que l'assignation délivrée le 8 mars 1996 a été remise au greffe le 15 mars suivant ;

Qu'en décidant que ce placement avait eu pour effet d'interrompre la prescription, de sorte que celle-ci n'était pas acquise le 14 juin, lors de la notification des premières conclusions de la partie poursuivante, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 65 précité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que la diffamation n'est constituée que par l'allégation ou l'imputation d'un fait déterminé portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée ;

Attendu que pour condamner la société à des réparations civiles envers M. Z..., l'arrêt retient que les imputations d'être ruiné, abandonné par les producteurs, et de croupir dans son coin comme un chien malade qu'on laisse crever tout seul, portent atteinte à la considération de M. Z..., auprès de ses proches et amis, et du public très large qui a été le sien durant de nombreuses années tant dans le rôle d'animateur de cirque que dans l'incarnation télévisée du commissaire B... ; que les termes déplacés et humiliants employés constituent à eux seuls l'infraction reprochée ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les allégations critiquées n'étaient, ni en elles-mêmes, ni dans leur contexte, de nature à nuire à la réputation de la personne mise en cause qui n'exerçait aucune activité commerciale, et ne pouvaient dès lors absorber les injures, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.