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Décisions

Cass. com., 9 juin 2022, n° 20-23.509

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Barbot

Avocat général :

Mme Henry

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Piwnica et Molinié

Versailles, du 29 oct. 2020

29 octobre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 octobre 2020), la société Factofrance a conclu un contrat d'affacturage avec la société Européenne Food, le 14 mai 2009.

2. Dans l'exercice de sa mission, le mandataire ad hoc désigné le 10 juin 2013 par le président d'un tribunal de commerce a, au cours du mois de juillet 2013, découvert l'existence d'un dispositif d'émission de fausses factures portant sur près de 28 millions d'euros, dont 21 millions avaient, selon la société Factofrance, déjà été financés.

3. Le 24 juillet 2013, la société Factofrance a suspendu le financement des créances remises par la société Européenne Food, puis l'a repris après avoir conclu avec cette société, le 25 juillet 2013, un accord, réitéré le 5 août 2013, prévoyant la mise en place d'un mécanisme destiné, notamment, à apurer sa dette de 21 millions d'euros.

4. Les 25 septembre et 30 octobre 2013, le tribunal de commerce de Créteil a mis la société Européenne Food en redressement puis liquidation judiciaires, la société SMJ étant désignée en qualité de liquidateur.

5. Imputant à la société Factofrance une faute ayant causé à la collectivité des créanciers un préjudice équivalent à la totalité de l'insuffisance d'actif de la société Européenne Food, le liquidateur l'a assignée en responsabilité civile délictuelle, devant le tribunal de commerce de Nanterre.

6. La société Factofrance a soulevé l'incompétence territoriale de ce tribunal au profit du tribunal de commerce de Paris, en application de la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat d'affacturage et le protocole d'accord.

7. M. [D] a été désigné liquidateur de la société Européenne Food, en remplacement de la société SMJ.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le liquidateur de la société Européenne Food fait grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, en application de la clause attributive de compétence, alors « que, agissant au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, le liquidateur judiciaire, qui engage une action en responsabilité délictuelle en réparation du préjudice subi par l'ensemble des créanciers, n'est pas tenu par une clause attributive de compétence territoriale convenue entre le débiteur dessaisi et le défendeur à l'action ; que la société SMJ, en sa qualité de liquidateur judiciaire, exerçait en l'espèce une action en responsabilité délictuelle en réparation des préjudices subis par l'ensemble des créanciers de la société Européenne food du fait des agissements fautifs de la société Factofrance, qui, en instrumentalisant une procédure de mandat ad hoc pour réduire son encours, avait retardé l'ouverture de la procédure collective en aggravant l'insuffisance d'actif, et annihilé toute possibilité de désintéressement des autres créanciers ; qu'en retenant que les clauses attributives de compétence territoriale insérées aux actes conclus entre les sociétés Européenne food et Factofrance étaient applicables à cette action, au motif, inopérant, que les fautes invoquées contre la société Factofrance auraient été commises "dans le cadre" de ses "relations contractuelles" avec la société Européenne food, la cour d'appel a violé l'article 48 du code de procédure civile, ensemble l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 641-4 et L. 622-20, alinéa 1er, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce, l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 48 du code de procédure civile :

9. Lorsque le liquidateur agit contre un tiers au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers du débiteur mis en liquidation judiciaire, dans l'exercice du monopole que lui confèrent les deux premiers textes susvisés, il résulte de la combinaison des deux derniers textes que la clause attributive de compétence stipulée dans un contrat conclu, avant l'ouverture de la procédure collective, entre le débiteur et le tiers cocontractant ne lui est pas opposable.

10. Pour faire application de la clause attribuant compétence au tribunal de commerce de Paris, stipulée dans le contrat d'affacturage du 14 mai 2009 et le protocole d'accord du 5 août 2013, conclus entre les sociétés Européenne Food et Factofrance, l'arrêt retient que la circonstance que le liquidateur de la première société ait assigné la seconde sur le fondement de l'article 1240 du code civil n'est pas de nature à justifier que cette clause soit écartée, dès lors que les griefs invoqués par le liquidateur contre la société Factofrance tiennent à des fautes que celle-ci aurait commises dans le cadre des relations contractuelles existant entre les sociétés Factofrance et Européenne Food, notamment en dépassant le taux des retenues de garantie prévu par le contrat d'affacturage et en le faisant entériner par les accords des 25 juillet et 5 août 2013. Il en déduit que, l'objet du litige étant relatif au comportement de la société Factofrance dans le cadre de l'application du contrat d'affacturage, amendé par le protocole d'accord, la clause attributive de compétence doit recevoir application, même si le liquidateur de la société Européenne Food n'y est pas partie.

11. En statuant ainsi, alors que, dans son assignation introductive d'instance comme dans ses conclusions d'appel, le liquidateur, qui agissait contre la société Factofrance sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, demandait le paiement de dommages-intérêts correspondant au montant de l'insuffisance d'actif de la société Européenne Food, en se prévalant d'une faute commise par la société Factofrance au préjudice de la collectivité des créanciers et consistant à avoir instrumentalisé et détourné de sa finalité la procédure de mandat ad hoc ouverte au profit de la société débitrice, afin de réduire son encours, ce qui avait retardé l'ouverture de la procédure collective de la débitrice et, partant, privé ses créanciers de la chance d'être payés dans le cadre d'un plan de redressement, aggravé l'insuffisance d'actif de la débitrice en diminuant le gage commun des créanciers, et créé une apparence trompeuse de solvabilité créatrice d'un passif nouveau, tous éléments desquels il ressort que, l'action du liquidateur étant exercée au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, tiers aux contrats contenant la clause attributive de compétence, celle-ci n'était pas opposable au liquidateur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la Cour de cassation étant en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige sur la compétence, par application de la règle de droit appropriée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.