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Décisions

Cass. com., 30 mars 2022, n° 20-16.168

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Avocats :

SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle

Versailles, du 28 mai 2020

28 mai 2020

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-16.168 et n° 20-17.354 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2020) et les productions, M. [Z] a été nommé président du conseil de surveillance de la société Traqueur le 18 juillet 2006 puis membre et président du directoire de cette société le 28 novembre 2016. Le même jour, M. [Z] et la société Traqueur ont conclu une convention de mandat social prévoyant diverses obligations de paiement à la charge de cette dernière.

3. Le 15 juin 2017, le conseil de surveillance de la société Traqueur a décidé de révoquer M. [Z] de ses mandats de membre et président du directoire.

4. La société Traqueur ayant refusé de faire droit à ses demandes en paiement de diverses sommes en exécution de la convention de mandat social, M. [Z] l'a assignée en paiement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 20-17.354

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 20-16.168

Enoncé du moyen

6. M. [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la prime sur objectifs, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que la lettre accord du 9 novembre 2016 prévoyait de confier à M. [Z] une mission de "restructuration et [de] développement du groupe Traqueur avec pour objectif la cession rapide du groupe Traqueur" ; que l'article 4.1.4 de la convention de mandat social du 28 novembre 2016 prévoyait le paiement d'une prime "en cas de cession" de la société, le terme cession étant défini comme "toute opération conduite durant la présidence du directoire de Traqueur par M. [G] [Z], de quelque nature qu'elle soit et quelles qu'en soient les modalités, entraînant immédiatement ou à terme un changement de contrôle de Traqueur (...) et conduisant à une offre publique d'achat sur Traqueur" ; que M. [Z], qui avait reçu mandat de restructurer et développer la société pour créer en amont les conditions propices à la réalisation d'une cession rapide, et non un mandat de négociation en vue d'une cession, avait ainsi droit à cette "prime en cas de cession" dès lors qu'une opération entraînant un changement de contrôle intervenait pendant le temps de sa présidence, peu important qu'il n'ait pas mené les opérations de cession, initiées en l'occurrence par les principaux actionnaires ; qu'en affirmant cependant que "M. [Z], n'ayant pas mené les opérations de cession, ne peut prétendre au versement d'une prime à ce titre en soutenant que la prime était due indépendamment de toute diligence déployée de sa part dans la recherche de négociations avec un acquéreur et était générée par le simple fait de l'acceptation par le conseil de surveillance d'une offre de cession alors qu'il présidait le directoire", la cour d'appel a dénaturé la convention de mandat social du 28 novembre 2016, violant ainsi le principe ci-dessus. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1103 du code civil :

7. Selon ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Lorsque les stipulations d'un contrat sont ambiguës, il appartient au juge de déterminer quelle a été la commune intention des parties.

8. Pour rejeter la demande de M. [Z] en paiement de la prime en cas de cession, prévue à l'article 4.1.4 de la convention de mandat social du 28 novembre 2016, l'arrêt retient que les termes clairs de cette convention prévoient que la cession devait être menée sous la présidence de M. [Z] et que, de plus, il ressort de la lettre du 9 novembre 2016 que l'objectif de la mission qui lui était confiée était la cession rapide du groupe Traqueur, et en déduit que M. [Z] n'ayant pas mené les opérations de cession, il ne peut prétendre au versement d'une prime à ce titre.

9. En statuant ainsi, alors que la convention du 28 novembre 2016, applicable entre les parties, était ambiguë en ce qui concerne tant la question de savoir si la cession de la société Traqueur entrait dans la mission confiée à M. [Z] en sa qualité de président du directoire que les conditions de versement de la prime en cas de cession, la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher quelle avait été la commune intention des parties, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° 20-16.168

Enoncé du moyen

10. M. [Z] fait le même grief à l'arrêt alors « qu'une société qui s'engage à payer une rémunération variable à son dirigeant en fonction d'objectifs à atteindre qu'elle fixe unilatéralement est liée par cet engagement ; qu'elle manque à son obligation en s'abstenant de fixer les objectifs conditionnant le versement de cette rémunération ; qu'il revient dans ce cas au juge de déterminer le montant de la rémunération variable en fonction des données de la cause, peu important que le dirigeant n'ait jusqu'alors pas réclamé la fixation de ces objectifs ; que pour débouter M. [Z] de sa demande en paiement de la prime sur objectifs, la cour d'appel a jugé qu'il "avait la possibilité de demander à la société Traqueur de procéder à la fixation de ses objectifs, s'en est abstenu, (et) ne peut dès lors reprocher à la société Traqueur un manquement dans ses obligations de ne pas y avoir procédé" et qu'il "établit donc d'autant moins (...) que c'est de façon déloyale que la société Traqueur s'est soustraite à l'énumération des objectifs qui devaient lui être fixés" ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, tandis qu'il lui incombait de déterminer le montant de la rémunération variable de M. [Z] en fonction des données de la cause, sans que la circonstance que la société Traqueur n'ait pas fixé ces objectifs ou que M. [Z] n'en ait pas réclamé la fixation permette à la société d'échapper à son obligation, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1104, alinéa 1, du code civil :

11. Selon ce texte, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.

12. Pour rejeter la demande en paiement de la prime sur objectifs formée par M. [Z], l'arrêt, après avoir relevé que la convention du 28 novembre 2016 prévoyait son versement et que les objectifs devaient être fixés par le conseil de surveillance, retient que M. [Z] avait la possibilité de demander à la société Traqueur de procéder à la fixation de ses propres objectifs et que s'en étant abstenu, il ne peut reprocher à cette dernière un manquement dans ses obligations pour ne pas y avoir procédé.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'il incombait à la seule société Traqueur de fixer les objectifs à réaliser par M. [Z] et qu'elle ne l'avait pas fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° 20-16.168

Enoncé du moyen

14. M. [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour révocation brutale et sans juste motif, alors « que si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts ; que le simple changement de majorité ou la volonté de désigner une nouvelle gouvernance ne constitue pas un juste motif de révocation, à moins qu'elle soit justifiée par la nécessité de préserver l'intérêt social ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que M. [Z] ne rapportait pas la preuve de l'absence de juste motif, que la lettre du 18 mai 2017 l'informait de la volonté de la société Coyote de mettre en place une nouvelle gouvernance et que l'extrait du procès-verbal de la réunion du conseil de surveillance du 15 juin 2017 rappelait qu'il en avait été informé préalablement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette décision de révocation était justifiée par la nécessaire préservation de l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-61 du code de commerce, ensemble l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 225-61, alinéa 1, du code de commerce :

15. Selon ce texte, les membres du directoire peuvent être révoqués par l'assemblée générale, ainsi que, si les statuts le prévoient, par le conseil de surveillance. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.

16. Pour juger que M. [Z] ne rapportait pas la preuve de l'absence de juste motif à sa révocation et rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt relève que la société Coyote l'a, par une lettre du 18 mars 2017, informé de sa volonté de mettre en place une nouvelle gouvernance.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la décision de révoquer M. [Z] était justifiée par la nécessaire préservation de l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 20-17.354 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes en paiement de la prime en cas de cession, de la prime sur objectifs et de dommages-intérêts pour révocation brutale et sans juste motif formées par M. [Z] et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.